La confrontation informationnelle larvée entre le Maroc et l’Espagne sur la question de l’îlot Perejil

Retour sur question de l’Ilot Perejil pour l’Espagne, îlot Leila pour le Maroc. La cause de cet affrontement informationnel est la différence de perception entre les deux pays pour ce rocher désert de 13 ha situé à 200m des côtes marocaines ne s’arrête pas là. Avant juillet 2002, très peu de Marocains ou d’espagnols avaient connaissance de ce bout de terre. En l’espace de quelques jours, cet îlot a faillé être le déclencheur d’une guerre. La crise de Perejil/Leila a éclaté le 11 juillet 2002 lorsque le Maroc a déployé quelques gendarmes sur ce rocher inhabité.

La mobilisation des médias dans cette crise diplomatique
S’en suivit alors une tempête médiatique en Espagne qui considéra l’acte marocain comme une marque d’hostilité à l’égard de l’Espagne. Le gouvernement d’Aznar alors au pouvoir parla carrément d’acte de guerre envers son pays. Dans cette crise soudaine, l’Union européenne apporta son soutien à l’Espagne à l’exception de la France et du Portugal. De son côté, la Ligue Arabe apporta son soutien au Maroc mais en revanche pas l’Algérie. Pour trouver une solution politique à la crise, le Maroc sollicita la médiation des Etats-Unis. L’accord était sur le point d’aboutir et le Maroc allait retirer les gendarmes présents sur le rocher quand le gouvernement Aznar décida contre toute attente d’une opération militaire. Les autorités espagnoles acheminèrent 28 hommes des unités spéciales de l'armée espagnole, appuyés par 5 hélicoptères Super Puma dans le but de s’emparer du fameux rocher. L'objet de ce déploiement de force exceptionnel était de déloger les six gendarmes marocains qui y campaient depuis une semaine. Si l'opération s'est déroulée sans violence, les répercussions médiatiques et diplomatiques de ce coup de force ont été très importantes.
Pour comprendre le traitement médiatique de cet épisode, il faut se rappeler que l’Espagne a très mal vécu la décolonisation du nord du Maroc qui était sous sa tutelle jusqu’en 1956, décolonisation incomplète à ce jour puisque deux villes Ceuta et Mellilia, villes côtières situées au nord du Maroc, n’ont pas fait partie de l’accord de désengagement de l’Espagne et demeurent à ce jour des enclaves sous autorité espagnole. Le Maroc continue de réclamer la récupération de ces deux villes et considère le maintien de ces présides comme une situation anachronique, vestige de l’ère coloniale.

Le regret espagnol de l’abandon du Sahara occidental
L’autre événement qui constitue une ombre dans les relations entre ces deux pays, est la récupération du Sahara occidental par le biais de la marche verte organisée par Hassan II, roi du Maroc en novembre 1975 et qui contraignit l’Espagne à se retirer de ce territoire sans aucune résistance. Pour mener cette action, le Maroc s’était basé sur un jugement en sa faveur rendu par la cour internationale de La Haye, confirmant qu’il y avait toujours eu des actes d’allégeance des tribus sahraouies envers les diverses monarchies marocaines. L’Espagne a longtemps considéré avoir plié trop facilement à cette manifestation de force pacifique, arguant du fait qu’elle s’était vu retirer un territoire stratégique donnant sur l’Atlantique à quelques kilomètres des îles Canaries. Dès lors, les relations entre le Maroc et l’Espagne ont oscillé entre un pragmatisme fondé sur la recherche de l’apaisement par une coopération multisectorielle et un nationalisme exacerbé qui rejaillit lors des moments de tension comme celui de l’îlot Perejil en juillet 2002.
Pour Aznar, c’était donc l’occasion rêvée de faire une démonstration de force et montrer que son gouvernement avait traité la crise avec fermeté. Lors de la conférence de presse qui suivit l’assaut, Madrid a justifié la décision de débarquer par la force comme une volonté de montrer à la partie adverse que cette fois-ci il n’y aura pas de faiblesse dans la position espagnole.

L’extension informationnelle du conflit diplomatique
Sont alors entrées en scène toutes les associations pro-polisario (mouvement indépendantiste du Sahara Occidental soutenu principalement par l’Algérie) qui ont trouvé là une aubaine pour pointer du doigt un Maroc expansionniste et hégémonique. Ce furent autant de caisses de résonances qui ont servi pour la justification de l’assaut. L'affaire de l’îlot Parejil a été résolue au prix d'intenses efforts diplomatiques, en particulier américains avec plusieurs jours de négociations menés personnellement par Colin Powell. Le Maroc pouvait-il ignorer qu’il allait déclencher une réaction épidermique en violant un consensus tacite qui voulait qu’aucune des deux nations n’établirait de présence permanente sur cet îlot ?
L’explication est dans le traitement médiatique de cette crise soudaine sur la scène médiatique marocaine. La presse partisane et indépendante, et à l’unanimité, a fustigé l’attitude coloniale de l’Espagne en rappelant que le Maroc ne cesserait jamais de réclamer les villes de Ceuta et Mellilia et que l’îlot Leila faisait partie des eaux territoriales marocaines, que le Maroc était dans son bon droit en exerçant sa souveraineté. Le message était clair : le Maroc dénonçait le maintien de l’Espagne au nord du Maroc et souhaitait attirer l’attention sur ses revendications.

Le cas sous-jacent de Gibraltar

L’Espagne vivait de son côté la même situation que le Maroc avec Gibraltar, un territoire géographiquement dans la continuité naturelle du sud de l’Espagne mais sous souveraineté britannique. Or le 12 juillet 2002 et après 12 mois de négociation, l’Espagne et la Grande Bretagne devaient arriver à un arrangement sur un processus de désengagement de Gibraltar au profit de l’Espagne. L’histoire ne dit pas si le débarquement marocain sur Perejil la veille de l’accord en a changé la mouture finale toujours est-il que le Maroc par son geste a voulu marquer les esprits avec le message suivant : si l’Espagne veut récupérer Gibraltar, elle ne pourra pas maintenir en même temps sa présence au nord du Maroc et contrôler à elle seule l’ensemble du détroit.
Economiquement quel est l’enjeu de cette partie du monde ? Le détroit de Gibraltar est l'un des passages obligés de la grande route maritime Est - Ouest du commerce international. Il fixe les grands courants d'échange et les activités littorales. Dans sa dimension Nord-Sud, il occupe également une place stratégique vis-à-vis des flux humains et de marchandises entre Europe et Afrique. Le 30 juillet 2002, Mohamed VI, Roi du Maroc, annonçait le lancement d’une opération d’aménagement d’envergure à 40 km à l’est de Tanger et à 14km du port d’Algéciras. Il s’agit de construire ex nihilo un port en eau profonde, structuré principalement autour de terminaux à conteneurs.

Une situation toujours bloquée

Treize ans après cet épisode îlot Perejil/Leila, Gibraltar n’a pas changé de statut, l’Espagne et le Maroc sont toujours sur le statu quo, les relations sont toujours ambivalentes, les échanges économiques sont très denses et la guerre de l’information un exercice quasi-permanent. Quand on analyse les informations diffusées par les médias espagnols et marocains respectivement l’un sur l’autre ou l’un envers l’autre, on distingue clairement qu’en matière d’informations offensives, l’Espagne a une longueur d’avance. Le Maroc quant à lui a vraisemblablement adopté une stratégie de victimisation, chaque information qui le met en cause ou qu’il estime qu’elle lui porte atteinte, est immédiatement démontée ou suivie de protestations officielles. C’est une récurrence de la communication marocco-espagnole comme le démontre l’exemple de, l’information relayée par le journal espagnol ABC qui croyait tenir un véritable scoop en prêtant au ministre de la Culture marocain, la volonté pour son département d’« exploiter conjointement avec l’Espagne » le célèbre complexe historique de Grenade l’Alhambra, au nom « des droits dont jouissent les descendants des bâtisseurs ». Mais, vérification faite, l’information véhiculée par ABC s’avéra fausse, dans la mesure où le quotidien reprit, sans les recouper, des informations qui avaient circulé sur Internet par le biais de sites ultranationalistes espagnols. Autre exemple encore plus démonstratif, est le traitement qui a été fait par les médias espagnols lors des manifestations des pro-polisario à Laayoune dans le Sahara occidental en 2010. En effet, l’agence de presse espagnole EFE, a diffusé une photo d'enfants blessés à la tête recevant des soins dans un hôpital. Selon EFE, il s'agissait « de victimes de la répression marocaine ». Or il s’est avéré par la suite que la photo en question était celle d'enfants de Gaza, victimes de l'agression israélienne en 2006. La photo incriminée a été reprise par de grands journaux comme El Pais. Le ministre de la Communication marocain de l’époque, a pour sa part évoqué : « de graves atteintes à l’éthique et la déontologie journalistique de certains médias espagnols qui ont reproduit cette photo ».
Il  n’est pas impossible que cette confrontation informationnelle autour de la question diplomatique du Perejil ne mute progressivement vers un affrontement de nature plutôt économique. La situation monopolistique du port d’Algesiras pour les trafics conteneurisés est en effet remise en cause par la montée en puissance du port marocain de Tanger-Med. En 2016, la capacité de Tanger Med I et II sera le double de celle d’Algésiras qui n’a pas d’espace naturel pour s’agrandir.

Asmâa MORINE