Sanctions américaines et ripostes russes

Officiellement, les sanctions économiques contre la Russie ont été adoptées par les Etats Unis et l’Union Européenne pour « punir » la Russie suite à l’annexion de la Crimée et par la suite pour son intervention en Ukraine. Or, les objectifs poursuivis par ces mesures de rétorsion sont loin d’être aussi simples et nous poussent vers un décryptage plus complexe. Géopolitiquement, la Russie de Poutine s’impose de plus en plus comme une puissance à part entière et dont l’influence et le poids dans le monde ne cessent de grandir d’abord en Europe de l’Est, en Asie avec la Chine essentiellement, au moyen orient avec le rôle joué dans la crise syrienne et en Amérique latine. La Russie se positionne de ce fait face à un monde devenu unipolaire dominé par la puissance américaine. De ce fait, pour les Etats Unis, il est apparu clairement que tout ce qui pouvait affaiblir économiquement la Russie, contraindrait fatalement cette dernière à réviser à la baisse ses ambitions dans le monde.

L’économie russe debout malgré des sanctions économiques contraignantes
D’un point de vue économique, la situation de la Russie avant la crise ukrainienne était assez solide avec des un taux de croissance de 4,6%, des réserves de change de l’ordre de 585 milliards de dollars et un fond souverain de bien être national de 67 milliards de $. En ce premier semestre 2015, le taux de croissance ne dépassera pas les 0,4% et les réserves de change ont fondu et sont de l’ordre de 365 Mds de dollars. Il est clair que les sanctions ont eu un impact négatif sur l’économie russe mais l’attaque la plus brutale a été l’effondrement des cours de pétrole. Toutes les courbes, montrent une corrélation entre la dégradation de la situation économique russe et la chute des cours de pétrole. L’analyse des causes de cette chute des cours et les facteurs déterminants qui l’ont favorisée nous ramènent insensiblement à une entente entre les 2 plus gros producteurs de pétrole au monde les USA et l’Arabie Saoudite. Il semblerait que cette entente ait eu pour dessein d’accentuer la tendance baissière entamée au début de l’été 2014. Les Etats Unis et l’Arabie Saoudite poursuivant des objectifs différents : affaiblir la Russie pour les Américains et affaiblir l’Iran, gros soutien de la Syrie et grand rival pour les Saoudiens. Ce tir groupé formé des sanctions et la chute des cours de pétrole a eu raison de la croissance économique russe et l’a plongée dans un cycle de récession. Néanmoins la solidité des réserves financières de la Russie la protègent d’un effondrement de son économie. Pour réagir contre cette offensive hostile, le président russe a décrété des sanctions sur les produits agricoles européens et favorisé un boycott organisé des produits originaires d’Europe. Conséquence à fin février 2015, les Européens ont enregistré un manque à gagner de l’ordre de 21 milliards d’euros.

Des alliances à l’Est pour sortir de l’isolement géopolitique et sociétal voulu par Washington
Pour réagir contre l’affaiblissement de Moscou face à la chute des cours, Poutine a organisé une contre offensive en décidant d’abandonner le projet de construction du pipeline de gaz naturel de South Stream, un projet de 45 milliards de dollars, en faveur d’un nouveau projet en alliance avec la Turquie. Ce projet souligne la volonté de Poutine de contourner ses partenaires européens et continuer ses livraisons vers les pays d’Europe qui reposent sur la Russe en matière d’énergie.
D’un point de vue sociétal et pour compléter la panoplie des mesures visant à affaiblir la Russie, les Etats Unis se reposent également sur les ONG installées en Russie et contrôlées par eux soit directement soit indirectement par le biais de financement de leurs activités. Ces ONG ont été instrumentalisées pour être des vecteurs modernes d’idéologie à même de toucher les citoyens afin de favoriser une emprise à la fois politique mais aussi socio-économique. Moscou sentant l’influence grandissante de ces ONG a commencé à leur imposer des restrictions dès 2013. Le coup de grâce n’a été néanmoins apporté que le 23 mai dernier avec l’adoption d’une loi interdisant les ONG « indésirables ». Cette arme permettra à la Russie de se débarrasser de toute ONG (elles sont au nombre de 450000 en Russie) qui menacerait « les intérêts russes ». Cette loi pourrait également s’appliquer aux entreprises étrangères qui sortiraient du cadre exclusivement économique et qui seraient tentées de s’occuper de questions d’ordre politique ou sociétal.
La Russie lutte également sue le front financier avec comme objectif affiché de casser la suprématie du dollar dans les échanges mondiaux. Avec l’axe, Russie, Chine et Iran, la machine est en marche et les échanges se font progressivement en roubles. Autre stratégie adoptée par la Russie c’est d’échanger ses dollars contre de l’or. Ces derniers mois, la Russie assèche le marché de l’or et constitue des réserves qui lui permettront de jouer cette carte qui inspire toujours une certaines confiance en tant que valeur refuge.

Qui va gagner la bataille de l’information?
Et pour appuyer cette guerre économique, lui permettre de faire passer des messages qui vont dans le sens de ses priorités et soigner son image dans le monde, la Russie performe dans la guerre de l’information et bat à ce niveau les Etats Unis qui le reconnaissent implicitement puisque le Conseil des gouverneurs de la radiodiffusion américaine demande au Congrès américain de débloquer 15 millions de dollars supplémentaires pour lutter contre les médias russes en 2016. Quant à l’Europe et pour réagir au succès des chaînes d'information internationales russes, elle envisage la création d'une chaîne russophone atlantiste.
Les Etats Unis, ont clairement privilégié l’arme économique pour affaiblir la Russie mais cette dernière ne manquant pas d’arguments tente de renverser la situation à son avantage sauf que le chemin sera long, ardu. Ce qui est sûr, c’est que la Russie devra impérativement restructurer son économie, réduire sa dépendance aux exportations d’hydrocarbures et diversifier son économie afin de pallier à ses vulnérabilités actuelles.

Asmâa MORINE