Le 10 octobre 2015, des manifestations ont été organisées dans les grandes capitales Européennes par les opposants au « partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement » (TTIP ou TAFTA) qui vise à supprimer les barrières douanières et règlementaires entre les États-Unis et l'Europe. Alors que 150 000 à 250 000 personnes défilaient à Berlin, seules quelques centaines de personnes se sont rassemblées à Paris.
Bien que 66% des Allemands soient favorable à la mondialisation pour les opportunités de croissance économique (47% pour les Français), seulement 31% des Allemands sont favorables à un accord de libre-échange et d’investissement entre l’Europe et les Etats-Unis (53% pour les Français). La pétition en ligne « Stop TTIP and CETA » totalise 3,2 millions de signatures dont 1,5 en Allemagne et seulement 0,3 en France. L’Allemagne qui profite beaucoup de la mondialisation est donc paradoxalement à la tête de la contestation et la société civile française pour l’instant en retrait. Quels sont les axes d’attaque des Anti-TTIP qui expliquent ce paradoxe ?
Premier axe d’attaque des anti-TTIP: arguments sociétaux traditionnels de la gauche altermondialiste et écologiste
Le cercle initial appelant à manifester comprend : Les altermondialistes (Attac, Campact,…), les écologistes (Greenpeace, les Amis de la Terre,…), les partis politiques écologistes et de gauche (Verts, die Linke, PC, Front de Gauche). Le Front National et les partis souverainistes de droite, hostiles au TTIP, n’ont pas appelé à manifester.
Ces organisations de gauche altermondialiste et écologiste mettent en avant les arguments sociétaux traditionnels. Les principaux arguments sont la dégradation de la réglementation sanitaire européenne » avec entre autres l’introduction du fameux «poulet au chlore» et des OGM, l’ouverture des marchés qui a tendance à favoriser le « moins-disant social », la destruction des monopoles publics au profit d’entreprises capitalistes cherchant à générer des bénéfices plutôt qu’à servir les citoyens. Mais les Allemands hostiles au TTIP fédèrent largement au-delà de la gauche altermondialiste et écologiste. Les arguments traditionnels de la gauche altermondialiste et écologiste ne suffisent donc pas à expliquer la mobilisation outre-Rhin. Il faut aller chercher des axes d’attaque plus fédérateurs.
Second axe d’attaque des anti-TTIP: les contre-arguments économiques
L’appel à la marche contestataire à Berlin ne concernait pas que ce cercle initial altermondialiste et écologiste. En effet, la Confédération des syndicats allemands (DGB), proche du parti social-démocrate SPD (dans la coalition au pouvoir) avait appelé à manifester. Il y avait même un collectif de PME allemandes motivé par la crainte de voir des multinationales leur verrouiller la porte des marchés. Pour fédérer au-delà du cercle initial les anti-TTIP attaquent les arguments économiques de la commission Européenne en diffusant largement les analyses contradictoires, notamment celle de Jacques Sapir qui prévoit une dégradation des indices économiques en Europe. Cependant toutes les analyses économiques montrent que l’Allemagne à moins à craindre que la France de la signature du TTIP (exemple : CEPII). Ce n’est donc pas sur l’échiquier économique que s’explique la prédominance allemande dans la lutte anti-TTIP.
Troisième axe d’attaque des anti-TTIP: dangers de l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement)
Inclus dans le TTIP à la fin de l’été 2014, l’ISDS, présent dans de nombreux traités de libre-échange, permet à une entreprise d'attaquer un État devant un tribunal arbitral international comme celui de la banque mondiale basé à Washington.
Dès l’automne 2014, les anti-TTIP révèlent l’information confidentielle de la saisie de ce tribunal par le groupe énergétique suédois Vattenfall (qui exploite 2 centrales nucléaires en Allemagne) pour réclamer à Berlin 4,7 milliards d'euros pour l'abandon du nucléaire décidé en 2011. La réticence à l’énergie nucléaire en Allemagne mobilise depuis longtemps bien au-delà des cercles écologistes ; l’opinion publique est profondément choquée qu’une entreprise puisse demander un dédommagement aux contribuables allemands suite à un vote démocratique qui a amené les gouvernants à renoncer au nucléaire. Les anti-TTIP allemands diffusent largement l’affaire Vattenfall sur les réseaux sociaux ; la société civile allemande se mobilise contre l’ISDS donc contre le TTIP.
Angela Merkel et le ministre Allemand de l’économie Sigmar Gabriel (SPD) dédramatisent l’inclusion de l’ISDS dans le TTIP. Deux jours après la manifestation de Berlin, le porte-parole de la chancelière déclare : « Le gouvernement fédéral juge les inquiétudes des manifestants infondées ». Mais les anti-TTIP allemands ne cessent de ramener le débat au politique. En témoigne par exemple la bannière de 40m2 attachée par les militants de Greenpeace sur la façade du siège du SPD et qui stipule « Protéger la démocratie : Willy Brandt stopperait le TTIP ». L’objectif est clairement de déplacer la contestation sociétale sur l’échiquier politique
Le gouvernement Français est resté d’une grande prudence sur le TTIP et l’ISDS cherchant à communiquer le moins possible. Le secrétaire d’état chargé du commerce extérieur Matthias Fekl, dans une interview publiée par Sud-Ouest le 28 septembre 2015 a déclaré que le France pourrait décider « l’arrêt pur et simple des négociations » avec les Etats-Unis si celles-ci ne progressent pas dans le bon sens (accès aux marchés publics, agricoles et agroalimentaires Américains, aménagement de l’arbitrage ISDS). Par contre, le gouvernement Français, pro-TTIP dans son ensemble n’affronte pas les anti-TTIP. Il adopte une stratégie d’évitement du terrain de la guerre d’information.
Quatrième axe d’attaque des anti-TTIP: les écoutes de la NSA en Allemagne
Les pratiques d’espionnage de la NSA contre les intérêts allemands et notamment les écoutes du téléphone personnel d’Angela Merkel ont été révélées dès l’été 2013 par l’ancien consultant de la NSA Edward Snowden. Sur le plan politique, le gouvernement Allemand cherche à calmer le jeu avec une réaction mesurée d’Angela Merkel « Entre amis, cela ne se fait pas ». En revanche, sur le terrain sociétal, l’opinion outre-Rhin très sensible aux questions de libertés individuelles et considérant la vie privée comme un droit civique fondamental a été scandalisée par ces révélations. A noter que ces révélations coïncidaient avec le premier round des négociations du TTIP (été 2013).
L’édition du Washington Times du 8 août 2013 révèle que d’après un rapport d’Ernst & Young « Les cadres Allemands estiment que le milieu des affaires américain représente un plus grand risque d’espionnage industriel et de vol d’information que celui de la Russie et qu’il est aussi préoccupant que le milieu d’affaires Chinois».
Tandis que la commission d’enquête du Bundestag chargée d'éclaircir les pratiques d'espionnage de la NSA en Allemagne poursuit son travail envers et contre tout, les réseaux d’influence anti-TTIP entretiennent cette défiance de la société civile Allemande envers les Etats-Unis. Ainsi, ils ont abondamment relayé sur les réseaux sociaux le projet « T-TIP : Get Informed ! Get Involved ! », qui a été lancé en été 2014 par l’ambassade américaine à Berlin ; celle-ci offrait des subventions de 5 000 $ à 20 000 $ à toutes les ONG, think-tanks et institutions académiques Allemandes défendant le TTIP. Les réseaux d’influence anti-TTIP utilisent surtout chaque rebondissement de l’enquête du Bundestag, comme la diffusion au printemps 2015 des informations WikiLeaks révélant que les services Allemands (BND) auraient aidé pendant de nombreuses années la NSA à espionner des entreprises européennes et des personnalités étrangères dont les présidents français entre 2006 et 2012.
L’écho de ces révélations dans la société civile française reste étonnamment faible mais outre-Rhin, ces scandales à répétition repris par les réseaux d’influence anti-TTIP attisent le sentiment de défiance envers l’allié d’outre-Atlantique.
Stratégie Française d’évitement de l’affrontement informationnel
Si les anti-TTIP allemands ont remarquablement utilisé les « scandales » récents sur la duplicité de l’allié américain et sur les risques que pourraient faire causer l’ISDS sur les choix démocratiques, fédérant bien au-delà de la gauche antimondialiste, la société Française, pourtant traditionnellement défiante vis-à-vis de l’hégémonisme américain et des principes du libre-échange, se désintéresse pour l’instant du TTIP.
Le gouvernement et les pro-TTIP y voient une opportunité car ils savent qu’il est difficile de convaincre en se basant sur des études économiques contestées laissant entrevoir un peu de croissance supplémentaire, quand les opposants peuvent si facilement mettre en avant des arguments simples et immédiats de risques pour la santé, l’emploi, les libertés individuelles et la démocratie. Ils préfèrent donc ne pas combattre les anti-TIPP, laissant la commission européenne à la manœuvre, et évitant une médiatisation qui serait probablement défavorable à leur cause. Cette stratégie, apparemment pragmatique et payante à court terme est risquée à moyen terme.
Plutôt que d’éluder le débat, en prévision d’une éventuelle signature du TTIP, il est impératif que dès à présent la société civile française, le monde des affaires et le monde politique soient conscients des enjeux, des risques mais également des opportunités. Ils doivent être préparés à l’affrontement économique que l’on ne pourra pas esquiver le jour où les barrières seront levées. La France et l’Europe devront disposer des mêmes armes que leurs alliés…et savoir s’en servir.
Bien que 66% des Allemands soient favorable à la mondialisation pour les opportunités de croissance économique (47% pour les Français), seulement 31% des Allemands sont favorables à un accord de libre-échange et d’investissement entre l’Europe et les Etats-Unis (53% pour les Français). La pétition en ligne « Stop TTIP and CETA » totalise 3,2 millions de signatures dont 1,5 en Allemagne et seulement 0,3 en France. L’Allemagne qui profite beaucoup de la mondialisation est donc paradoxalement à la tête de la contestation et la société civile française pour l’instant en retrait. Quels sont les axes d’attaque des Anti-TTIP qui expliquent ce paradoxe ?
Premier axe d’attaque des anti-TTIP: arguments sociétaux traditionnels de la gauche altermondialiste et écologiste
Le cercle initial appelant à manifester comprend : Les altermondialistes (Attac, Campact,…), les écologistes (Greenpeace, les Amis de la Terre,…), les partis politiques écologistes et de gauche (Verts, die Linke, PC, Front de Gauche). Le Front National et les partis souverainistes de droite, hostiles au TTIP, n’ont pas appelé à manifester.
Ces organisations de gauche altermondialiste et écologiste mettent en avant les arguments sociétaux traditionnels. Les principaux arguments sont la dégradation de la réglementation sanitaire européenne » avec entre autres l’introduction du fameux «poulet au chlore» et des OGM, l’ouverture des marchés qui a tendance à favoriser le « moins-disant social », la destruction des monopoles publics au profit d’entreprises capitalistes cherchant à générer des bénéfices plutôt qu’à servir les citoyens. Mais les Allemands hostiles au TTIP fédèrent largement au-delà de la gauche altermondialiste et écologiste. Les arguments traditionnels de la gauche altermondialiste et écologiste ne suffisent donc pas à expliquer la mobilisation outre-Rhin. Il faut aller chercher des axes d’attaque plus fédérateurs.
Second axe d’attaque des anti-TTIP: les contre-arguments économiques
L’appel à la marche contestataire à Berlin ne concernait pas que ce cercle initial altermondialiste et écologiste. En effet, la Confédération des syndicats allemands (DGB), proche du parti social-démocrate SPD (dans la coalition au pouvoir) avait appelé à manifester. Il y avait même un collectif de PME allemandes motivé par la crainte de voir des multinationales leur verrouiller la porte des marchés. Pour fédérer au-delà du cercle initial les anti-TTIP attaquent les arguments économiques de la commission Européenne en diffusant largement les analyses contradictoires, notamment celle de Jacques Sapir qui prévoit une dégradation des indices économiques en Europe. Cependant toutes les analyses économiques montrent que l’Allemagne à moins à craindre que la France de la signature du TTIP (exemple : CEPII). Ce n’est donc pas sur l’échiquier économique que s’explique la prédominance allemande dans la lutte anti-TTIP.
Troisième axe d’attaque des anti-TTIP: dangers de l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement)
Inclus dans le TTIP à la fin de l’été 2014, l’ISDS, présent dans de nombreux traités de libre-échange, permet à une entreprise d'attaquer un État devant un tribunal arbitral international comme celui de la banque mondiale basé à Washington.
Dès l’automne 2014, les anti-TTIP révèlent l’information confidentielle de la saisie de ce tribunal par le groupe énergétique suédois Vattenfall (qui exploite 2 centrales nucléaires en Allemagne) pour réclamer à Berlin 4,7 milliards d'euros pour l'abandon du nucléaire décidé en 2011. La réticence à l’énergie nucléaire en Allemagne mobilise depuis longtemps bien au-delà des cercles écologistes ; l’opinion publique est profondément choquée qu’une entreprise puisse demander un dédommagement aux contribuables allemands suite à un vote démocratique qui a amené les gouvernants à renoncer au nucléaire. Les anti-TTIP allemands diffusent largement l’affaire Vattenfall sur les réseaux sociaux ; la société civile allemande se mobilise contre l’ISDS donc contre le TTIP.
Angela Merkel et le ministre Allemand de l’économie Sigmar Gabriel (SPD) dédramatisent l’inclusion de l’ISDS dans le TTIP. Deux jours après la manifestation de Berlin, le porte-parole de la chancelière déclare : « Le gouvernement fédéral juge les inquiétudes des manifestants infondées ». Mais les anti-TTIP allemands ne cessent de ramener le débat au politique. En témoigne par exemple la bannière de 40m2 attachée par les militants de Greenpeace sur la façade du siège du SPD et qui stipule « Protéger la démocratie : Willy Brandt stopperait le TTIP ». L’objectif est clairement de déplacer la contestation sociétale sur l’échiquier politique
Le gouvernement Français est resté d’une grande prudence sur le TTIP et l’ISDS cherchant à communiquer le moins possible. Le secrétaire d’état chargé du commerce extérieur Matthias Fekl, dans une interview publiée par Sud-Ouest le 28 septembre 2015 a déclaré que le France pourrait décider « l’arrêt pur et simple des négociations » avec les Etats-Unis si celles-ci ne progressent pas dans le bon sens (accès aux marchés publics, agricoles et agroalimentaires Américains, aménagement de l’arbitrage ISDS). Par contre, le gouvernement Français, pro-TTIP dans son ensemble n’affronte pas les anti-TTIP. Il adopte une stratégie d’évitement du terrain de la guerre d’information.
Quatrième axe d’attaque des anti-TTIP: les écoutes de la NSA en Allemagne
Les pratiques d’espionnage de la NSA contre les intérêts allemands et notamment les écoutes du téléphone personnel d’Angela Merkel ont été révélées dès l’été 2013 par l’ancien consultant de la NSA Edward Snowden. Sur le plan politique, le gouvernement Allemand cherche à calmer le jeu avec une réaction mesurée d’Angela Merkel « Entre amis, cela ne se fait pas ». En revanche, sur le terrain sociétal, l’opinion outre-Rhin très sensible aux questions de libertés individuelles et considérant la vie privée comme un droit civique fondamental a été scandalisée par ces révélations. A noter que ces révélations coïncidaient avec le premier round des négociations du TTIP (été 2013).
L’édition du Washington Times du 8 août 2013 révèle que d’après un rapport d’Ernst & Young « Les cadres Allemands estiment que le milieu des affaires américain représente un plus grand risque d’espionnage industriel et de vol d’information que celui de la Russie et qu’il est aussi préoccupant que le milieu d’affaires Chinois».
Tandis que la commission d’enquête du Bundestag chargée d'éclaircir les pratiques d'espionnage de la NSA en Allemagne poursuit son travail envers et contre tout, les réseaux d’influence anti-TTIP entretiennent cette défiance de la société civile Allemande envers les Etats-Unis. Ainsi, ils ont abondamment relayé sur les réseaux sociaux le projet « T-TIP : Get Informed ! Get Involved ! », qui a été lancé en été 2014 par l’ambassade américaine à Berlin ; celle-ci offrait des subventions de 5 000 $ à 20 000 $ à toutes les ONG, think-tanks et institutions académiques Allemandes défendant le TTIP. Les réseaux d’influence anti-TTIP utilisent surtout chaque rebondissement de l’enquête du Bundestag, comme la diffusion au printemps 2015 des informations WikiLeaks révélant que les services Allemands (BND) auraient aidé pendant de nombreuses années la NSA à espionner des entreprises européennes et des personnalités étrangères dont les présidents français entre 2006 et 2012.
L’écho de ces révélations dans la société civile française reste étonnamment faible mais outre-Rhin, ces scandales à répétition repris par les réseaux d’influence anti-TTIP attisent le sentiment de défiance envers l’allié d’outre-Atlantique.
Stratégie Française d’évitement de l’affrontement informationnel
Si les anti-TTIP allemands ont remarquablement utilisé les « scandales » récents sur la duplicité de l’allié américain et sur les risques que pourraient faire causer l’ISDS sur les choix démocratiques, fédérant bien au-delà de la gauche antimondialiste, la société Française, pourtant traditionnellement défiante vis-à-vis de l’hégémonisme américain et des principes du libre-échange, se désintéresse pour l’instant du TTIP.
Le gouvernement et les pro-TTIP y voient une opportunité car ils savent qu’il est difficile de convaincre en se basant sur des études économiques contestées laissant entrevoir un peu de croissance supplémentaire, quand les opposants peuvent si facilement mettre en avant des arguments simples et immédiats de risques pour la santé, l’emploi, les libertés individuelles et la démocratie. Ils préfèrent donc ne pas combattre les anti-TIPP, laissant la commission européenne à la manœuvre, et évitant une médiatisation qui serait probablement défavorable à leur cause. Cette stratégie, apparemment pragmatique et payante à court terme est risquée à moyen terme.
Plutôt que d’éluder le débat, en prévision d’une éventuelle signature du TTIP, il est impératif que dès à présent la société civile française, le monde des affaires et le monde politique soient conscients des enjeux, des risques mais également des opportunités. Ils doivent être préparés à l’affrontement économique que l’on ne pourra pas esquiver le jour où les barrières seront levées. La France et l’Europe devront disposer des mêmes armes que leurs alliés…et savoir s’en servir.