90% des produits du commerce mondial passent aujourd’hui par la voie maritime. Cette évolution est inextricablement liée au phénomène de mondialisation dont il est l’un des principaux vecteurs car c’est en effet par la mer que transitent les matières premières et les biens manufacturés. L’étude du commerce maritime est cependant rendu complexe par les strates multiples qui existent au sein d’une opération de transport d’une marchandise d’un port à un autre et qui multiplient les acteurs: l’armateur (qui fournit l’équipage, le matériel et le ravitaillement), l’affréteur (qui fournit le navire), le port d’accueil et de départ où rentrent en jeu les manutentionnaires, les sociétés de remorquage, de pilotage, les propriétaires des marchandises, les vecteurs d’une usine à une autre,… A ces acteurs concrets, il faut ajouter l’appareil administratif qui entoure le commerce maritime: les agents, les commissionnaires, les assureurs. Tous ces acteurs rentrent en interaction et peuvent parfois engendrer des lourdeurs administratives, dont par exemple la gestion d’un retard de livraison qui prend rapidement une grand importance, au vu des enjeux et des acteurs. Enfin, pour mesurer la puissance de cette industrie, il convient de rappeler qu’en 2010 le tonnage mondial, en constante augmentation, s’élevait à 1 276 millions de tonnes de port en lourd.
L’exemplarité danoise : le cas de l’entreprise Maersk
Dans ce contexte, l’armateur est l’acteur dont l’action est la plus visible puisque c’est lui qui est responsable de l’acheminement de la marchandise sur la mer et c’est véritablement son action qui fait la spécificité du transport maritime. Parmi les armateurs, Maersk tient une place toute particulière. Cet armateur danois se différencie de ses concurrents tout d'abord par sa taille. Déjà en 2002 avec 264 navires, il représentait plus de 9 % de la capacité mondiale de transport conteneurisé. Son concurrent, MSC, second armateur mondial posséder une capacité de transport presque deux fois moindre par rapport à Maersk. Cet armateur étant à la première place du premier moyen de transport de marchandises du monde, il est intéressant de s'interroger sur sa politique d'accroissement de puissance et sur sa mise en œuvre.
Le premier aspect est tout d'abord géographique. En effet, fondée en 1928, la compagnie exploitait alors une ligne transpacifique est-ouest, quarante ans plus tard elle développe une ligne entre l'Europe et l’Extrême-Orient. En 1975 ces deux lignes s'adaptent à la conteneurisation, c'est-à-dire à l'utilisation des conteneurs standards qui révolutionnent le transport de marchandises dans les années 60. Le développement de la puissance de Maersk va reposer sur la connexion de ces deux lignes : en 1984 l'armateur inaugure un service maritime unissant la côte ouest des États-Unis au Moyen-Orient grâce a une opération de transbordement à Hong Kong : les conteneurs empruntant la ligne transpacifique puis la ligne Europe Extrême-Orient. Cette technique permet de desservir de nouveaux marchés, elle devient la pierre angulaire de la stratégie de l'armateur pour desservir de nouveaux marchés. On constatera donc l’ouverture des noeuds d’Algeciras et de Dubaï qui permettent de desservir le secteur ouest de la Méditerranée et de prendre pieds sur les côtes est et ouest de l’Afrique. Algeciras est un exemple intéressant car il révèle une véritable innovation dans la pensée du transport maritime. Il ne dessert aucun hinterland mais permet l'articulation de marchés régionaux plus ou moins proches en renforçant l'axe est-ouest traditionnel desservi par l’armateur. Grâce à l’utilisation intelligente de cette stratégie, Maersk rachète différentes entreprises qui lui permettent de renforcer ses hubs puisque les navires anciennement affectés sur la ligne est-ouest sont affectés sur les routes maritimes nord-sud, la ligne traditionnelle étant desservie par des navires à la pointe de la technologie. Grâce a cette adaptation perpétuelle, au renforcement du réseau « Hub and Spoke », et à cette stratégie offensive de l'armateur dans le rachat de ses concurrents, Maersk devient un armement de niche. De fait l'armateur danois occupe une position de monopole dans de nombreux ports et de dessertes majoritaires dans de nombreux autres (environ 150). L'accroissement de puissance de l'armateur passe aussi par la diversité des services qu'il propose, notamment le service des terminaux, c'est à dire des ports, par l’intermédiaire de sa filiale APM Terminals, surtout dans des ports secondaires qu'il transforme petit à petit en noeud. Cette stratégie se poursuit aujourd'hui notamment en Turquie où APM Terminal prévoit de s'implanter en 2015.
Le caractère familial de Maersk est là aussi en facteur d'accroissement de puissance non négligeable puisqu'il permet à la fois une grande maîtrise de la communication d'entreprise et une grande réactivité, peut-être à mettre en rapport avec l’innovation perpétuelle dont l’armateur fait preuve, tant dans la stratégie d’entreprise que dans la rénovation perpétuelle de sa flotte. Lors de la publication des résultats de 2014 (annonçant un bénéfice de 685 millions de dollars au troisième trimestre), le directeur Soren Skou a annoncé la commande d’une nouvelle génération de navires, alors que s’achevait à peine la livraison de la série triple-E.
Enfin la politique d'alliance menée par l'armateur est aussi un moyen d'accroître sa puissance notamment avec la mise en place en janvier de l'alliance 2M entre Maersk et MSC.
Points forts de cette stratégie
Le savoir-faire ancien de la compagnie a permis une implantation durable, difficile maintenant de remettre en cause. Celle-ci ayant été à la pointe de l’innovation elle a réussi à s'imposer, et ses concurrents n’ont pu que s’aligner sur cette stratégie tandis que l'armateur développait déjà de nouvelles innovations. L'utilisation des nœuds c'est-à-dire leur mise en place dans des ports secondaires et leur exploitation par une filiale de Maersk au service de la transversale est-ouest a permis une maîtrise des coûts tout au long de la chaîne de transport et une utilisation optimale de ce réseau qui structure désormais les échanges mondiaux. Le caractère familial de l'entreprise permet une grande réactivité de l'entreprise tant sur sa communication, que sur ses innovations. En effet, l'image de l'entreprise semble tout à fait maîtrisée, elle ne présente quasiment aucune aspérité. Cependant celle-ci fut au cœur de quelques affaires, entre autres de corruption. Récemment un directeur de Petrobras, Paolo Roberto Costa, mis en cause dans une affaire de corruption a affirmé que des pots-de-vin ont été payés à plusieurs compagnies de transport dont Maersk. Immédiatement l'armateur a démenti avoir un quelconque rapport avec Costa et a proposé son aide aux autorités fédérales brésiliennes pour résoudre cette affaire. Cependant cette communication peut prendre une facette plus étonnante : le logo Maersk commence à se répandre dans la culture populaire au-delà des milieux maritimes grâce à différents moyens. Le film à grand succès Captain Phillips rappelait la prise d'otage par des pirates somaliens du capitaine du Maersk Alabama, nous faisant passer la plus part du film sur l’un des navires au logo étoilé. Enfin, le logo apparaît aussi dans les jeux pour enfants Lego, le « Triple-E de Maersk Line » dans la série des Lego Creator, seul objet de la série représentant une entreprise. Si ces deux éléments peuvent sembler anecdotiques, ils révèlent cependant la volonté de l'armateur de s'affirmer comme emblématique du monde maritime pour le plus grand nombre, à travers une communication tout azimut et très efficace.
Enfin la multiplicité des activités de l’entreprise lui donne la capacité d'affronter les crises et d’y faire face. En effet, dans le contexte actuel de réduction du cours du pétrole, l’entreprise se veut particulièrement rassurante puisque réduire ses activités pétrolières, à travers sa filiale Maersk Oil, ne représentera qu'une réduction des gains d'une partie de l'entreprise, une parmi d’autres.
Les recherches menées dans le cas de Maersk ont été rendues difficiles par la parfaite maîtrise de la communication de l'armateur qui apparaît ici comme un véritable mode de dissimulation. En effet l'opacité que permet le fonctionnement de l'entreprise rend difficilement lisible une stratégie à long terme, souvent marquée par des innovations importantes, tant d'un point de vue stratégique que technique.
Résultat
Le résultat de ces stratégies combinées d'accroissement de puissance est tout simplement la place de l'armateur parmi tous ses concurrents. En effet depuis des décennies Maersk est de loin le premier transporteur maritime et ne cesse de poursuivre cette voie. APM, la nouvelle unité d'activité de base du groupe réalise un bénéfice de 119 millions de dollars au troisième trimestre, à la même période l'année dernière il n'en avait réalisé que 114. La compagnie exploitation offshore Maersk Supply Service , affichait un bénéfice de 61 millions de dollars en 2013, désormais, à la même période, le bénéfice est de 79 millions de dollars. Il en va de même pour APM Terminal qui voit une nette augmentation de ses bénéfices passant de 203 millions l'année dernière à 345 millions de dollars en 2014. Touchée par l'effondrement des prix du pétrole, la filière pétrolière réalise tout de même un bénéfice de 222 millions de dollars au dernier trimestre 2014.
Il est visible que la stratégie de l’entreprise est payante et que grâce à cette volonté et son habileté à l’assumer lui permet d’être la première.
Aymeric Duermaël
Sources
Ouvrages et périodiques
The Financial Time
Note de synthèse de l’Institut Supérieur d’Economie Maritime
Hors série Navigation, Port et Intermodalité, Guide du conteneur fluvial
Antoine Frémont, AP. Møller : Leader mondial du transport maritime
Antoine Frémont, Le Monde en Boîte, conteneurisation et mondialisation.
Thomas Børve & Morten Hejlesen, DAILY MAERSK: Opening up a new route to the high end
Hervé Baudu, Bulletin de l’ENSM du 14 février 2013
Internet
www.shippingwatch.com (site de veille sur les actualités maritimes)
www.lantenne.com/Benefices-multiplies-par-trois-chez-Maersk-Line_a16495.html
www.meretmarine.com
L’exemplarité danoise : le cas de l’entreprise Maersk
Dans ce contexte, l’armateur est l’acteur dont l’action est la plus visible puisque c’est lui qui est responsable de l’acheminement de la marchandise sur la mer et c’est véritablement son action qui fait la spécificité du transport maritime. Parmi les armateurs, Maersk tient une place toute particulière. Cet armateur danois se différencie de ses concurrents tout d'abord par sa taille. Déjà en 2002 avec 264 navires, il représentait plus de 9 % de la capacité mondiale de transport conteneurisé. Son concurrent, MSC, second armateur mondial posséder une capacité de transport presque deux fois moindre par rapport à Maersk. Cet armateur étant à la première place du premier moyen de transport de marchandises du monde, il est intéressant de s'interroger sur sa politique d'accroissement de puissance et sur sa mise en œuvre.
Le premier aspect est tout d'abord géographique. En effet, fondée en 1928, la compagnie exploitait alors une ligne transpacifique est-ouest, quarante ans plus tard elle développe une ligne entre l'Europe et l’Extrême-Orient. En 1975 ces deux lignes s'adaptent à la conteneurisation, c'est-à-dire à l'utilisation des conteneurs standards qui révolutionnent le transport de marchandises dans les années 60. Le développement de la puissance de Maersk va reposer sur la connexion de ces deux lignes : en 1984 l'armateur inaugure un service maritime unissant la côte ouest des États-Unis au Moyen-Orient grâce a une opération de transbordement à Hong Kong : les conteneurs empruntant la ligne transpacifique puis la ligne Europe Extrême-Orient. Cette technique permet de desservir de nouveaux marchés, elle devient la pierre angulaire de la stratégie de l'armateur pour desservir de nouveaux marchés. On constatera donc l’ouverture des noeuds d’Algeciras et de Dubaï qui permettent de desservir le secteur ouest de la Méditerranée et de prendre pieds sur les côtes est et ouest de l’Afrique. Algeciras est un exemple intéressant car il révèle une véritable innovation dans la pensée du transport maritime. Il ne dessert aucun hinterland mais permet l'articulation de marchés régionaux plus ou moins proches en renforçant l'axe est-ouest traditionnel desservi par l’armateur. Grâce à l’utilisation intelligente de cette stratégie, Maersk rachète différentes entreprises qui lui permettent de renforcer ses hubs puisque les navires anciennement affectés sur la ligne est-ouest sont affectés sur les routes maritimes nord-sud, la ligne traditionnelle étant desservie par des navires à la pointe de la technologie. Grâce a cette adaptation perpétuelle, au renforcement du réseau « Hub and Spoke », et à cette stratégie offensive de l'armateur dans le rachat de ses concurrents, Maersk devient un armement de niche. De fait l'armateur danois occupe une position de monopole dans de nombreux ports et de dessertes majoritaires dans de nombreux autres (environ 150). L'accroissement de puissance de l'armateur passe aussi par la diversité des services qu'il propose, notamment le service des terminaux, c'est à dire des ports, par l’intermédiaire de sa filiale APM Terminals, surtout dans des ports secondaires qu'il transforme petit à petit en noeud. Cette stratégie se poursuit aujourd'hui notamment en Turquie où APM Terminal prévoit de s'implanter en 2015.
Le caractère familial de Maersk est là aussi en facteur d'accroissement de puissance non négligeable puisqu'il permet à la fois une grande maîtrise de la communication d'entreprise et une grande réactivité, peut-être à mettre en rapport avec l’innovation perpétuelle dont l’armateur fait preuve, tant dans la stratégie d’entreprise que dans la rénovation perpétuelle de sa flotte. Lors de la publication des résultats de 2014 (annonçant un bénéfice de 685 millions de dollars au troisième trimestre), le directeur Soren Skou a annoncé la commande d’une nouvelle génération de navires, alors que s’achevait à peine la livraison de la série triple-E.
Enfin la politique d'alliance menée par l'armateur est aussi un moyen d'accroître sa puissance notamment avec la mise en place en janvier de l'alliance 2M entre Maersk et MSC.
Points forts de cette stratégie
Le savoir-faire ancien de la compagnie a permis une implantation durable, difficile maintenant de remettre en cause. Celle-ci ayant été à la pointe de l’innovation elle a réussi à s'imposer, et ses concurrents n’ont pu que s’aligner sur cette stratégie tandis que l'armateur développait déjà de nouvelles innovations. L'utilisation des nœuds c'est-à-dire leur mise en place dans des ports secondaires et leur exploitation par une filiale de Maersk au service de la transversale est-ouest a permis une maîtrise des coûts tout au long de la chaîne de transport et une utilisation optimale de ce réseau qui structure désormais les échanges mondiaux. Le caractère familial de l'entreprise permet une grande réactivité de l'entreprise tant sur sa communication, que sur ses innovations. En effet, l'image de l'entreprise semble tout à fait maîtrisée, elle ne présente quasiment aucune aspérité. Cependant celle-ci fut au cœur de quelques affaires, entre autres de corruption. Récemment un directeur de Petrobras, Paolo Roberto Costa, mis en cause dans une affaire de corruption a affirmé que des pots-de-vin ont été payés à plusieurs compagnies de transport dont Maersk. Immédiatement l'armateur a démenti avoir un quelconque rapport avec Costa et a proposé son aide aux autorités fédérales brésiliennes pour résoudre cette affaire. Cependant cette communication peut prendre une facette plus étonnante : le logo Maersk commence à se répandre dans la culture populaire au-delà des milieux maritimes grâce à différents moyens. Le film à grand succès Captain Phillips rappelait la prise d'otage par des pirates somaliens du capitaine du Maersk Alabama, nous faisant passer la plus part du film sur l’un des navires au logo étoilé. Enfin, le logo apparaît aussi dans les jeux pour enfants Lego, le « Triple-E de Maersk Line » dans la série des Lego Creator, seul objet de la série représentant une entreprise. Si ces deux éléments peuvent sembler anecdotiques, ils révèlent cependant la volonté de l'armateur de s'affirmer comme emblématique du monde maritime pour le plus grand nombre, à travers une communication tout azimut et très efficace.
Enfin la multiplicité des activités de l’entreprise lui donne la capacité d'affronter les crises et d’y faire face. En effet, dans le contexte actuel de réduction du cours du pétrole, l’entreprise se veut particulièrement rassurante puisque réduire ses activités pétrolières, à travers sa filiale Maersk Oil, ne représentera qu'une réduction des gains d'une partie de l'entreprise, une parmi d’autres.
Les recherches menées dans le cas de Maersk ont été rendues difficiles par la parfaite maîtrise de la communication de l'armateur qui apparaît ici comme un véritable mode de dissimulation. En effet l'opacité que permet le fonctionnement de l'entreprise rend difficilement lisible une stratégie à long terme, souvent marquée par des innovations importantes, tant d'un point de vue stratégique que technique.
Résultat
Le résultat de ces stratégies combinées d'accroissement de puissance est tout simplement la place de l'armateur parmi tous ses concurrents. En effet depuis des décennies Maersk est de loin le premier transporteur maritime et ne cesse de poursuivre cette voie. APM, la nouvelle unité d'activité de base du groupe réalise un bénéfice de 119 millions de dollars au troisième trimestre, à la même période l'année dernière il n'en avait réalisé que 114. La compagnie exploitation offshore Maersk Supply Service , affichait un bénéfice de 61 millions de dollars en 2013, désormais, à la même période, le bénéfice est de 79 millions de dollars. Il en va de même pour APM Terminal qui voit une nette augmentation de ses bénéfices passant de 203 millions l'année dernière à 345 millions de dollars en 2014. Touchée par l'effondrement des prix du pétrole, la filière pétrolière réalise tout de même un bénéfice de 222 millions de dollars au dernier trimestre 2014.
Il est visible que la stratégie de l’entreprise est payante et que grâce à cette volonté et son habileté à l’assumer lui permet d’être la première.
Aymeric Duermaël
Sources
Ouvrages et périodiques
The Financial Time
Note de synthèse de l’Institut Supérieur d’Economie Maritime
Hors série Navigation, Port et Intermodalité, Guide du conteneur fluvial
Antoine Frémont, AP. Møller : Leader mondial du transport maritime
Antoine Frémont, Le Monde en Boîte, conteneurisation et mondialisation.
Thomas Børve & Morten Hejlesen, DAILY MAERSK: Opening up a new route to the high end
Hervé Baudu, Bulletin de l’ENSM du 14 février 2013
Internet
www.shippingwatch.com (site de veille sur les actualités maritimes)
www.lantenne.com/Benefices-multiplies-par-trois-chez-Maersk-Line_a16495.html
www.meretmarine.com