Rappel : L’enjeu stratégique de l’émigration des jeunes diplômés français
Depuis de nombreuses années, une rumeur grandissante veut que les plus brillants chercheurs français soient régulièrement invités aux Etats-Unis, où un pont d'or leur serait offert pour les capter définitivement. Ces derniers mois, de nombreux quotidiens ont parlé de fuite des cerveaux, d’exil des jeunes diplômés. Ces articles sont ils la source de cette rumeur, ou bien participent ils d'une angoisse générale ? Au plus fort de la crise, plongé dans le marasme du chômage, de l'augmentation des prix et des taxes, l'épouvantail de l'exode des capitaux, des chefs d'entreprise et des cerveaux revient régulièrement à la une des quotidiens, mais aussi au Sénat où une commission a étudié la question au début des années 2000.
Quelle est la réalité de cette fuite des cerveaux ?
Le taux d'expatriation a augmenté de 60 % depuis 2003. Cette notion d'expatriation recouvre différents aspects, par ses motivations et les pays de destination. En effet, parler de fuite des cerveaux ne peut se concevoir que pour une partie de ces expatriés, les diplômés de grandes écoles, les chercheurs, les ingénieurs ayant soutenu une thèse. La commission du sénat donne comme chiffre de l'expatriation au 31 décembre 2012, 1 611 054 Français inscrits au registre des Français établis hors de France dont 125 200 aux Etats-Unis. En 2001 déjà, un rapport du Sénat évoquait « l’attraction indéniable exercée par un pays qui donne une priorité à son développement scientifique et technologique, et qui agit en véritable “aspirateur de talents”. »
L'institut Montaigne, qui est un think tank, (« réservoir d'idées ») français dont l'expertise porte sur les enjeux à long terme auxquels la France et l'Europe sont confrontées, a publié un rapport Gone for good, partis pour de bon, sur l'expatriation des chercheurs français. Selon ce rapport, sur 122 600 expatriés partis aux Etats-Unis, 33 000 sont des chercheurs, docteurs partis faire leurs post-doctorats dans une université américaine. 75 % ne reviendront pas.
Sachant qu'aujourd'hui la R& D est la base de tout développement industriel, la perte de ces chercheurs devient dangereuse en fonction du nombre de brevets perdus. En 2012, les USA déposent 56 688 brevets selon la dernière étude de l'OEB contre 12 107 pour la France. Combien de ces brevets américains viennent de chercheurs français expatriés ? Cette perte peut être quantifiée par le nombre de parutions dans les revues scientifiques anglo-saxonnes de premier plan.
Gone for good nous apprend que sur les 20 biologistes français mondialement reconnus, 10 travaillent aux Etats-Unis. Selon Benoît Jubin et Pascal Ligneres, 40% des meilleurs économistes et biologistes dont les publications bénéficient d’une forte reconnaissance internationale, ont émigré aux Etats-Unis. Pour autant, cet exode intellectuel ne s’évalue pas seulement en perte de brevets : les 100 meilleurs économistes mondiaux comprennent 6 français, dont 3 aux Etats-Unis, occupant des postes prestigieux. L'influence de ces 3 économistes est prépondérante dans les milieux financiers. Sur les cinq prix Nobel attribués à la France dans le domaine médical depuis 1945, deux ont été décernés à des scientifiques français qui travaillaient aux États-Unis au moment où ils ont obtenu cette récompense. La majorité des professeurs et chercheurs français ou formés en France et exerçant aux Etats-Unis viennent de grandes écoles. Dans les grandes universités américaines, sur 70 chercheurs et professeurs français, on compte 30 normaliens, 12 polytechniciens et 28 universitaires. Cette élite française représente certainement un formidable atout pour le rayonnement de la France aux Etats-Unis, pourtant la question de l'équité de l'échange reste posée, ne serait-ce que pour le coût moyen de ces formations d’un montant de 120 000€, est assumé par la collectivité nationale.
Est-ce le résultat d’une stratégie de puissance des Etats-Unis ?
Les causes évidentes semblent en première analyse imputables au système français. Le processus de Bologne initié par Claude Allègre, ministre de l’enseignement, est un processus de rapprochement des systèmes d'enseignement supérieur européens initié en 1999 et qui a conduit à la création en 2010 de l'Espace européen de l'enseignement supérieur. Depuis, les universités et les grandes écoles françaises ont toutes établi des partenariats avec notamment les universités américaines. Ce processus de Bologne a profondément modifié les parcours des étudiants. L’OCDE indique que le nombre d’étudiants qui poursuivent leurs études à l’étranger est passé de 1,3 million en 1990, à 3 millions en 2007. 30% des docteurs formés en France poursuivent une formation en post-doctorat aux Etats-Unis. Cette formation permet d’étendre et approfondir leur domaine d’expertise sur trois à quatre ans, selon le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En France, le ministère des Affaires étrangères soutient depuis 2002 le programme « Alliance » entre 3 universités françaises, d’une part l’Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne, l’École Polytechnique et Sciences Po-Paris d’autre part l’université américaine Columbia, à laquelle s’ajoutent maintenant le MIT, Harvard, Stanford, etc.
L’objectif de ce partenariat est d’accroître la mobilité des étudiants, chercheurs et enseignants, d’intensifier la coopération franco-américaine en matière de recherche, tout en stimulant et facilitant la recherche, avec un accent particulier sur les approches pluridisciplinaires et les problématiques liées à la mondialisation. Ce partenariat est mené par l'ambassade de France à Washington avec la National Sciences and Foundation entre les écoles et universités françaises et les universités américaines. La National Science and Foundation (NSF) a été crée en 1950 pour « promouvoir le progrès des sciences, améliorer la santé, la prospérité, et le bien-être nationaux ainsi qu’assurer la défense nationale . C'est un organisme fédéral dépositaire de fonds pour soutenir financièrement la recherche scientifique fondamentale, équivalent américain du CNRS en France. La NSF fonctionne principalement par l'établissement de subventions de recherche (research grants), à des universités, des laboratoires, ou des individus (directeurs de laboratoires, chargés de recherche, ou étudiants en maîtrise ou doctorat). La NSF est habilitée à établir des partenariats avec des organismes étrangers. La NSF, partenaire des écoles et universités françaises, participe aussi à des groupe de travail américain, notamment sous l'égide de la NSA. Par exemple, la NSF et la NSA travaillent ensemble sur les systèmes cyber- physiques sécurisés. Rappelons que la mise en place du programme Networking and Information Technology Research and Development (NITRD) vise à soutenir le leadership technologique américain dans le cadre de la recherche scientifique pour la sécurité nationale, la communication et le commerce.
Le constat est alarmant
L'administration française non seulement coopère mais recherche des alliances et des partenariats avec les universités américaines. Le système français universitaire et de la recherche décourage les jeunes chercheurs par les difficultés d’obtention de postes et de crédits, par le faible niveau des rémunérations. La France qui connaît une grave crise économique, une préoccupante perte d'emplois et surtout un manque d'entreprises innovantes, est de moins en moins présente dans les grands contrats internationaux, et ne semble pas investir en R&D dans les techniques de l'information et de la communication, offre l'élite de ses chercheurs et universitaires à la puissance américaine, alors que les objectifs avoués et publics du gouvernement américain sont de développer les technologies du futur pour affermir leur leadership. Cet exode de cerveaux, bien réel, n'est pas imputable aux Etats-Unis, quoique servant leur stratégie de puissance, mais bien à notre aveuglement.
Denis Beaurain
Sources
http://france-science.org/Young-Engineer-Science-Symposium.html
(La nouvelle guerre pour les cerveaux, Mémoire d’ingénieurs élèves, École nationale des Mines de Paris, 2007),
(CPS VO.org / group / SOS) Trusted Systems Research Group.
http://www.facecouncil.org/education/questions.html
http://www.challenges.fr/economie/20120323.CHA4628/depot-de-brevets-la-france-derriere-la-chine-et-la-coree.html
http://www.france-science.org/Petit-Dejeuner-Scientifique,2393.html
http://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm04_057.htm
http://www.columbia.edu/cu/alliance/Alliance_Brochure_2010.pdf
http://www.france-science.org/Accords-scientifiques-France-USA.html
Quelle est la réalité de cette fuite des cerveaux ?
Le taux d'expatriation a augmenté de 60 % depuis 2003. Cette notion d'expatriation recouvre différents aspects, par ses motivations et les pays de destination. En effet, parler de fuite des cerveaux ne peut se concevoir que pour une partie de ces expatriés, les diplômés de grandes écoles, les chercheurs, les ingénieurs ayant soutenu une thèse. La commission du sénat donne comme chiffre de l'expatriation au 31 décembre 2012, 1 611 054 Français inscrits au registre des Français établis hors de France dont 125 200 aux Etats-Unis. En 2001 déjà, un rapport du Sénat évoquait « l’attraction indéniable exercée par un pays qui donne une priorité à son développement scientifique et technologique, et qui agit en véritable “aspirateur de talents”. »
L'institut Montaigne, qui est un think tank, (« réservoir d'idées ») français dont l'expertise porte sur les enjeux à long terme auxquels la France et l'Europe sont confrontées, a publié un rapport Gone for good, partis pour de bon, sur l'expatriation des chercheurs français. Selon ce rapport, sur 122 600 expatriés partis aux Etats-Unis, 33 000 sont des chercheurs, docteurs partis faire leurs post-doctorats dans une université américaine. 75 % ne reviendront pas.
Sachant qu'aujourd'hui la R& D est la base de tout développement industriel, la perte de ces chercheurs devient dangereuse en fonction du nombre de brevets perdus. En 2012, les USA déposent 56 688 brevets selon la dernière étude de l'OEB contre 12 107 pour la France. Combien de ces brevets américains viennent de chercheurs français expatriés ? Cette perte peut être quantifiée par le nombre de parutions dans les revues scientifiques anglo-saxonnes de premier plan.
Gone for good nous apprend que sur les 20 biologistes français mondialement reconnus, 10 travaillent aux Etats-Unis. Selon Benoît Jubin et Pascal Ligneres, 40% des meilleurs économistes et biologistes dont les publications bénéficient d’une forte reconnaissance internationale, ont émigré aux Etats-Unis. Pour autant, cet exode intellectuel ne s’évalue pas seulement en perte de brevets : les 100 meilleurs économistes mondiaux comprennent 6 français, dont 3 aux Etats-Unis, occupant des postes prestigieux. L'influence de ces 3 économistes est prépondérante dans les milieux financiers. Sur les cinq prix Nobel attribués à la France dans le domaine médical depuis 1945, deux ont été décernés à des scientifiques français qui travaillaient aux États-Unis au moment où ils ont obtenu cette récompense. La majorité des professeurs et chercheurs français ou formés en France et exerçant aux Etats-Unis viennent de grandes écoles. Dans les grandes universités américaines, sur 70 chercheurs et professeurs français, on compte 30 normaliens, 12 polytechniciens et 28 universitaires. Cette élite française représente certainement un formidable atout pour le rayonnement de la France aux Etats-Unis, pourtant la question de l'équité de l'échange reste posée, ne serait-ce que pour le coût moyen de ces formations d’un montant de 120 000€, est assumé par la collectivité nationale.
Est-ce le résultat d’une stratégie de puissance des Etats-Unis ?
Les causes évidentes semblent en première analyse imputables au système français. Le processus de Bologne initié par Claude Allègre, ministre de l’enseignement, est un processus de rapprochement des systèmes d'enseignement supérieur européens initié en 1999 et qui a conduit à la création en 2010 de l'Espace européen de l'enseignement supérieur. Depuis, les universités et les grandes écoles françaises ont toutes établi des partenariats avec notamment les universités américaines. Ce processus de Bologne a profondément modifié les parcours des étudiants. L’OCDE indique que le nombre d’étudiants qui poursuivent leurs études à l’étranger est passé de 1,3 million en 1990, à 3 millions en 2007. 30% des docteurs formés en France poursuivent une formation en post-doctorat aux Etats-Unis. Cette formation permet d’étendre et approfondir leur domaine d’expertise sur trois à quatre ans, selon le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En France, le ministère des Affaires étrangères soutient depuis 2002 le programme « Alliance » entre 3 universités françaises, d’une part l’Université de Paris I - Panthéon-Sorbonne, l’École Polytechnique et Sciences Po-Paris d’autre part l’université américaine Columbia, à laquelle s’ajoutent maintenant le MIT, Harvard, Stanford, etc.
L’objectif de ce partenariat est d’accroître la mobilité des étudiants, chercheurs et enseignants, d’intensifier la coopération franco-américaine en matière de recherche, tout en stimulant et facilitant la recherche, avec un accent particulier sur les approches pluridisciplinaires et les problématiques liées à la mondialisation. Ce partenariat est mené par l'ambassade de France à Washington avec la National Sciences and Foundation entre les écoles et universités françaises et les universités américaines. La National Science and Foundation (NSF) a été crée en 1950 pour « promouvoir le progrès des sciences, améliorer la santé, la prospérité, et le bien-être nationaux ainsi qu’assurer la défense nationale . C'est un organisme fédéral dépositaire de fonds pour soutenir financièrement la recherche scientifique fondamentale, équivalent américain du CNRS en France. La NSF fonctionne principalement par l'établissement de subventions de recherche (research grants), à des universités, des laboratoires, ou des individus (directeurs de laboratoires, chargés de recherche, ou étudiants en maîtrise ou doctorat). La NSF est habilitée à établir des partenariats avec des organismes étrangers. La NSF, partenaire des écoles et universités françaises, participe aussi à des groupe de travail américain, notamment sous l'égide de la NSA. Par exemple, la NSF et la NSA travaillent ensemble sur les systèmes cyber- physiques sécurisés. Rappelons que la mise en place du programme Networking and Information Technology Research and Development (NITRD) vise à soutenir le leadership technologique américain dans le cadre de la recherche scientifique pour la sécurité nationale, la communication et le commerce.
Le constat est alarmant
L'administration française non seulement coopère mais recherche des alliances et des partenariats avec les universités américaines. Le système français universitaire et de la recherche décourage les jeunes chercheurs par les difficultés d’obtention de postes et de crédits, par le faible niveau des rémunérations. La France qui connaît une grave crise économique, une préoccupante perte d'emplois et surtout un manque d'entreprises innovantes, est de moins en moins présente dans les grands contrats internationaux, et ne semble pas investir en R&D dans les techniques de l'information et de la communication, offre l'élite de ses chercheurs et universitaires à la puissance américaine, alors que les objectifs avoués et publics du gouvernement américain sont de développer les technologies du futur pour affermir leur leadership. Cet exode de cerveaux, bien réel, n'est pas imputable aux Etats-Unis, quoique servant leur stratégie de puissance, mais bien à notre aveuglement.
Denis Beaurain
Sources
http://france-science.org/Young-Engineer-Science-Symposium.html
(La nouvelle guerre pour les cerveaux, Mémoire d’ingénieurs élèves, École nationale des Mines de Paris, 2007),
(CPS VO.org / group / SOS) Trusted Systems Research Group.
http://www.facecouncil.org/education/questions.html
http://www.challenges.fr/economie/20120323.CHA4628/depot-de-brevets-la-france-derriere-la-chine-et-la-coree.html
http://www.france-science.org/Petit-Dejeuner-Scientifique,2393.html
http://www.bulletins-electroniques.com/rapports/smm04_057.htm
http://www.columbia.edu/cu/alliance/Alliance_Brochure_2010.pdf
http://www.france-science.org/Accords-scientifiques-France-USA.html