Premier pays européen à interdire les gaz de schiste dès 2011, la France offre un exemple intéressant d’une guerre de l’information à partir d’une situation que l’on peut qualifier de très défavorable. On aurait en effet pu penser que l’affaire était entendue. L’exploitation et même l’exploration des gaz de schiste sont rejetées par une majorité de l’opinion publique et de la classe politique. La loi d’interdiction est votée en 2011 sous la présidence de Nicolas Sarkozy et l’interdiction est confirmée en 2012 par le président Hollande. Cette situation de départ présente donc un rapport de force dans lequel le faible a clairement pris un avantage qui pourrait sembler décisif. Cela n’a pourtant pas empêché les pro-gaz de schiste de déployer une guerre de l’information et un lobbying intense tant envers le pouvoir politique – français et européen – que l’opinion publique.
Rappel du discours des adversaires au gaz de schiste
Que nous disent les adversaires des gaz de schiste ? Leurs arguments concernent deux volets, d’une part le mode d’exploitation du gaz, d’autre part les gaz de schiste en eux –mêmes. L’accent est mis sur les dangers pour l’environnement occasionnés par la fracturation hydraulique. Cette dernière est rejetée en raison de son impact environnemental, des risques de pollution et d'activité sismique, mais aussi ses conséquences pour la santé humaine. Le second volet concerne les gaz de schiste en tant que source d’énergie non renouvelable. Selon ses adversaires, les gaz de schiste contribuent au réchauffement climatique, détournent des ressources des énergies renouvelables et sont en contradiction avec la transition énergétique. Les anti-gaz s’appuient sur un nombre important de site web, une forte mobilisation militante (associations, manifestations), une partie de la classe politique acquise à cette cause et une forte médiatisation en direction de l’opinion publique.
Les éléments de langage des pro-gaz de schistes
Les pro-gaz utilisent des arguments économiques et géopolitiques. S’appuyant sur la situation américaine, les pro-gaz mettent en avant un « miracle économique » : le prix du gaz a été divisé par trois, il contribue à relancer la croissance et va offrir aux Etats-Unis une indépendance énergétique que l’Europe et la France sont loin de posséder. A la suite d’une étude réalisée par Sia partners, les pro-gaz avancent également l’argument de l’emploi, assez imparable en période de chômage de masse. Le gaz de schiste permettrait donc de créer 100 000 emplois. Ce chiffre est annoncé en septembre 2012, jour de la première conférence environnementale à propos de la transition énergétique, et sera repris par bon nombre d’organes de presse. Le dernier argument de poids est la réduction de la dépendance gazière de la France et donc une réduction de la facture des importations.
Pour faire passer leur message, surtout en direction de l’opinion, les pro-gaz s’appuient également sur la présence et les déclarations des personnes publiques, en général des dirigeants de grandes entreprises françaises. Les pro-gaz ont bien compris que le poids des mots est capital dans cette offensive. Plutôt que d’attaquer directement l’exploitation des gaz de schiste, ils concentrent leurs efforts sur l’exploration et la recherche. On entend ainsi un important industriel français (Jean-Louis Beffa) parler d’obscurantisme à propos du refus d’expérimenter des techniques d’extraction, et énoncer que les expérimentations permettent d’avoir une idée sur le potentiel des gaz de schiste et le coût de revient. Puisque la fracturation hydraulique ne passe pas dans l’opinion, les pro-gaz vont mettre en avant un autre type de fracturation, la fracturation au propane. Ils se livrent à un lobbying intense avec des parlementaires et des ministres. Un exemple particulièrement révélateur est fourni par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Dans un rapport présenté en 2013 à propos des techniques alternatives à la fracturation hydraulique, l’OPECST auditionne notamment le président de la société Ecorstim (entreprise américaine spécialisée dans la fracturation au propane) ainsi que la plupart des entreprises impliquées dans les gaz de schiste. La conclusion du rapport ne laisse aucun doute : « pour terminer, s’il est une idée à retenir, c’est la nécessité de ne pas obérer l’avenir en entravant la recherche ».
Ce travail semble porter ses fruits puisque l’opinion publique commence à basculer. Même si elle reste opposée à l’exploitation des gaz de schiste, un sondage paru en février 2014 révèle que 69 % des français pensent qu’il faut chercher un mode d’exploitation propre. Toutefois, un autre sondage, publié en avril 2014, indique qu’une majorité de français reste opposé à l’exploitation des gaz de schiste. Il n’en reste pas moins que certaines personnalités politiques – incluant des ministres – et publiques se rallient ouvertement à l’idée de trouver une méthode autre que la fracturation hydraulique. Parmi ces ralliements, l’un des plus spectaculaires est sans doute celui de Nicolas Sarkozy qui, en septembre 2014, acceptait non pas seulement l’exploration, mais l’exploitation des gaz de schiste et disait vouloir substituer le « principe de responsabilité » au principe de précaution.
Une bataille au niveau européen
Les pro-gaz ont aussi mené la bataille au niveau européen. Ils ont notamment réussi à empêcher l’adoption d’une loi communautaire interdisant les gaz de schiste. Les anti-gaz de schiste, par le biais de plusieurs parlementaires écologistes, ont commandé plusieurs rapports qui mettent l’accent sur les dangers de la fracturation hydraulique. Ces rapports rencontrent un écho favorable auprès du commissaire européen chargé de l’environnement, Janez Potočnik. Les pro-gaz, soutenus par plusieurs pays (principalement la Pologne et le Royaume-Uni), visent donc la commission européenne. Ils savent pouvoir compter sur le soutien du président Barroso. Ainsi début 2014, la commission adopte des recommandations qui, à la différence d’une loi, n’ont rien d’obligatoires ni de contraignantes. Enfin, ils vont réussir à empêcher que des études d’impact ne soient rendues obligatoires avant de forer. La décision d’imposer des études d’impact doit être prise au niveau des gouvernements au Conseil européen. Chaque pays doit donc donner son avis. La France, ainsi que l’Allemagne, va s’abstenir lors de ce vote. Ce qui revient peu ou prou à donner la majorité à ceux qui ne voulait pas des études d’impact. Partant de là, plusieurs pays européens autorisent l’exploitation des gaz de schiste (Pologne, Royaume-Uni, Danemark) et des groupes français y obtiennent des permis de forage.
Aujourd’hui, le rapport de force semble s’être équilibré, le fort ayant comblé une partie de son retard. Toutefois, les ONG et les anti-gaz en général sont loin d’avoir abandonné et continuent leur mobilisation. Faut-il y voir un indice que la bataille n’est pas terminée, mais le Centre hydrocarbures non conventionnels (CHNC) a été fondé en février dernier. Présenté comme une plate-forme d’information scientifique et technique, le CHNC est présidé par Jean-Louis Schilanski, ancien président de l’Union française de l’industrie pétrolière, et a pour entreprises participantes Total, Suez Environnement, Bureau Veritas, Vallourec, GDF Suez, Accenture, ou encore Air Liquide. Il est évident que le débat va se poursuivre et continuera à déchaîner les passions, spécialement avec les échéances électorales qui se profilent en 2017.
Rappel du discours des adversaires au gaz de schiste
Que nous disent les adversaires des gaz de schiste ? Leurs arguments concernent deux volets, d’une part le mode d’exploitation du gaz, d’autre part les gaz de schiste en eux –mêmes. L’accent est mis sur les dangers pour l’environnement occasionnés par la fracturation hydraulique. Cette dernière est rejetée en raison de son impact environnemental, des risques de pollution et d'activité sismique, mais aussi ses conséquences pour la santé humaine. Le second volet concerne les gaz de schiste en tant que source d’énergie non renouvelable. Selon ses adversaires, les gaz de schiste contribuent au réchauffement climatique, détournent des ressources des énergies renouvelables et sont en contradiction avec la transition énergétique. Les anti-gaz s’appuient sur un nombre important de site web, une forte mobilisation militante (associations, manifestations), une partie de la classe politique acquise à cette cause et une forte médiatisation en direction de l’opinion publique.
Les éléments de langage des pro-gaz de schistes
Les pro-gaz utilisent des arguments économiques et géopolitiques. S’appuyant sur la situation américaine, les pro-gaz mettent en avant un « miracle économique » : le prix du gaz a été divisé par trois, il contribue à relancer la croissance et va offrir aux Etats-Unis une indépendance énergétique que l’Europe et la France sont loin de posséder. A la suite d’une étude réalisée par Sia partners, les pro-gaz avancent également l’argument de l’emploi, assez imparable en période de chômage de masse. Le gaz de schiste permettrait donc de créer 100 000 emplois. Ce chiffre est annoncé en septembre 2012, jour de la première conférence environnementale à propos de la transition énergétique, et sera repris par bon nombre d’organes de presse. Le dernier argument de poids est la réduction de la dépendance gazière de la France et donc une réduction de la facture des importations.
Pour faire passer leur message, surtout en direction de l’opinion, les pro-gaz s’appuient également sur la présence et les déclarations des personnes publiques, en général des dirigeants de grandes entreprises françaises. Les pro-gaz ont bien compris que le poids des mots est capital dans cette offensive. Plutôt que d’attaquer directement l’exploitation des gaz de schiste, ils concentrent leurs efforts sur l’exploration et la recherche. On entend ainsi un important industriel français (Jean-Louis Beffa) parler d’obscurantisme à propos du refus d’expérimenter des techniques d’extraction, et énoncer que les expérimentations permettent d’avoir une idée sur le potentiel des gaz de schiste et le coût de revient. Puisque la fracturation hydraulique ne passe pas dans l’opinion, les pro-gaz vont mettre en avant un autre type de fracturation, la fracturation au propane. Ils se livrent à un lobbying intense avec des parlementaires et des ministres. Un exemple particulièrement révélateur est fourni par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Dans un rapport présenté en 2013 à propos des techniques alternatives à la fracturation hydraulique, l’OPECST auditionne notamment le président de la société Ecorstim (entreprise américaine spécialisée dans la fracturation au propane) ainsi que la plupart des entreprises impliquées dans les gaz de schiste. La conclusion du rapport ne laisse aucun doute : « pour terminer, s’il est une idée à retenir, c’est la nécessité de ne pas obérer l’avenir en entravant la recherche ».
Ce travail semble porter ses fruits puisque l’opinion publique commence à basculer. Même si elle reste opposée à l’exploitation des gaz de schiste, un sondage paru en février 2014 révèle que 69 % des français pensent qu’il faut chercher un mode d’exploitation propre. Toutefois, un autre sondage, publié en avril 2014, indique qu’une majorité de français reste opposé à l’exploitation des gaz de schiste. Il n’en reste pas moins que certaines personnalités politiques – incluant des ministres – et publiques se rallient ouvertement à l’idée de trouver une méthode autre que la fracturation hydraulique. Parmi ces ralliements, l’un des plus spectaculaires est sans doute celui de Nicolas Sarkozy qui, en septembre 2014, acceptait non pas seulement l’exploration, mais l’exploitation des gaz de schiste et disait vouloir substituer le « principe de responsabilité » au principe de précaution.
Une bataille au niveau européen
Les pro-gaz ont aussi mené la bataille au niveau européen. Ils ont notamment réussi à empêcher l’adoption d’une loi communautaire interdisant les gaz de schiste. Les anti-gaz de schiste, par le biais de plusieurs parlementaires écologistes, ont commandé plusieurs rapports qui mettent l’accent sur les dangers de la fracturation hydraulique. Ces rapports rencontrent un écho favorable auprès du commissaire européen chargé de l’environnement, Janez Potočnik. Les pro-gaz, soutenus par plusieurs pays (principalement la Pologne et le Royaume-Uni), visent donc la commission européenne. Ils savent pouvoir compter sur le soutien du président Barroso. Ainsi début 2014, la commission adopte des recommandations qui, à la différence d’une loi, n’ont rien d’obligatoires ni de contraignantes. Enfin, ils vont réussir à empêcher que des études d’impact ne soient rendues obligatoires avant de forer. La décision d’imposer des études d’impact doit être prise au niveau des gouvernements au Conseil européen. Chaque pays doit donc donner son avis. La France, ainsi que l’Allemagne, va s’abstenir lors de ce vote. Ce qui revient peu ou prou à donner la majorité à ceux qui ne voulait pas des études d’impact. Partant de là, plusieurs pays européens autorisent l’exploitation des gaz de schiste (Pologne, Royaume-Uni, Danemark) et des groupes français y obtiennent des permis de forage.
Aujourd’hui, le rapport de force semble s’être équilibré, le fort ayant comblé une partie de son retard. Toutefois, les ONG et les anti-gaz en général sont loin d’avoir abandonné et continuent leur mobilisation. Faut-il y voir un indice que la bataille n’est pas terminée, mais le Centre hydrocarbures non conventionnels (CHNC) a été fondé en février dernier. Présenté comme une plate-forme d’information scientifique et technique, le CHNC est présidé par Jean-Louis Schilanski, ancien président de l’Union française de l’industrie pétrolière, et a pour entreprises participantes Total, Suez Environnement, Bureau Veritas, Vallourec, GDF Suez, Accenture, ou encore Air Liquide. Il est évident que le débat va se poursuivre et continuera à déchaîner les passions, spécialement avec les échéances électorales qui se profilent en 2017.