La révolte des Bonnets Rouges: une victoire informationnelle de 2.8 milliards d’euros

Plus de 2.8 milliards d’euros est le prix total que l’Etat devrait payer après les manifestations des Bonnets Rouges en 2013. Deux milliards d’euros c’est le montant des aides et prêts mobilisés en faveur de la Bretagne. A cela se rajoutent 403 millions d’euros d’indemnités à la société Ecomouv’ dès 2015. En plus, 40 millions d’euros durant 10 ans, pour la même société, qui correspondent à des dettes bancaires. L’annulation de l’écotaxe et cette facture à payer par l’Etat français sont les deux conséquences les plus importantes des manifestations des Bonnets Rouges contre l’écotaxe poids lourds en 2013.

Prémisses, contexte national et international
Les effets de la crise économique prennent des multiples facettes en Europe : de la crise de l’euro, la situation difficile de la Grèce, à l’apparition des mouvements indépendantistes centrifuges en Espagne (Catalogne) et en Grande Bretagne (Ecosse).
Le budget de l’UE pour la politique agricole commune 2014-2020 est revu à la baisse. L’enveloppe dédiée pour les sept années à venir a été réduite en 2013 de 12%.
Cinq ans après la crise économique de 2008, la situation économique de la France ne cessait pas de se détériorer. Au premier trimestre 2013, le PIB français reculait de 0.2% pour la troisième fois dans les quatre derniers trimestres. Au niveau national, la dégradation de la situation du marché du travail entamée en 2012 s’est poursuivie en 2013 : 51 000 emplois détruits en 2012, 65 500 en 2013.

Qui a soutenu la taxe ?
Présentée comme un impôt écologique, l’écotaxe a été envisagée au cadre du Grenelle de l’Environnement en 2007. Elle aurait dû rapporter un peu plus de 1.2 milliards d’euros par an. Après des longues discussions, le projet de loi instaurant une écotaxe sur le transport a été voté le 25 Avril 2013. Dans le texte final, une différenciation était faite entre les régions : les valeurs de la taxe étaient réduites de 30% pour l’usage du réseau en Aquitaine et Midi-Pyrénées et de 50% en Bretagne. Le vote en Parlement montre un positionnement peu habituel des forces politiques par rapport à cette nouvelle taxe : les socialistes, les écologistes et les radicaux de gauche ont voté pour, l’UMP et le Front de Gauche contre, les centristes se sont abstenus.
L’écotaxe a été soutenue aussi par plusieurs acteurs économiques et sociétaux, notamment par l’association TDIE et la société Ecomouv’.
La TDIE – Transport, Développement, Intermodalité, Environnement est un groupe de réflexion sur le développement des systèmes de mobilités avec les acteurs des transports. Son action s’appuie sur ses partenaires SNCF-Mobilité,  SNCF-Réseaux, la Fédération Nationale de Transporteurs Routiers, le Syndicat des Terrassiers de France, Transport Logistique de France, L’Association des Ports de France, la Fédération des Industries Ferroviaires, le Groupe RATP et le Syndicat des Transports d’Ile de France.
La société Ecomouv’ est la société chargée de la collecte de l’écotaxe. Ecomouv’ est contrôlée pour 70% par Autostrade per l’Italia. Les 30 % des actions sont partagées entre des sociétés françaises : 11% du capital pour Thales, 10% pour SNCF, 6% pour SFR et 3% pour Stéria.

Le mouvement des Bonnets Rouges
Au début de 2013, les effets de la crise économique sont ressentis avec plus d’intensité en Bretagne que dans d’autres régions de France. Dans le contexte national de recul de l’activité, avec une baisse de 0.5% sur le premier trimestre 2013, l’emploi décline plus en Bretagne que la moyenne en France métropolitaine (-0.1%). La réduction du budget de la PAC a touché de plein fouet la Bretagne, une des régions à forte activité agricole : des exploitants agricoles ont vu leurs revenus diminués, de nombreuses sociétés agro-alimentaires bretonnes ont été forcées par la situation économique de réduire leurs activités et de se séparer d’une partie de leurs employés. En fin, comme dans d’autres régions d’Europe, les mouvances indépendantistes sont devenues plus actives en Bretagne.
Malgré la réduction de 50% de la taxe pour la Bretagne, c’est dans cette région que les manifestations les plus violentes ont eu lieu en octobre – novembre 2013. Les manifestants portaient des bonnets rouges en souvenir de la révolte antifiscale bretonne de 1675 – la révolte du papier timbré.
Parmi les manifestants se retrouvaient des salariés des abattoirs et des autres sociétés agro-alimentaires bretonnes vouées à la fermeture, des syndicalistes, pêcheurs, des agriculteurs et des syndicalistes, mais aussi des groupuscules d’extrême gauche, d’extrême droite et des indépendantistes.
Compte tenu de la diversité des participants et des leurs revendications, on peut considérer le vote de l’écotaxe poids lourds juste un prétexte pour des revendications financières, sociales et régionales. Derrière ces évènements on retrouve régulièrement des personnes liées à l’Institut Locarn comme par exemple Alain Glon et Jakez Bernard. Ils ont présenté le 18 juin 2013 le Comité de Convergence des Intérêts Bretons (CCIB) et lancé un appel aux dirigeants pour ne pas payer l’écotaxe. Un autre membre du CCIB, Jean-Pierre Le Mat, président à parcours atypique de la confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) des Côtes-d’Armor et fondateur du parti républicain breton indépendantiste et libertaire,  a fait le lien entre le CCIB, le Mouvement Bretagne et Progrès (MBP) de Christian Troadec et les mouvances indépendantistes. Jean-Pierre Le Mat est aussi un des trois porte-paroles du Collectif « Vivre décider travailler en Bretagne », le groupe officiel des Bonnets Rouges Bretons.

Conclusion
Le caractère organisé des actions des Bonnets Rouges ainsi que la composition hétéroclite des manifestants  nous fait penser à des intérêts qui dépassent le cadre d’une simple révolte contre un impôt écologique. La présence de groupuscules identitaires au sein des manifestations auraient même constitué le sujet d’une synthèse envoyée en octobre 2013 par la sous-direction de l’information générale (SDIG) de Rennes au gouvernement. Mais cet activisme n’explique pas pas le recul stratégique du gouvernement. Le contexte breton est spécifique par ses aspects historiques (cf. les conditions du rattachement de la Bretagne à la France). Ce rapport de force continue à se nourrir des contradictions entre un pouvoir central affaibli par sa perte de légitimité et des forces économiques régionales qui luttent en partie pour la survie. La mise en sommeil du contrôle sanitaire dans les exploitations agricoles bretonnes (cf. la polémique environnementale autour des élevages de porcs) est un exemple parmi d’autres de la crainte du politique à rallumer la mèche d’une contestation qui pourrait devenir violente.