Volkswagate ou la riposte informationnelle à la stratégie de contournement par VAG des normes ultra-protectionnistes américaines
Dans le secteur automobile la concurrence s’est considérablement accrue depuis 2007. Or le marché chinois avec ses 23 millions de véhicules vendus en 2014 et ses perspectives (23,4 Millions en 2015, 24 millions en 2016 et 26 Millions en 2017 selon Automotive News China et IHS Automotive) attisent les convoitises des constructeurs étrangers mêmes s’ils sont contraints de s’associer localement dans des JV à l’image de PSA avec DOMPFENG et VAG avec Shangai-Volkswagen et FAW. Avec 23% de part de marché en Chine en 2014, pour VAG la Chine est le second marché derrière l’Europe. Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans le secteur automobile, il y a eu un précédent identique au Volkswagate mais de moindre ampleur à l’encontre de deux constructeurs coréens Hyundai et Kia qui avaient eu la mauvaise idée de pénétrer fortement ces dernières années le marché chinois…
Une contre attaque informationnelle américaine très bien orchestrée
Le scandale de fraude avérée (cf. les aspects techniques en suivant ce lien + les explications de ICCT) au contrôle antipollution qui atteint actuellement le fleuron de l’industrie automobile allemande, Volkswagen AG (classée « entreprise la plus innovante du monde en 2013 par Booz & Compagny »… ) porte toutes les caractéristiques d’une attaque concurrentielle et protectionniste en règle de la part d’un Etat américain dont la première vocation est de servir et défendre les intérêts économiques et financiers des entreprises nationales tant sur son territoire que sur les marchés extérieurs prometteurs, et ce même lorsqu’elles semblent être des multinationales dont le capital serait « largement ouvert ». L’attaque informationnelle cible directement le segment automobile de moyenne gamme diesel dans lequel le groupe VAG est leader des ventes aux Etats-Unis et indirectement le marché chinois sur lequel VAG à travers ses JV est devenu leader devant GM et Toyota. D’ailleurs les deux communiqués de presse publiés dès le 25 septembre par les deux JV Shangai-Volkswagen et FAW – Volkswagen en Chine pour annoncer que le marché chinois n’est pas concerné et ne serait pas impacté par l’affaire, ne sont pas dus au hasard mais bien révélateurs (les normes antipollution pour les constructeurs automobiles en Chine sont actuellement au niveau Euro 2 alors que nous en sommes à Euro 6 dans l’UE.). L’an passé l’image du constructeur allemand avait déjà été écornée en Chine par la NRDC (commission nationale pour la réforme et le développement en Chine) qui avait épinglé AUDI China à travers la joint venture FAW (First Automotive Works) pour violations de lois antitrust par le réseau de ses concessionnaires AUDI en Chine. Il suffisait donc d’enfoncer le clou pour semer le doute auprès tant des autorités chinoises que des consommateurs.
Cette opération clairement indirecte tant dans les buts visés que dans les marchés ciblés, a toutes les caractéristiques d’une manœuvre d’infodéstabilisation nécessaire pour s’attaquer à un groupe aussi puissant que VAG sans risque de subir des mesures de rétorsion. La manœuvre a été officiellement lancée en mai 2014 par l’Agence de protection environnementale américaine, EPA, à l’initiative en 2013 d’une obscure officine ICCT (International Council of Clean transportation…) qui se présente comme une « ONG ». Les responsables d’ICCT ont reconnu que faute de compétence, ils avaient fait appel à un professeur de la petite université de Morgantown en Virginie occidentale pour effectuer des tests sur route en conditions réelles… Dans le jargon technique des manœuvres d’info-déstabilisation, ce professeur est « la caution de l’expert ». Il faut toute fois noter que les tests auraient été également réalisés par l’agence de protection de la qualité de l’air de Californie CARB mais cette fois en laboratoire (i.e. cycle WLTP sur banc de roulage « fixe » ?). Jusqu’à présent tous les tests antipollution se faisaient uniquement sur des bancs de roulage donc pas sur route en conditions réelles.
Cette affaire soulève plusieurs questions de base tant sur la façon dont l’opération d’ICCT a été menée que sur ces véritables commanditaires :
- Alors que cette officine a reconnu être incapable de réaliser le moindre test antipollution, par quel éclair de génie cette « ONG » a-t-elle imaginé spontanément la nécessité de faire des tests hors bancs fixes en conditions réelles sur les moteurs diesels de trois véhicules uniquement de marques allemandes ? A moins d’avoir obtenu une indiscrétion d’un ancien collaborateur ou dirigeant de VAG ou de Bosch sur un secret nécessairement bien gardé…
- Quel éclair de génie a poussé ICCT à s’adresser au professeur Grégory Thompson d’une petite université située au fin fond de la Virginie occidental ?
- Pourquoi ce dernier a-t-il accepté de réaliser ces tests : pour sa notoriété personnelle, la gloire ou pour de l’argent ?
- Combien ont coûté ces tests et qui les a financés ?
L’enjeu stratégique des normes
Au-delà de l’atteinte portée à l’image des marques du groupe VAG, cette manœuvre soulève à nouveau plusieurs problèmes à commencer par la question des divergences de normes entre les marchés outre atlantiques, européens et chinois. Les normes bien plus que les brevets sont des armes protectionnistes d’autant plus efficaces dans la guerre économique que la judiciarisation des marchés où elles s’appliquent, est forte et les sanctions encourues élevées. Il est clair qu’un tribunal arbitral américain ruinerait rapidement les fleurons de l’industrie européenne notamment dans le secteur automobile. Quelle juridiction en Europe pourrait sanctionner pour fraudes Chrysler, Ford ou GM d’une amende d’un montant de 18 milliards de dollars ? Ces dernières années les Etats-Unis sont passés maîtres dans l’art de pénaliser financièrement des banques étrangères (ex. BNP), mais aussi des entreprises étrangères qui ne respecteraient pas les règles notamment d’embargo fixées par les autorités américaines tandis que les groupes américains ne sont pas toujours contraints à devoir les respecter.
Les conséquences, et pas seulement les sanctions judiciaires, pourront nuire à la rentabilité de VAG pendant deux ans, déstabiliser son actionnariat étranger (les actionnaires nationaux le land de basse Saxe 13% du capital, mais aussi le groupe Porsche 32% ne risquent pas de se retirer) et contraindre la firme à « rationaliser ses coûts » notamment en R&D (la marque consacrait en 2013 près de 4,6 % de son chiffre d'affaires à sa R&D avec un montant de 11,4 milliards de dollars). Bref l’affaire va affaiblir le groupe VAG au mauvais moment.
Ne pas perdre de vue la grille de lecture guerre économique
La contre attaque informationnelle américaine doit aussi être replacée dans le contexte géostratégique décrit par Georges Friedman (vice président de Stratfor, conseil en stratégie) dans « Flashpoint – The emerging crisis in Europe » à savoir que l’Union Européenne se résume à la puissance économique et industrielle de l’Allemagne, seule véritable concurrent économique à abattre et dont il faut impérativement empêcher tout rapprochement et alliance économique continentale avec la Russie. Dès lors les manœuvres américaines de « containment » dans le dossier ukrainien et de déstabilisation en Syrie devient tout autant compréhensible que la riposte de Vladimir Poutine qui maitrise les enjeux et l’art de la négociation géopolitiques.
Le Volkswagate relance relance le problème des divergences des normes entre l’UE et les Etats-Unis qui, sources de conflits, font peser des risques de sanctions exorbitantes qui ruineraient l’industrie et l’agriculture européenne, elle pose le double problème du rôle protectionniste de ces normes dans un marché soi-disant ouvert et de la partialité du futur tribunal arbitral chargé de régler les litiges dont l’Histoire a montré qu’il est dominé par le souci de ne pas nuire à l’intérêt de puissance des Etats-Unis.
Bertrand Plas
Une contre attaque informationnelle américaine très bien orchestrée
Le scandale de fraude avérée (cf. les aspects techniques en suivant ce lien + les explications de ICCT) au contrôle antipollution qui atteint actuellement le fleuron de l’industrie automobile allemande, Volkswagen AG (classée « entreprise la plus innovante du monde en 2013 par Booz & Compagny »… ) porte toutes les caractéristiques d’une attaque concurrentielle et protectionniste en règle de la part d’un Etat américain dont la première vocation est de servir et défendre les intérêts économiques et financiers des entreprises nationales tant sur son territoire que sur les marchés extérieurs prometteurs, et ce même lorsqu’elles semblent être des multinationales dont le capital serait « largement ouvert ». L’attaque informationnelle cible directement le segment automobile de moyenne gamme diesel dans lequel le groupe VAG est leader des ventes aux Etats-Unis et indirectement le marché chinois sur lequel VAG à travers ses JV est devenu leader devant GM et Toyota. D’ailleurs les deux communiqués de presse publiés dès le 25 septembre par les deux JV Shangai-Volkswagen et FAW – Volkswagen en Chine pour annoncer que le marché chinois n’est pas concerné et ne serait pas impacté par l’affaire, ne sont pas dus au hasard mais bien révélateurs (les normes antipollution pour les constructeurs automobiles en Chine sont actuellement au niveau Euro 2 alors que nous en sommes à Euro 6 dans l’UE.). L’an passé l’image du constructeur allemand avait déjà été écornée en Chine par la NRDC (commission nationale pour la réforme et le développement en Chine) qui avait épinglé AUDI China à travers la joint venture FAW (First Automotive Works) pour violations de lois antitrust par le réseau de ses concessionnaires AUDI en Chine. Il suffisait donc d’enfoncer le clou pour semer le doute auprès tant des autorités chinoises que des consommateurs.
Cette opération clairement indirecte tant dans les buts visés que dans les marchés ciblés, a toutes les caractéristiques d’une manœuvre d’infodéstabilisation nécessaire pour s’attaquer à un groupe aussi puissant que VAG sans risque de subir des mesures de rétorsion. La manœuvre a été officiellement lancée en mai 2014 par l’Agence de protection environnementale américaine, EPA, à l’initiative en 2013 d’une obscure officine ICCT (International Council of Clean transportation…) qui se présente comme une « ONG ». Les responsables d’ICCT ont reconnu que faute de compétence, ils avaient fait appel à un professeur de la petite université de Morgantown en Virginie occidentale pour effectuer des tests sur route en conditions réelles… Dans le jargon technique des manœuvres d’info-déstabilisation, ce professeur est « la caution de l’expert ». Il faut toute fois noter que les tests auraient été également réalisés par l’agence de protection de la qualité de l’air de Californie CARB mais cette fois en laboratoire (i.e. cycle WLTP sur banc de roulage « fixe » ?). Jusqu’à présent tous les tests antipollution se faisaient uniquement sur des bancs de roulage donc pas sur route en conditions réelles.
Cette affaire soulève plusieurs questions de base tant sur la façon dont l’opération d’ICCT a été menée que sur ces véritables commanditaires :
- Alors que cette officine a reconnu être incapable de réaliser le moindre test antipollution, par quel éclair de génie cette « ONG » a-t-elle imaginé spontanément la nécessité de faire des tests hors bancs fixes en conditions réelles sur les moteurs diesels de trois véhicules uniquement de marques allemandes ? A moins d’avoir obtenu une indiscrétion d’un ancien collaborateur ou dirigeant de VAG ou de Bosch sur un secret nécessairement bien gardé…
- Quel éclair de génie a poussé ICCT à s’adresser au professeur Grégory Thompson d’une petite université située au fin fond de la Virginie occidental ?
- Pourquoi ce dernier a-t-il accepté de réaliser ces tests : pour sa notoriété personnelle, la gloire ou pour de l’argent ?
- Combien ont coûté ces tests et qui les a financés ?
L’enjeu stratégique des normes
- Depuis plusieurs années le marché chinois tire les ventes du secteur automobile et donc toute la production amont. Pour les constructeurs américains et l’Etat américain, accroître les parts de marché est une nécessité pour :
- - profiter des perspectives à l’horizon 2020 qui font de ce marché automobile chinois le premier marché mondial avec près de 40% des ventes mondiales
- - déstabiliser les consommateurs chinois sensibles aux problèmes de pollution et sensibiliser les autorités chinoises déjà soupçonneuses à l’encontre des constructeurs étrangers concurrents de GM, Ford et Chrysler,
- - maintenir voire accroître ses parts de marché en chine pour éviter de déséquilibrer encore plus sa balance commerciale avec ce pays et donc éviter de déséquilibrer encore plus sa balance des paiements,
- - relancer la machine économique soutenir directement la production automobile dans le Nord des Etats-Unis pour contenir notamment les mouvements sociaux et éviter une explosion interne du pays.
- - enfin soutenir la demande en dollar (alors que la baisse du prix du pétrole a ralenti la demande en dollar sur les marchés…)
Au-delà de l’atteinte portée à l’image des marques du groupe VAG, cette manœuvre soulève à nouveau plusieurs problèmes à commencer par la question des divergences de normes entre les marchés outre atlantiques, européens et chinois. Les normes bien plus que les brevets sont des armes protectionnistes d’autant plus efficaces dans la guerre économique que la judiciarisation des marchés où elles s’appliquent, est forte et les sanctions encourues élevées. Il est clair qu’un tribunal arbitral américain ruinerait rapidement les fleurons de l’industrie européenne notamment dans le secteur automobile. Quelle juridiction en Europe pourrait sanctionner pour fraudes Chrysler, Ford ou GM d’une amende d’un montant de 18 milliards de dollars ? Ces dernières années les Etats-Unis sont passés maîtres dans l’art de pénaliser financièrement des banques étrangères (ex. BNP), mais aussi des entreprises étrangères qui ne respecteraient pas les règles notamment d’embargo fixées par les autorités américaines tandis que les groupes américains ne sont pas toujours contraints à devoir les respecter.
Les conséquences, et pas seulement les sanctions judiciaires, pourront nuire à la rentabilité de VAG pendant deux ans, déstabiliser son actionnariat étranger (les actionnaires nationaux le land de basse Saxe 13% du capital, mais aussi le groupe Porsche 32% ne risquent pas de se retirer) et contraindre la firme à « rationaliser ses coûts » notamment en R&D (la marque consacrait en 2013 près de 4,6 % de son chiffre d'affaires à sa R&D avec un montant de 11,4 milliards de dollars). Bref l’affaire va affaiblir le groupe VAG au mauvais moment.
Ne pas perdre de vue la grille de lecture guerre économique
La contre attaque informationnelle américaine doit aussi être replacée dans le contexte géostratégique décrit par Georges Friedman (vice président de Stratfor, conseil en stratégie) dans « Flashpoint – The emerging crisis in Europe » à savoir que l’Union Européenne se résume à la puissance économique et industrielle de l’Allemagne, seule véritable concurrent économique à abattre et dont il faut impérativement empêcher tout rapprochement et alliance économique continentale avec la Russie. Dès lors les manœuvres américaines de « containment » dans le dossier ukrainien et de déstabilisation en Syrie devient tout autant compréhensible que la riposte de Vladimir Poutine qui maitrise les enjeux et l’art de la négociation géopolitiques.
Le Volkswagate relance relance le problème des divergences des normes entre l’UE et les Etats-Unis qui, sources de conflits, font peser des risques de sanctions exorbitantes qui ruineraient l’industrie et l’agriculture européenne, elle pose le double problème du rôle protectionniste de ces normes dans un marché soi-disant ouvert et de la partialité du futur tribunal arbitral chargé de régler les litiges dont l’Histoire a montré qu’il est dominé par le souci de ne pas nuire à l’intérêt de puissance des Etats-Unis.
Bertrand Plas