Les complicités de Boko Haram dans la société nigériane

Pendant que les massacres et attentats suicides perpétrés par le groupe terroriste au nord du Nigéria s’intensifient, les mesures prises par le nouveau président en place Muhamadu Buhari, depuis mai 2015, ne semblent pas porter d’effets. Comme pour annoncer les nouvelles couleurs ainsi que la montée en puissance de leurs alliances, le mouvement terroriste Boko-Haram a prêté allégeance en mars dernier à l’EI, se rebaptisant désormais Province Ouest Africaine de l’Etat Islamique (POAEI). L’attentisme incompréhensible du président sortant Goodluck Jonathan reste inexpliqué, alors qu’en 2009 ce mouvement radical Islamistes n’était pas encore bien ancré au Nord de ce vaste pays de 170 millions d’habitants qui disposait pourtant des moyens militaires pour le combattre. Cette passivité lui aura coûté une défaite presque sans surprise lors des élections présidentielles de 2015. Qui a intérêt dans la société nigériane à ce que le POAEI installe son idéologie? Est-il un pion sur l’échiquier socio-politique pour faire instaurer un nouvel ordre ?

L’émergence de la dynamique terroriste
Afin de mieux situer le problème dans son contexte, il ne faut pas oublier que les dissensions ethnico-religieuses au Nigéria ne sont pas nées de l’arrivée de Boko Haram. Les premiers mouvements de protestation islamistes apparaissent dans les années 1970, comme la mouvance Maitatsine, née sous la direction de Muhammad Marwa qui fut ensuite tué lors d’affrontements avec l’armée en 1980. Son groupe se dissout certes, mais ses membres éparpillés dans tout le pays se regroupent progressivement, attendant leur revanche .Les différentes mouvances qui prônent une application rigoriste de la charia, réprimées par l’armée, ouvrent alors la voix à Mohamed Yusuf, chef "spirituel" de Boko Haram. Ce moralisateur, qui reprend à son compte la cause islamique radicale et l’"anti-occidentalisme", commence à se faire connaître dans les années 2000 où il s’engage dans une logique de refus du modèle d’éducation occidental hérité de la colonisation et considéré comme vicieux. Il trouve évidemment un écho dans la société nigériane des Etats du Nord, plus pauvres que ceux du Sud, qui reprochent au pouvoir central une forme d’abandon. Ce mouvement apparait ainsi pour certains tel un redresseur de tort quitte à aboutir à une sécession entre le Nord et le Sud. En 2003, après l’attaque du fief de Mohamed Yusuf par la police d’Etat. Le groupe se retranche alors à Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno, resté aujourd’hui leur base. Yusuf y fonde une école islamiste qui attire des étudiants de tout le Nord du pays à majorité musulmane. La graine de l’idéologie radicale islamiste est plantée au sein de population et accueille les futurs membres de Boko Haram : "Derrière la religion, un même profond ressentiment anime ces populations qui s’estiment abandonnées par les élites, le pouvoir central et les policiers fédéraux, corrompus et brutaux", décrit Alain Vicky dans Le Monde diplomatique.

Le soutien civil
Implanté d’abord dans un Etat très pauvre, où le taux de scolarisation reste très faible, Boko Haram attire beaucoup d’analphabètes et des élèves coraniques. Mais aujourd’hui, la secte implantée dans 4 états, compte aussi dans ses rangs des membres très cultivés qui se retrouvent dans cette idée d’"anti-occidentalisme" et les théories de complot de l’occident contre l’Afrique. Ses fidèles intellectuels défendent le groupement et usent de leur connaissance pour la dédiabolisation et la tolérance de ce mouvement dans les médias. Les 2 millions de déplacés, les milliers de morts, les enlèvements et les viols de femmes leur apparait malheureusement comme des dommages inévitables que l’instauration de leur idéologie saura excuser.

Le soutien militaire et politique

Les allégations de complicité en provenance de pays extérieurs tels que le Cameroun et les Etats Unis n’ont pas pu être prouvées. Cependant, au regard de te tous les blocages et de l’habilité macabres du groupe terroriste, les soupçons de complicité en interne sont à considérer avec sérieux. Comment le Tchad moins puissant a-t-il réussi ses quelques exploits, si cette affirmation était vraie ! Nous avons noté que sur demande du Nigeria, les soldats tchadiens devaient quitter la ville de Gambarou et qu’après cette décision, il a suffi de peu de temps pour y revoir Boko Haram régnant en maître. Le président actuel, musulman et ancien général reconnu pour sa main de fer, ne semble pas encore tenir le bon bout pour mettre fin à la terreur instaurée par Boko Haram, tant les massacres deviennent de plus en plus sanglants et étendus. En effet, la communication selon laquelle le Nigéria n'a pas vraiment de moyens pour battre ces rebelles, apparaît de plus en plus incohérente. Pourquoi ces choix contradictoires ? Il est difficile de croire que Boko Haram obtient ses armes, (lance –roquette, mitraillettes), véhicules blindés en pillant de pauvres villages… Ces moyens leurs sont fournis, traversent les frontières internes et externes au vu des autorités compétente.
Après les dons des fidèles sous l’ère Yusuf, puis la "générosité" de gouverneurs ou des responsables politiques du Nord, Boko Haram multiplie désormais les attaques de banques. Mais certaines mouvances sont aussi financées par al-Qaida, selon le spécialiste Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans son interview sur Slate Afrique.

Le soutien informationnel
Que dire de l’accès à Internet qui est pourtant contrôlable mais largement et intelligemment utilisé par les terroristes pour diffuser leur propagande macabre et célébrer leurs victoires ? Leurs comptes ouverts sous différents noms sur les réseaux sociaux sont régulièrement supprimés. Toutefois, l’objectif est tout de même atteint : propager les vidéos macabres des exécutions perpétrées, répandre la terreur et revendiquer des victoires militaires. Les médias sont évidemment partagés entre le devoir d’information et le refus d’être relai sur les médias des actions du groupe terroriste. La première attitude prime logiquement car il serait totalement absurde et irresponsable d’ignorer les attentats. Il s’agit bien d’une nouvelle forme de guerre de l’information dont le fonctionnement a manifestement été bien compris par les terroristes. Les différents mouvements de protestations et d’indignation qui se sont multipliés loin d’émouvoir les terroristes, leur font de la publicité dont ils se délectent. Mais peut-on humainement se taire et faire semblant d’être indifférents… ?