La guerre de l’information autour des minerais de sang

« Minerais de sang ». Cette expression désigne l’étain, le tantale, le tungstène mais également le coltan qui proviennent de l'immense région située au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) en proie aux massacres depuis près de vingt ans. Ces ressources sont en partie exploitées par des groupes armés qui réduisent en esclavage les populations locales afin d'extraire ces précieuses ressources indispensables à nos téléphones et ordinateurs portables, nos consoles de jeux, nos appareils photo numériques et nos tablettes. Depuis 2002, de vastes campagnes de sensibilisation (s'appuyant notamment sur des photographies frappantes mettent en cause de grands groupes industriels tels qu'Apple, Nokia et Samsung.

Les bonnes intentions de l’OCDE
En 2010, l'OCDE a adopté un guide sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque. Ce texte a largement inspiré un loi de réforme financière du 21 juillet 2010, dite Dodd-Franck, qui oblige notamment les entreprises américaines à rendre publique l’origine des minerais qu'elles utilisent. L'objectif de ce texte étant clairement de parvenir à lutter contre le commerce des minerais issus des zones de conflits. Dans le même sens, la Commission européenne a présenté en mars 2014 un projet de règlement abordant cette question et proposant la mise en place d'un mécanisme européen d’auto-certification pour les importateurs de ces minerais.

Les difficultés de la traçabilité
Prés de deux cent ONG ont immédiatement dénoncé le manque d'ambition de ce projet et milité pour l'adoption d'un texte contraignant qui obligerait les entreprises à assurer une traçabilité de ces minerais et à pouvoir en justifier, le cas échéant. Le 25 mai 2015, en réaction à ces violentes attaques, le parlement européen adopté un amendement en ce sens. Selon l'ancien commissaire européen Louis Michel, « la conscience universelle a triomphé sur l'affairisme sordide ». Rien n'est moins sûr. Les mécanismes retenus sont inefficaces. En effet, un rapport conjoint d’Amnesty International et Global Witness rendu public le 22 avril 2015 révèle que 80% des entreprises américaines (comme Apple et Boeing) sont incapables de retracer la chaîne d’approvisionnement des différents minerais utilisés dans leurs produits. Cette négligence ne découle nullement de l'absence de moyens financiers de ces acteurs mais de leur réticence à rendre public leur chaîne d'approvisionnement.

Les conditions de vie du peuple congolais menacées
Ce projet touchera indistinctement l'ensemble de la population locale en la privant de son unique revenu alors même que « 8% seulement des sites miniers abritent des groupes armés ». Les initiatives américaines et européennes sont insuffisantes à appauvrir les groupes armés à l'origine de ces exactions. En effet, les marché canadiens (75% des sociétés minières mondiales ont leur siège au Canada) et asiatiques restent demandeurs de ces ressources minières. Ce texte de l’OCDE, certes suscité par des intentions louables, vise en réalité à permettre aux entreprises étrangères d'identifier les réseaux d'approvisionnement des groupes européens et nullement à améliorer les conditions de vie des Congolais victimes de ce commerce sanglant.



Rapports :
1. Amnesty International, Global Witness, « Digging for transparency », avril 2015
2. Parlement européen, « Les minerais de conflits », février 2015
3. Pôle Institut, « Les minerais de « sang» : Un secteur économique criminalise à l’est de la RDC », novembre 2010
4. OCDE, « Guide sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque », 2010
5. Seay Laura E., “What’s Wrong with Dodd-Frank 1502? Conflict Minerals, Civilian Livelihoods, and the Unintended Consequences of Western Advocacy”, Center for Global Development, Working Paper n°284, January 2012, Washington D.C, p 17-19
6. Garrett Nicholas, “The Extractive Industries Transparency Initiative (EITI) & Artisanal and Small-Scale Mining (ASM)”, Extractive Industries Transparency Initiative, 22 Octobre 2007, p 6