La Turquie a subi le samedi 10 octobre le plus meurtrier de ses attentats, au cours d’une manifestation pour la paix organisée par des groupes de la société civile de tendance gauche et pro-kurde. Le bilan fait état de 97 morts. On peut s’interroger sur le comportement du gouvernement d’Erdogan suite à cet événement.
Des faits troublants
D’après Alexandre Billette(1), le gouvernement s’est empressé de désigner quatre suspects : le DHKPC (Parti-front Révolutionnaire de Libération du Peuple), Daech (nom arabe de l’Etat Islamique), le HDP (Parti Démocratique des Peuples) et le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes). Or, ces deux dernières incriminations sont objectivement peu probables compte tenu des victimes au sein même de ces deux partis. Le gouvernement turc a réagi en « interdisant aux médias de couvrir l’attentat et en bloquant l’accès aux réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter ». Plusieurs éléments par ailleurs sont troublants : le mode opératoire du double-attentat suicide ressemble fortement aux attentas de Diyarbakir en Juin et de Suruç en juillet 2015 mais aucune revendication n’a été faite alors que Daech a toujours revendiqué ses attentats. Curieusement, il n’y avait quasiment pas de contrôles, ni de présence policière de masse à Ankara pour encadrer la manifestation.
La pression sur les électeurs
La tentative d’Erdogan de se rapprocher du PKK avec le processus de paix depuis 2 ans et demi a volé en éclat depuis la perte de la majorité absolue au parlement avec les 80 sièges gagnés par le HDP le 7 juin. L’impossibilité de créer un gouvernement de coalition a amené Erdogan à organiser de nouvelles élections législatives le 1er novembre. Notons que le PKK se trouve sur la liste des organisations terroristes en Turquie, en France, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, ce qui permet à Erdogan de justifier ses soupçons. Les attentats précédents ont permis par ailleurs à Erdogan d’affaiblir les positions Kurdes en Turquie et en Syrie sous prétexte d’attaquer celles de Daech. Sa volonté de faire tomber les Kurdes et le régime de Bachar El Assad est une nécessité pour réaliser son dessein d’« ottomaniser » la région, comme le dit René Dzagoyan(2). 400 attaques coordonnées menées par l’extrême- droite turque ont eu lieu dans tout le pays contre des locaux du HDP depuis les élections du 7 juin, ce qui révèle un climat ouvertement hostile envers les pro-kurdes. D’après Marc Semo, l’instauration d’un climat de chaos et de peur avant le scrutin du 1er novembre permettrait à l’AKP de rassembler les turcs derrière lui et une partie des nationalistes qui avaient tourné le dos à ce parti(3). Le premier ministre Ahmet Davutoglu a d’ailleurs rapidement confirmé le maintien des élections. Et le gouvernement a appelé à une réunion les partis CHP Kémaliste et le MHP nationaliste, en excluant le parti pro-kurde HDP accusé d’attiser la haine envers le gouvernement.
Tous ces éléments montrent à quel point le gouvernement cherche à isoler les Kurdes, et notamment le PKK. Ainsi, on peut s’interroger sur la récupération politique des attentats : ne serviraient-ils pas la stratégie d’Erdogan de rassembler son pays au bord de la guerre civile ?
Références :
(1) BILLETTE, Alexandre, « La Turquie touchée par l’attentat le plus meurtrier de son histoire », in La Croix du 12 octobre 2015, pp.2-3.
(2) DZAGOYAN, René, « Ottomaniaques » in Nouvelles d’Arménie Magazine, n°221, p. 114.
(3) SEMO, Marc, du journal Libération, débat sur France 24 le 12 octobre 2015.
Des faits troublants
D’après Alexandre Billette(1), le gouvernement s’est empressé de désigner quatre suspects : le DHKPC (Parti-front Révolutionnaire de Libération du Peuple), Daech (nom arabe de l’Etat Islamique), le HDP (Parti Démocratique des Peuples) et le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes). Or, ces deux dernières incriminations sont objectivement peu probables compte tenu des victimes au sein même de ces deux partis. Le gouvernement turc a réagi en « interdisant aux médias de couvrir l’attentat et en bloquant l’accès aux réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter ». Plusieurs éléments par ailleurs sont troublants : le mode opératoire du double-attentat suicide ressemble fortement aux attentas de Diyarbakir en Juin et de Suruç en juillet 2015 mais aucune revendication n’a été faite alors que Daech a toujours revendiqué ses attentats. Curieusement, il n’y avait quasiment pas de contrôles, ni de présence policière de masse à Ankara pour encadrer la manifestation.
La pression sur les électeurs
La tentative d’Erdogan de se rapprocher du PKK avec le processus de paix depuis 2 ans et demi a volé en éclat depuis la perte de la majorité absolue au parlement avec les 80 sièges gagnés par le HDP le 7 juin. L’impossibilité de créer un gouvernement de coalition a amené Erdogan à organiser de nouvelles élections législatives le 1er novembre. Notons que le PKK se trouve sur la liste des organisations terroristes en Turquie, en France, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, ce qui permet à Erdogan de justifier ses soupçons. Les attentats précédents ont permis par ailleurs à Erdogan d’affaiblir les positions Kurdes en Turquie et en Syrie sous prétexte d’attaquer celles de Daech. Sa volonté de faire tomber les Kurdes et le régime de Bachar El Assad est une nécessité pour réaliser son dessein d’« ottomaniser » la région, comme le dit René Dzagoyan(2). 400 attaques coordonnées menées par l’extrême- droite turque ont eu lieu dans tout le pays contre des locaux du HDP depuis les élections du 7 juin, ce qui révèle un climat ouvertement hostile envers les pro-kurdes. D’après Marc Semo, l’instauration d’un climat de chaos et de peur avant le scrutin du 1er novembre permettrait à l’AKP de rassembler les turcs derrière lui et une partie des nationalistes qui avaient tourné le dos à ce parti(3). Le premier ministre Ahmet Davutoglu a d’ailleurs rapidement confirmé le maintien des élections. Et le gouvernement a appelé à une réunion les partis CHP Kémaliste et le MHP nationaliste, en excluant le parti pro-kurde HDP accusé d’attiser la haine envers le gouvernement.
Tous ces éléments montrent à quel point le gouvernement cherche à isoler les Kurdes, et notamment le PKK. Ainsi, on peut s’interroger sur la récupération politique des attentats : ne serviraient-ils pas la stratégie d’Erdogan de rassembler son pays au bord de la guerre civile ?
Références :
(1) BILLETTE, Alexandre, « La Turquie touchée par l’attentat le plus meurtrier de son histoire », in La Croix du 12 octobre 2015, pp.2-3.
(2) DZAGOYAN, René, « Ottomaniaques » in Nouvelles d’Arménie Magazine, n°221, p. 114.
(3) SEMO, Marc, du journal Libération, débat sur France 24 le 12 octobre 2015.