Toulouse Blagnac ou l'Etat stratège sacrifié

Le récent refus de vendre Dailymotion à un groupe hongkongais ne gomme pas les arrière-pensées suites à la cession de l'aéroport de Toulouse-Blagnac à des intérêts chinois alliés à un groupe canadien. Toulouse Blagnac est le quatrième aéroport de province, le sixième français, derrière Roissy, Orly, Nice, Lyon et Marseille. En 2013, la société Aéroport Toulouse-Blagnac présentait un chiffre d'affaires de 117,4 M€ et un bénéfice net de 5,3 M€. L'actionnariat se composait de l'Etat (60%), de la Chambre de commerce et d'industrie de Toulouse  (25%), et des collectivités territoriales (15%).

Les courtes vues de François Hollande
En 2014, pour la première privatisation du quinquennat Hollande, Emmanuel Macron a voulu céder 49,9% du capital de l'aéroport appartenant à l'Etat avec une option pour céder, dans les trois ans, les 10,1 % restants. Un appel d'offre international est lancé le 18 juillet 2014. Sur les huit candidats à la reprise de l'aéroport, quatre ont formulé des propositions concrètes:

  • Aéroports de Paris (Etat actionnaire à 50, 6%), alliés à Prédica.



  • Vinci, associé à la Caisse des dépôts, CDC infrastructures, et à EDF Invest. (Etat actionnaire)



  • Cube, un fonds d'investissement de BPCE, associé à Natixis.



  • Symbiose, composé de Shandong Hi Speed Group, du fonds Friedmann Pacific Investment Group et de SNC-Lavalin (Canada).


Alors que des solutions françaises, dans lesquelles l'Etat avait des intérêts, existaient, le ministre de l'économie a décidé, le 4 décembre dernier, de sacrifier Toulouse-Blagnac sur l'autel de l'argent en accordant au gouvernement chinois, via Symbiose, la concession de l'aéroport. Symbiose a proposé 308 M€ pour cette concession de 30 ans, tandis que les autres candidats proposaient environ 20% de moins.
Cependant, cette décision prouve l'absence de stratégie de la France en matière de transport aérien.Outre le risque d'espionnage industriel puisqu'Airbus a ses installations juste à côté, vendre des installations aéroportuaires stratégiques à des pays étrangers démontre un manque de réflexion stratégique et économique. En effet, les participations de l'Etat dans la CDC, EDF Invest ou ADP auraient permis à l'Etat de garder le contrôle mais aussi d'avoir chaque année les dividendes supplémentaires des activités de l'aéroport, ADP reversant, eux, 60% de leur résultat net en dividendes.

Un groupe canadien condamné pour corruption

En plus d'avoir une vision court-termiste de gestion du patrimoine national, le ministre de l'économie a choisi le seul candidat qui compte parmi ses membres une entreprise sanctionnée par la Banque mondiale. Le fait est qu'en 2013, la Banque mondiale a radié SNC-Lavalin de tous ses programmes, pour 10 ans, pour cause de corruption. SNC-Lavalin fait office d'expert dans le groupe Symbiose et n'a pas apporté un euro. On peut se demander quelle expertise un groupe canadien condamné pour corruption peut apporter à un groupe chinois quant à l'achat d'une concession d'un aéroport français.
Il faut ajouter à cela que les deux entreprises chinoises du groupe Symbiose sont des bras armés du parti communiste chinois. Shandong Hi-speed est une entreprise d’Etat dépendant directement du parti communiste chinois. Son PDG est secrétaire du parti, et bénéficie grandement d'aides du gouvernement chinois ce qui fait d'elle une des entreprises d'Etat les plus rentables.
Friedmann Pacific est un groupe financier basé à Hong Kong, lié au secteur de l’aviation à travers le leasing d’avions et notamment CALC. Le fondateur et PDG de ce Groupe, Mike Poon, siège au sein du CPPCC, le « sénat » de la province du Heilongjiang, et est donc membre du PCC. Coïncidence heureuse du calendrier, CALC a promis d'acheter 100 Airbus moins d'une semaine avant la décision de l'attribution de la concession...  ADP, entreprise française qui gère les aéroports parisiens, n'ayant pas de compagnies aériennes, il était alors difficile de s'aligner surtout que M. Macron ne cache pas que ce fait a pesé lourd dans la balance.
Tous ces faits montrent qu'il est difficile de considérer que cet appel d'offres ce soit passé dans le plus grand respect de la transparence et de l'intérêt général.
Pour conclure, la question se pose quant à la réciprocité dans les affaires avec la Chine. S'appliquera-t-elle lorsque des entreprises françaises essayeront d'obtenir les concessions d'infrastructures stratégiques chinoises?

Frederic Gillet