L’Asie ou le Mordor de la finance occidentale

La capacité d’influence de Goldman Sachs (GS) est-elle aussi importante en Asie qu’en Europe ? Pour le savoir, nous avons décidé de porter notre étude sur trois pays, le Japon, l’Inde et la Chine, ceux-là même que l’on appelle les « géants d’Asie ». Ces pays se disputent la place de leader dans une région qui deviendra à moyen terme, c’est à dire dans moins de quinze ans, le cœur de l’économie mondiale. La bataille est âpre entre ces trois pays et leurs relations sont complexes. Tantôt ennemis pour le contrôle de certains territoires, ils sont aussi des alliés qui concourent à la réalisation d’une ambition commune : redonner à cette région du globe, l’Asie, l’importance qui était la sienne avant le XVIe siècle.




Une dynamique asiatique qui bouscule les paramètres du monde occidental

Ainsi, s’il a fallu 155 ans à l’Angleterre pour multiplier par deux son PIB par habitant, 30 années pour les Etats-Unis et 60 ans pour l’Allemagne, l’Inde et la Chine sont en train de le faire à une échelle et à une cadence jamais observée auparavant. L’échelle démographique n’étant pas la même – la population chinoise et indienne étant 100 fois supérieure à celle de l’Angleterre du XIXe siècle – le doublement du PIB par habitant se fait 10 fois plus rapidement.
Par ailleurs, à la différence d’autres pays asiatiques dont le poids économique et démographique est significatif - c’est le cas de la Corée du Sud d’une part ou de la Malaisie d’autre part - le Japon, la Chine et l’Inde se distinguent par leur capacité à incarner un leadership en proposant un modèle de société.
Leur identité qu’elle soit culturelle, cultuelle, ou politique constitue un facteur déterminent permettant ou non la réalisation économique de Goldman Sachs en Asie. La banque américaine le sait. Cependant, elle également consciente qu’il lui saura impossible de conserver la place qui est la sienne sans conquérir le marché asiatique. Depuis les années 1990, la banque l’a bien compris et a engagé une stratégie, offensive, concentrée sur l’Asie. Presque trois décennies après, il est l’heure du bilan. Et celui-ci est décevant : la place de GS dans l’univers de la finance est négligeable dans cette partie du monde, idem pour ce qui est de sa capacité d’influence politique. Pire, des Goldman Sachs « émergents » font leur apparition et déstabilisent la banque américaine en Asie et sur son marché domestique, les Etats-Unis. En réalité, ce que ne dit pas le dirigeant de Goldman Sachs lorsqu’il se vante de faire « le travail de Dieu » est que sa fiche de poste s’arrête aux frontières du monde asiatique.
Comment Goldman Sachs est-elle arrivée dans cette situation ? La chute est-elle inéluctable ? LA finance, longtemps perçue par les Asiatiques comme l’« art » dans lequel les Etats-Unis excellent, évolue au contact de nouveaux acteurs. Des Asiatiques humiliés à plusieurs reprises par l’Occident et qui conservent une rancœur et un besoin de revanche qui rend difficile (impossible ?) l’intégration de la banque GS et des banques étrangères en général dans cette région.

Les séquelles de la crise asiatique
En 1997, une crise financière touche de plein fouet l’Asie et écorne du même temps le mythe du « miracle asiatique ». Pourtant quatre années auparavant, en 1993, la Banque mondiale s’enthousiasmait du dynamisme de dix économies : celle des « dragons » (la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hongkong), des « tigres » (l’Indonésie, la Malaisie, Viêtnam et la Thaïlande) et du Japon. Certains analystes, libéraux, expliquent que l’origine de la crise financière provient de l’incapacité des acteurs économiques à faire fis de la corruption et du népotisme. Selon eux, le marché est objectif et ce sont les acteurs qui sont à l’origine de sa perversion et donc de son échec. En réalité, la tempête financière qui s’est abattue sur l’Asie n’est pas le fruit de la corruption ou du népotisme mais provient d’avantage du surinvestissement, du manque d’intégration régionale, et enfin et surtout de la libéralisation financière tout azimut. Cette dernière s’est traduite par l’ouverture de ces marchés aux investissements étrangers. Une ouverture qui au départ a bénéficié aux économies asiatiques avant de devenir un handicap lorsque les capitaux étrangers sont repartis en masse dans leur pays d’origine déstabilisant les monnaies asiatiques (roupie indonésienne, ringgit malais, peso philippin, etc). Pendant la crise, l’intervention est mal accueillie. Les pays asiatiques se sentent humiliés d’être contraints à ouvrir leurs livres de comptes à des Occidentaux peu au fait des mécanismes locaux. Pour redonner confiance aux marchés, le FMI n’y va pas par quatre chemins : taux d’intérêt élevés, restructuration des banques et des entreprises, retour à l’équilibre des budgets : c’est l’humiliation des dragons.
Cette crise financière va, telle une trainé de poudre, s’étendre au Japon, soit l’économie la plus financiarisée de la région. Alors qu’une décennie plus tôt, le pays du soleil connaissait une expansion financière importante, celui-ci sera fragilisé par la crise asiatique avant d’être mis à genoux par la dégradation de la situation financière de ses banques. Avec l’explosion de la bulle immobilière et les faillites en cascade de ses champions nationaux (banques et société de crédit à la consommation), le Japon perd la face et ses banques sont contraintes de payer une marge supplémentaire (allant jusqu’à 0,8 % en 1995) sur leurs emprunts en devises - le « Japan premium ». La crise met également en difficulté les conglomérats nippons, les Keiretsus. Ces énormes réseaux d'entreprises soudées par des valeurs communes, des liens professionnels et des nœuds de participations croisées et qui avaient fait la force et la vitalité de l’économie japonaise vont progressivement s’essouffler et pour certains s’éteindre (voir 1.2).
Cependant, cette crise a également était une opportunité pour les pays de cette région, puisque plusieurs initiatives visant à approfondir les coopérations régionales ont été lancées. C’est ainsi que le Japon et la Chine ont mis en place un Fond monétaire asiatique permettant de venir en aide aux pays touchés par le déclenchement d’une crise financière. Une nouvelle institution qui permettra lorsque la situation le demandera d’intervenir en lieu et place du FMI et de réduire l’influence, perçue comme négative, de l’institution dans cette région.

Les rapports entre l’Asie et l’Occident
Indéniablement, la crise a marqué de manière profonde l’ensemble des pays d’Asie. Si tous n’ont pas subi l’humiliation à laquelle les « dragons » et les « tigres » ont du faire face, tous – et en particulier les plus grands - gardent en mémoire les injonctions du FMI à l’égard de l’Indonésie. Les images du dirigeant du FMI de l’époque, le Français Michel Camdessus, scrutant le Président de la République d’Indonésie en train de signer le plan d’austérité, ne feront que conforter le sentiment d’humiliation des pays d’Asie. Par ailleurs, rappelons que ce sentiment d’humiliation s’est développé sur un terreau fertile. La Chine gardant un souvenir indélébile de la période des traités inégaux où l’Occident la força à s’ouvrir au reste du monde.
L’Asie va se remettre rapidement de cette crise de 1998 et va transformer son modèle de développement accumulant des réserves de change pour atténuer sa dépendance aux capitaux provenant de l’étranger. L’image de l’Occident s’est définitivement dévalorisée lors de la crise des subprimes. Longtemps respectés pour leur maitrise d’un système financier complexe, les Occidentaux ont perdu toute crédibilité aux yeux des Asiatiques. Ces derniers ne les blâment pas pour leur incapacité à gérer la crise mais ne conçoivent pas qu’un certain nombre d’institutions financières jouent à ce point contre les intérêts de leurs clients. A l’intérieur du monde asiatique existe un socle de valeurs communes dans laquelle la confiance occupe une place déterminante. Il est difficilement concevable pour les Asiatiques que l’on puisse se comporter de la sorte. Ainsi, le diplomate australien Reg Little explique dans « Confucian Reconstruction of Global Economics and Finance » (2009) que les Asiatiques et en particulier les Chinois ne comprennent pas « les risques entrepris par les salariés de la finance » ainsi que « l’absence de respect vis à vis des gouvernements ». A leurs yeux, en se comportant de la sorte, les banques occidentales se comportent comme des « sauvages », des « cannibales ». La crise financière qui a touché une partie du monde (essentiellement l’Europe et les Etats-Unis) a provoqué le retrait de certains acteurs de la finance dans les activités de banque de détail. C’est ainsi que Goldman Sachs s'est retirée de Chine.
Au vu de ces différents éléments, on comprend les réserves exprimées par les gouvernements indiens et chinois, mais pas japonais, face aux demandes répétées du FMI de libéralisation plus profonde de leur marché. En effet, depuis les années 1990, l’organisation internationale plaide en faveur d’une libéralisation totale des marchés. Mais la Chine et l’Inde refusent cette politique. Un choix judicieux, quand on sait les ravages que la crise financière de 1997-1998 a fait en Amérique latine.

Un seul crédo : « rattraper l’Occident »
Le Japon, la Chine et, dans une moindre mesure l’Inde, sont marqués par leur forte volonté de conquérir une suprématie économique, susceptible d’ effacer les humiliations de l’Histoire. Pour cela, ils s’appuient sur la passion nationaliste. Caractérisée en Chine par la volonté de succès et la revanche vis-à-vis de l’Occident, au Japon par la peur du déclin et en Inde par activisme nationaliste.
Jusque dans les années 1980, le Japon a été porté par l’ambition de « rattraper l’Occident » mais celle-là ne semble plus être d’actualité. A contrario, la Chine caresse un rêve, celui de dépasser les Etats-Unis. Cette ambition est encore très présente dans la stratégie économique et politique du pays. Pour atteindre cet objectif, il lui faut plusieurs éléments parmi lesquels : la conquête du leadership régional et la mise en place d’une force financière supérieure à celle des Etats-Unis. Pour obtenir le premier élément, la Chine se met en ordre de bataille en s’impliquant davantage dans l’Asean+3 et la Banque asiatique de développement (BAD) autrefois cercle d’influence des Japonais.
Pour la Chine, ces différents éléments soulèvent également une question centrale : s’intègrera-t-elle au sein de l’ordre international existant ou finira-t-elle, au contraire, par adopter une ligne révisionniste ?

L’impossibilité pour les banques occidentales de se développer en Asie
Méfiants et galvanisés, les pays d’Asie ont également réduit l’accès des Occidentaux à leur marché. C’est ce que souligne Anne-Laure Delatte, professeur d'économie à Neoma et spécialiste de l’économie financière : « Comme les émergents restent attractifs, les gouvernements mettent des barrières à l'entrée de capitaux étrangers pour éviter la spéculation et l'inflation ». Ce système permet aux autorités lorsque l’environnement leur est favorable d’accroître ou de diminuer le niveau de libéralisation des marchés. Pour permettre aux gouvernements chinois et indiens de garder une certaine maîtrise de leur économie, d’importantes barrières légales et réglementaires fixent les règles. Cependant, le corolaire d’une telle maîtrise est le maintien des secteurs financiers à une taille quasi embryonnaire et des performances médiocres au regard de la puissance économique de ces pays.
En Chine, les autorités ne sont pas très enclines à laisser les banques internationales rentrer dans le capital des établissements nationaux, persuadées que ces derniers cèderaient leur capital à des conditions trop avantageuses. D’autant qu’en mai 2013, Goldman Sachs a réalisé 8 milliards de dollars de profits après s’être séparé de ses participations acquises sept années plus tôt lors de l’entrée en Bourse de la banque ICBC. Fin mai et après un processus de désengagement graduel de 4 ans, la banque américaine a cédé ses dernières parts, empochant au total 12 milliards de dollars de dividendes et plus-values selon les analystes de Macquarie Capital Securities. Pour Lloyd Blankfein, il ne s’agit en rien d’un désengagement de la Chine : « ICBC n’est pas la clé pour comprendre notre intérêt pour la Chine, pas plus que sa forme d’expression principale ».
Cette opération témoigne de l’incapacité de Goldman Sachs, mais également des autres grandes banques étrangères de remporter des parts de marché en Chine. Ainsi, si les actifs de Goldman Sachs se portent bien, les parts de marché n’ont pas évolué depuis 2004. Selon la CRBC, entre 2004 et 2010, le nombre de banques étrangères ayant des filiales de plein exercice, des succursales et des agences, en Chine a doublé, leurs actifs ont triplé, mais leur part de marché est restée parfaitement stable : 1,85 %.
Cependant, l'Inde se distingue de la Chine. Le pays cherche à développer les flux d'argent frais et pour se faire ouvre davantage – mais cela reste néanmoins très limité- la porte de ses Bourses aux investisseurs étrangers.

Les modèles de la finance en Asie
Comme l’indique Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis, les grandes vagues de croissance économique sont généralement précédées du développement du secteur financier. Pour justifier son propos, il rappelait que les marchés obligataires sont dix fois plus importants dans les pays membres de l'OCDE que dans les pays émergents, les marchés d'action trois fois plus grands. La Chine et l’Inde devraient donc emboiter le pas du Japon des années 1980.

En Chine
C’est à partir de 1985 que la Chine intègre l’économie de marché dans sa stratégie. « Je pense qu’il n’y a pas de contradictions entre un système socialiste et une économie de marché ; la question est de savoir quelle méthode nous devrions utiliser pour développer les forces productives de la société de la manière la plus efficaces (...). A mon avis, c’est en combinant la planification et l’économie de marché» explique le dignitaire chinois Deng Xiaoping. Ces mots créeront un précédent et intégreront la Constitution chinoise dès l’année suivante. C’est alors le début de ce qui pourrait être « une nouvelle voie » : ni socialiste à la soviétique, ni capitaliste à l’occidentale, elle serait celle d’un socialisme « à la chinoise ».
Le système se débride progressivement, et c’est à partir des années 1990 que seront lancés le Shanghai Stock Exchange (SSE) et le Shenzhen Stock Exchange (SZSE). Plusieurs raisons motivent ces évolutions. Tout d’abord, l’économie chinoise souffre de l’embargo international imposé après le massacre de Tian Anmen et a besoin de capitaux pour financer les entreprises d’Etat. Par ailleurs, le pouvoir central souhaiter contrôler les nombreux centres d’échanges d’actions locaux, la plupart du temps créés de manière illégale en collaboration avec les autorités locale.
Par ailleurs, les Chinois s’inspirent largement du Japon dans leur politique de développement. Les dirigeants chinois mettent ainsi en œuvre la même stratégie en trois temps que celle suivie par le Japon pour acquérir les armes de la puissance économique :
- Etape 1 : acquérir la compétitivité industrielle.
- Etape 2 : s’appuyer sur cette compétitivité industrielle pour développer le commerce extérieur et dégager des excédents.
- Etape 3 : développer une puissance financière.
Dès lors, on comprend qu’à terme, l’objectif poursuivit par la Chine est d’avoir une place financière à la mesure de son poids économique et politique. Actuellement, selon les observateurs internationaux, occidentaux, la Bourse souffre du poids de l’Etat et de la bureaucratie, les indices sont en chute libre depuis l’été 2001 ; la cotation n’améliore ni la gouvernance ni les performances des entreprises ; l’allocation des capitaux n’est pas optimale ; l’information circule mal et les investisseurs enregistrent de nombreuses pertes.

En Inde
Goldman Sachs a prédit que d’ici à 2025, l’Inde deviendrait la troisième économie du monde, derrière la Chine et les Etats-Unis. Pour satisfaire cette prédiction, le pays devra maintenir un taux de croissance annuel moyen de 8 % entre 2007 et 2020. Selon la banque américaine, un tel objectif est atteignable avec l’essor du système financier. Stimulé, celui-ci bénéficierait de l’entrée progressive sur le marché indien des banques étrangères. Lesquelles devraient permettre de « mieux mobiliser l’épargne nécessaire pour soutenir l’investissement productif ». Par ailleurs, la CIA, dans son ouvrage de prospective, considère que l’Inde sera sans doute l’un des principaux « fournisseurs de services non conventionnels » du monde comme les services financiers.
L’Inde a beaucoup d’affinités avec l’Europe et les Etats-Unis : démocratie et économie de marché.

Le Japon décrochera-t-il ?
Le Japon est le premier créancier mondial et important bailleur de fonds pour les organisations internationales. Avec un important réseau d’institutions financières privées situé en Asie. La taille des marchés financiers pèse trois fois le total de ceux de l’Asie émergente, sa capitalisation boursière est le double de celle de la Chine et Hong Kong réunis. Ses grandes institutions financières figurent aux premiers rangs mondiaux. En Asie, leurs filiales étaient jusqu’à présent concentrées pour les ¾ à Hong Kong (25%), en Chine (24%) à Singapour (17%) et en Thaïlande (16%) et de plus en plus en Inde.
Dans une économie mondialisée où les jeux d’argent sont devenus l’élément moteur et la source des profits les plus importants, la formidable force financière du Japon constitue pour lui un atout considérable. Mais il l’utilise assez mal, à commencer par la masse d’épargne privée (estimée à 12 000 milliards de dollars (deux années du PIB) dont une grande partie coincée dans le système postal, sert principalement à financier la dette publique (La dette dépasse deux fois son PIB). Des milliers de milliards de dollars sont de ce fait peu rémunérés.
Parmi les 6 principaux keiretsus (conglomérats), on retrouve : le financement intra-groupe : la banque du " club " est la clé de voûte du keiretsu ; elle protège les sociétés du keiretsu de menaces d'OPA tout en assurant le financement. La banque forme le noyau dur des actionnaires de ces entreprises, et réciproquement ces entreprises sont actionnaires de la banque ; une participation croisée d'actions : en moyenne 21,4 % des actions d'une société d'un keiretsu sont possédés par d'autres sociétés du même keiretsu ; les sogo soshas jouent un rôle majeur au sein du keiretsu, non seulement en tant que maisons de commerce sur le marché domestique japonais et sur les marchés extérieurs, mais aussi comme organisateurs des activités du " club " et créateurs d'alliances et de joint ventures avec des sociétés étrangères ; la nomination des directeurs : les principales entreprises positionnent leurs cadres aux postes de direction des plus petites entreprises du keiretsu, tandis que les cadres des départements financiers des entreprises industrielles proviennent pour l'essentiel de la banque du keiretsu ; des réunions régulières des Présidents des membres du keiretsu sont organisées pour maintenir la cohésion du club. La situation économique du Japon et la situation financière des sociétés du keiretsu y sont discutées. Les keiretsu actuelles sont apparues pendant le miracle économique japonais, période de forte croissance économique. Les forts liens qui lient les entreprises se sont distendus à partir des années 1990, lorsque les principales banques japonaises ont été confrontées aux problèmes de créance douteuse. Les fusions-acquisitions, jusqu'alors très rares, ont commencé à prendre de l'ampleur.
Dans la mouvance de la réforme entreprise quelques années plus tôt par la Dame de fer, Margaret Thatcher, le gouvernement japonais entreprend à son tour, en 2002, une vaste libéralisation du marché financier. L’ambition est alors de faire de Tokyo une grande place financière internationale. Le premier ministre de l’époque, Jun’Ichiro Koizumi, envisage même de privatiser La Poste (se sera chose faite quelques années plus tard). L’administration entrave tout ce qu’elle considère comme des OPA indésirables ou des opérations spéculatives. Les grands organismes financiers nippons manquent encore d’expertise dans le maniement des outils les plus sophistiqués et gardent un souvenir du krach des années 1980.

Vers l’émergence d’un Goldman Sachs asiatique ?
Le centre névralgique de l’économie mondiale se déplace progressivement en faveur des BRICS. Ainsi, selon KPMG, en 2011, 19 des 50 banques dégageant le plus de bénéfices dans le monde étaient isss des BRICS et elles réalisaient 48 % du bénéfice total. Par ailleurs, les cinq nouveaux grands remettent en cause les institutions financières de Bretton Woods et les banques d’investissement occidentales. C’est ainsi, que les BRICS souhaitent créer leur propre banque de développement : le monde change de rythme. Une banque qui bénéficiera essentiellement à l’Inde, puisque la Chine, forte de ces quatre établissements parmi les dix plus grandes banques mondiales en termes de capitalisation boursière – n’attend pas la mise en place de cette institution pour pouvoir soutenir le développement à l’international de ses entreprises.
En termes de capitalisation boursière, le paysage bancaire mondial a été profondément bousculé au profit d’acteurs des pays émergents. Cette mutation se voit à travers l’activité de ces groupes qui, peu à peu, redirige la relation Nord-Sud en matière de flux financiers au profit d’une relation Sud-Sud. L’expansion des banques issues d’Asie concerne l’ensemble des activités bancaires, les domaines réservés des banques occidentales ne sont plus : conseil en fusions-acquisitions, émission d’obligations corporate et d’actions. Il y a encore une dizaine d’années, ces activités étaient dominées par quelques grandes banques occidentales, y compris sur les marchés émergents. Désormais, la part des banques étrangères a fortement baissé au profit des banques locales, qui réalisent désormais la majorité des transactions. Ainsi, selon Freeman & Co, les banques chinoises ont remporté près de 69 % des commissions générées par ces activités sur le marché chinois en 2012, contre seulement 23 % en 2005. Le même constat vaut sur le marché indien : les banques locales y ont raflé 69 % des commissions en 2012, contre 19 % en 2005.
Il y a une dizaine d’années, le monde de la banque et de la finance internationale était encore largement dominé par les vingt plus grandes banques américaines, européennes et japonaises, qui représentaient les plus grandes capitalisations boursières et pesaient en termes d’actifs et de dépôts plus que tous les autres établissements bancaires de la planète réunis.
La crise financière de 2008 a eu comme conséquence de rompre avec cet état. Les banques occidentales sont touchées : crise identitaire, renforcement de la réglementation, mouvement de delevraging, etc. Leur affaiblissement bénéficie aux banques des émergeants. Désormais, dans le top 20 des plus grandes capitalisations bancaires, à côté des banques américaines et européennes qui ont survécues à la crise : Goldman Sachs, JP Morgan, HSBC, Santander et BNP Paribas, on trouve les quatre « big four » chinois : ICBC (Industrial and Commercial Bank of China), CCB (China Construction Bank), ABC (Agricultural Bank of China) et BoC (Bank of China). Ces quatre banques réunissent 80 % des actifs du système financier chinois et détiennent d’ores et déjà un encours de crédit supérieur à celui de toutes les banques françaises, britanniques et allemandes réunies.
Le secteur bancaire indien reste moins développé que celui de la Chine. Les banques y sont moins puissantes et ne sont présentes dans le haut des classements ni en termes d’actifs, ni en termes de capitalisation boursière.
ICICI est la première banque privée du pays et la seconde sur l’ensemble du marché derrière la banque publique, State Bank of India. Cependant, la banque nettoyé son bilan et se trouve être en bonne position lorsque le secteur bancaire indien décollera. En effet, comme la Chine et avant elle le Japon, à la croissance indienne devrait succéder la structuration d’une place financière indispensable pour accompagner le développement économique d’un pays qui sera bientôt le plus peuplé du monde. Bientôt pays le plus peuplé du monde, nombre de particuliers voudront accéder à des services bancaires. Or ICICI possède une forte base de banque de détail...
Pour les banques étrangères, il est plus simple de conquérir des parts de marché en Inde qu’il n’est possible de le faire en Chine. En témoigne, la banque centrale indienne qui vient d’annoncer l’attribution prochaine de nouvelles licences bancaires, ce qu’elle n’avait pas fait depuis 10 ans.

Conclusion
Les flux financiers semblent se réorienter dans un sens Sud-Sud. Les banques asiatiques soucieuses de diversifier leurs activités développent un réseau dans le monde émergent, étant entendu que les grands financements à venir (construction d’infrastructures, financement de projets, accompagnement du tissu industriel, etc.) auront lieu dans cette partie du monde... On constate ainsi, pour les banques des pays émergents, une tendance à s’implanter d’abord sur leurs marchés de proximité : 70 % des investissements des banques des pays émergents se font ainsi dans leur environnement régional.
Comme l’explique Neeltje van Horen, économiste à la Dutch Central Bank, l’internationalisation des banques issues des pays émergents se fait pour l’instant surtout sur une base régionale. Elles s’aventurent rarement hors de leur région d’origine et ne s’intéressent pas aux marchés matures (États-Unis, Europe occidentale) très complexes en raison des contraintes réglementaires et politiques, d’une intensité concurrentielle élevée et de perspectives de croissance limitées dans les dix prochaines années. Cependant, comme nous le verrons, une banque chinoise, ICBC, en acquérant des établissements de second rang aux États-Unis et en Europe, pourrait étendre son influence et aider ses clients domestiques sur ces marchés matures.
Si les grandes banques des pays émergents affichent toutes ou presque l’ambition de devenir des acteurs bancaires globaux et présentent déjà souvent, tout au moins sur le papier, un vaste réseau mondial, on constate que leur développement à l’international s’opère avec prudence, ce qui se traduit notamment par un nombre réduit d’acquisitions significatives. Elles cherchent d’abord à se

Références contextuelles
Claude Meyer, Chine ou Japon, quel leader pour l'Asie ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2010.
Philippe Marini, Rapport d'information, Le Japon face à la crise, commission des finances n° 294 (2008-2009).
Jean-Marie Bouissou, François Godement, Christophe Jaffrelot, Les géants d’Asie en 2025, Le Monde diplomatique, 2013.
François Langlet, La fin de la mondialisation, Paris, Fayard, 2013.