Les manifestations contre l’exploitation du gaz de schiste déroulées en 2013 en Roumanie ont mis en évidence un changement radical des pratiques subversives déroulées dans un des pays de l’ancien bloc de l’est. Dans des pays comme la Roumanie et la Bulgarie, qui ont connu des régimes communistes strictes avant la chute du mur de Berlin, ce genre d’action d’agitation des foules et d’opposition contre les forces de l’ordre ont pris dans les trois dernières décennies surtout la forme des manifestations syndicales et des affrontements parfois très violents avec les gendarmes, comme par exemple le mouvement des travailleurs des mines de charbon dans les années 90.
Une guerre de l’information anti-gaz de schiste
Dans le déroulement des évènements on constate, et cela pour la première fois en Roumanie, une coordination extrêmement efficace entre les actions sur le terrain et l’usage des nouvelles technologies média (réseaux sociaux, sites internet, téléphones et réseaux portables) comme vecteurs porteurs des messages à caractère offensif.
En 2011, pour renforcer sa sécurité énergétique et afin de connaitre le potentiel d’extraction, l’Agence Nationale des Ressources Minérales (ANRM) a signé 55 accords d’exploration avec des sociétés pétrolières roumaines et étrangères. Parmi ces sociétés, deux se sont déclarées intéressées par l’exploration des gisements de gaz de schiste : Chevron (Etats Unis) en Est et Sud-est et NIS Gazprom Neft (Serbie) dans l’Ouest du pays.
Pour rester cohérentes à la stratégie énergétique nationale, les autorités roumaines ont bien évidement adopté une position favorable à l’exploration des sources de gaz de schiste, appelées « sources non-conventionnelles » par opposition aux gisements de gaz naturel dont l’extraction nécessite des méthodes « conventionnelles ». Dans plusieurs déclarations publiques, le président de l’époque, Traian Basescu, ainsi que le premier ministre d’opposition Victor Ponta ont mis en évidence la nécessite pour la Roumanie de bien localiser et éventuellement exploiter ce type de ressources énergétiques. L’Agence Nationale des Ressources Minérales (ANRM) a organisé des séances d’information publique sur la technologie utilisée et a même créé un site web spécialement dédié à informer la population sur le gaz de schiste.
Les autorités roumaines ont utilisé dans leur campagne de communication un discours stérile, monotone, sans un vrai impact pour la population. Un exemple dans ce sens est la façon dont le site de l’ANRM présente la composition du fluide utilisé pour la fracturation hydraulique en utilisant des termes de substances chimiques peu ou pas connues par le public, avec un mélange d’information en roumain et en anglais, difficilement lisible, avec des notes en petits caractères en bas de pages.
Chevron a organisé plusieurs réunions avec les habitants des communes où des activités de prospection avaient été prévues, notamment dans le périmètre d’exploration du sud-est (département de Constanta). Les représentants de la compagnie pétrolière ont tenu en général des discours techniques. Ils ont mis l’accent sur la différence entre l’activité d’exploration et celle d’exploitation en insistant sur la méthode non-polluante d’exploration et sur les compensations proposées par Chevron aux propriétaires des terrains sur lesquels les équipements seraient installés.
Ce sont les opposants au projet qui ont choisi le lieu de confrontation sur le terrain. Peu après l’annonce par les médias de l’attribution des accords d’exploration du gaz de schiste, en mars 2012, dans le périmètre d’exploration accordé à Chevron dans l’est de la Roumanie (Département de Vaslui), un groupe d’activistes a réussi à ressembler environ 80 signatures pour une pétition adressée au gouvernement. Le groupe est connu comme « GISCB » - Groupe d’Initiative Sociale et Civique Barlad. Tout au long des années 2012 et 2013, pendant que GISCB avec d’autres organisations anti-fracturation sont devenus de plus en plus actifs dans le département de Vaslui, Chevron a continué son action d’information restant très concentré sur le deuxième périmètre qui lui avait été attribué, dans le département de Constanta. Selon les données de l’Institut National de Statistique, il y a une forte différence entre le revenu moyen des habitants des deux départements (94% du revenu moyen national pour Constanta et seulement 73% pour Vaslui) et entre la distribution de la population dans les deux départements (32% en milieu rural en Constanta contre 61% en Vaslui).
Un modus operandi subversif
GISCB est resté très actif tout au long de cette étape de préparation. Ils ont tenu deux types de discours : un discours écologiste, adressé principalement aux autres organisations et associations écologistes plus connues et beaucoup mieux organisées, et un deuxième discours, plus nationaliste, adressé à la foi aux propriétaires des terrains du périmètre d’exploration et aux jeunes étudiants des centres universitaires. Ils ont continué à envoyer des pétitions aux autorités, des différents membres de ce groupe ont organisé des réunions avec les habitants des communes visées par le projet, des conférences de presse à diverses occasions et ont participé à des émissions de télévision. GISCB a aussi créé 3 groupes sur la plateforme sociale Facebook et a diffusé plusieurs clips vidéo sur youtube. Ils ont utilisé les médias régionaux, notamment le journal « Vremea Noua » comme une boite de résonance locale pour leurs messages et ils se sont fait connaître dans les milieux des étudiants à l’occasion d’un festival de film pour la jeunesse organisé dans un centre universitaire où ils ont participé aux discussions autour du film GasLand de Josh Fox.
Un des membres fondateurs du GISCB est Mr. Vasile Laiu, l’archiprêtre de Birlad, département de Vaslui. Il a tenu de nombreux discours avec des renvois à des événements marquants et bien connus de l’histoire aussi bien dans les églises du département que dans les médias. Dans un de ces discours il a déclaré qu’il « préfère mourir debout que de périr la tête dans la boue de Chevron ». Ce type de discours, mélangé à des messages sur l’empoisonnement de la nappe phréatique par les fluides de fracturation et sur le risque séismique lié aux activités d’exploration, ont eu un fort impact notamment sur la population rurale.
Les opposants ont préparé le terrain aussi bien sur le plan matériel que sur le plan immatériel bien avant que les outillages de forage arrivent sur place. Ils ont su attaquer là où Chevron ne s’attendait pas.
Le 14 octobre 2013, à Pungesti, village du département de Vaslui, environ 150 manifestants ont bloqué l’accès des outillages Chevron sur le terrain. Les évènements se sont accélérés et deux jours plus tard, plus de 500 manifestants venus de plusieurs localités de Roumanie ont formé un bouclier humain pour empêcher l’accès des engins de Chevron au site de Pungesti. Des confrontations violentes avec les forces de l’ordre ont eu lieu, plusieurs blessés ont été transportés à l’hôpital et les mass média centraux ont annoncé le décès d’un homme de 81 ans (fausse information). Les opposants se sont installés dans des tentes et sont restés sur place plusieurs semaines.
Les manifestants ont transmis en direct sur poste tv live sur Facebook toutes les confrontations avec les gendarmes. Les jours suivants, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Bucarest et dans les principaux centres universitaires de Roumanie en signe de solidarité avec les manifestants de Pungesti. A Bucarest les manifestants se sont déplacés au siège du gouvernement et ont demandé la démission du premier ministre. Des confrontations avec les forces de l’ordre ont eu lieu quand les gendarmes ont essayé de disperser la foule.
La défaite de Chevron
Face aux actions des manifestants, Chevron a décidé d’arrêter temporairement l’activité à Pungesti. Le 2 décembre, quand ils sont revenus, les gendarmes ont bloqué tous les points d’accès au village pour 24 heures. Des nouvelles confrontations violentes ont eu lieu. Une zone de sécurité spéciale a été instituée par les autorités à Pungesti afin de permettre l’accès au site de Chevron.
Plusieurs ONG dont ActiveWatch ont demandé une enquête pour les actions des forces de l’ordre à Pungesti. Les évènements de protestation contre l’exploration du gaz de schiste par Chevron en Roumanie ont été traités par la presse européenne.
Les actions contre Chevron ont continué tout au long de l’année 2014. En février 2015 Chevron a annoncé qu’il renonce à ses activités d’exploration du gaz de schiste en Roumanie considérant ces concessions peu profitables par rapport aux autres opportunités d’affaire.
Chevron n’a pas pu éviter le piège du discours justificatif, les représentants de la société déclarant plusieurs fois pour les média que tous les permis environnementaux, ainsi que les autorisations pour l’activité d’exploration du gaz de schiste avaient été obtenus. Ils n’ont pas essayé de prendre appui sur certains courants de la société civile qui étaient très favorables à l’idée d’autosuffisance énergétique de la Roumanie et n’ont adopté en aucun moment une stratégie de contre-attaque.
Dans la campagne contre Chevron, pour assurer leur victoire, les opposants au projet ont utilisé avec beaucoup d’efficacité les nouveaux moyens mis à leur disposition par la société de l’information. Plusieurs sites internet et blogs ont été créés dans ce but, des dizaines de groupes Facebook et même un poste tv online en direct. Les images chocs prises lors des manifestations et leur transmission par téléphone portable en temps réel sur les blogs et les pages Facebook constituent à la fois une forme d’attaque informationnelle et une des particularités de cet évènement.
Remus-Anton Smarandoiu
Une guerre de l’information anti-gaz de schiste
Dans le déroulement des évènements on constate, et cela pour la première fois en Roumanie, une coordination extrêmement efficace entre les actions sur le terrain et l’usage des nouvelles technologies média (réseaux sociaux, sites internet, téléphones et réseaux portables) comme vecteurs porteurs des messages à caractère offensif.
En 2011, pour renforcer sa sécurité énergétique et afin de connaitre le potentiel d’extraction, l’Agence Nationale des Ressources Minérales (ANRM) a signé 55 accords d’exploration avec des sociétés pétrolières roumaines et étrangères. Parmi ces sociétés, deux se sont déclarées intéressées par l’exploration des gisements de gaz de schiste : Chevron (Etats Unis) en Est et Sud-est et NIS Gazprom Neft (Serbie) dans l’Ouest du pays.
Pour rester cohérentes à la stratégie énergétique nationale, les autorités roumaines ont bien évidement adopté une position favorable à l’exploration des sources de gaz de schiste, appelées « sources non-conventionnelles » par opposition aux gisements de gaz naturel dont l’extraction nécessite des méthodes « conventionnelles ». Dans plusieurs déclarations publiques, le président de l’époque, Traian Basescu, ainsi que le premier ministre d’opposition Victor Ponta ont mis en évidence la nécessite pour la Roumanie de bien localiser et éventuellement exploiter ce type de ressources énergétiques. L’Agence Nationale des Ressources Minérales (ANRM) a organisé des séances d’information publique sur la technologie utilisée et a même créé un site web spécialement dédié à informer la population sur le gaz de schiste.
Les autorités roumaines ont utilisé dans leur campagne de communication un discours stérile, monotone, sans un vrai impact pour la population. Un exemple dans ce sens est la façon dont le site de l’ANRM présente la composition du fluide utilisé pour la fracturation hydraulique en utilisant des termes de substances chimiques peu ou pas connues par le public, avec un mélange d’information en roumain et en anglais, difficilement lisible, avec des notes en petits caractères en bas de pages.
Chevron a organisé plusieurs réunions avec les habitants des communes où des activités de prospection avaient été prévues, notamment dans le périmètre d’exploration du sud-est (département de Constanta). Les représentants de la compagnie pétrolière ont tenu en général des discours techniques. Ils ont mis l’accent sur la différence entre l’activité d’exploration et celle d’exploitation en insistant sur la méthode non-polluante d’exploration et sur les compensations proposées par Chevron aux propriétaires des terrains sur lesquels les équipements seraient installés.
Ce sont les opposants au projet qui ont choisi le lieu de confrontation sur le terrain. Peu après l’annonce par les médias de l’attribution des accords d’exploration du gaz de schiste, en mars 2012, dans le périmètre d’exploration accordé à Chevron dans l’est de la Roumanie (Département de Vaslui), un groupe d’activistes a réussi à ressembler environ 80 signatures pour une pétition adressée au gouvernement. Le groupe est connu comme « GISCB » - Groupe d’Initiative Sociale et Civique Barlad. Tout au long des années 2012 et 2013, pendant que GISCB avec d’autres organisations anti-fracturation sont devenus de plus en plus actifs dans le département de Vaslui, Chevron a continué son action d’information restant très concentré sur le deuxième périmètre qui lui avait été attribué, dans le département de Constanta. Selon les données de l’Institut National de Statistique, il y a une forte différence entre le revenu moyen des habitants des deux départements (94% du revenu moyen national pour Constanta et seulement 73% pour Vaslui) et entre la distribution de la population dans les deux départements (32% en milieu rural en Constanta contre 61% en Vaslui).
Un modus operandi subversif
GISCB est resté très actif tout au long de cette étape de préparation. Ils ont tenu deux types de discours : un discours écologiste, adressé principalement aux autres organisations et associations écologistes plus connues et beaucoup mieux organisées, et un deuxième discours, plus nationaliste, adressé à la foi aux propriétaires des terrains du périmètre d’exploration et aux jeunes étudiants des centres universitaires. Ils ont continué à envoyer des pétitions aux autorités, des différents membres de ce groupe ont organisé des réunions avec les habitants des communes visées par le projet, des conférences de presse à diverses occasions et ont participé à des émissions de télévision. GISCB a aussi créé 3 groupes sur la plateforme sociale Facebook et a diffusé plusieurs clips vidéo sur youtube. Ils ont utilisé les médias régionaux, notamment le journal « Vremea Noua » comme une boite de résonance locale pour leurs messages et ils se sont fait connaître dans les milieux des étudiants à l’occasion d’un festival de film pour la jeunesse organisé dans un centre universitaire où ils ont participé aux discussions autour du film GasLand de Josh Fox.
Un des membres fondateurs du GISCB est Mr. Vasile Laiu, l’archiprêtre de Birlad, département de Vaslui. Il a tenu de nombreux discours avec des renvois à des événements marquants et bien connus de l’histoire aussi bien dans les églises du département que dans les médias. Dans un de ces discours il a déclaré qu’il « préfère mourir debout que de périr la tête dans la boue de Chevron ». Ce type de discours, mélangé à des messages sur l’empoisonnement de la nappe phréatique par les fluides de fracturation et sur le risque séismique lié aux activités d’exploration, ont eu un fort impact notamment sur la population rurale.
Les opposants ont préparé le terrain aussi bien sur le plan matériel que sur le plan immatériel bien avant que les outillages de forage arrivent sur place. Ils ont su attaquer là où Chevron ne s’attendait pas.
Le 14 octobre 2013, à Pungesti, village du département de Vaslui, environ 150 manifestants ont bloqué l’accès des outillages Chevron sur le terrain. Les évènements se sont accélérés et deux jours plus tard, plus de 500 manifestants venus de plusieurs localités de Roumanie ont formé un bouclier humain pour empêcher l’accès des engins de Chevron au site de Pungesti. Des confrontations violentes avec les forces de l’ordre ont eu lieu, plusieurs blessés ont été transportés à l’hôpital et les mass média centraux ont annoncé le décès d’un homme de 81 ans (fausse information). Les opposants se sont installés dans des tentes et sont restés sur place plusieurs semaines.
Les manifestants ont transmis en direct sur poste tv live sur Facebook toutes les confrontations avec les gendarmes. Les jours suivants, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Bucarest et dans les principaux centres universitaires de Roumanie en signe de solidarité avec les manifestants de Pungesti. A Bucarest les manifestants se sont déplacés au siège du gouvernement et ont demandé la démission du premier ministre. Des confrontations avec les forces de l’ordre ont eu lieu quand les gendarmes ont essayé de disperser la foule.
La défaite de Chevron
Face aux actions des manifestants, Chevron a décidé d’arrêter temporairement l’activité à Pungesti. Le 2 décembre, quand ils sont revenus, les gendarmes ont bloqué tous les points d’accès au village pour 24 heures. Des nouvelles confrontations violentes ont eu lieu. Une zone de sécurité spéciale a été instituée par les autorités à Pungesti afin de permettre l’accès au site de Chevron.
Plusieurs ONG dont ActiveWatch ont demandé une enquête pour les actions des forces de l’ordre à Pungesti. Les évènements de protestation contre l’exploration du gaz de schiste par Chevron en Roumanie ont été traités par la presse européenne.
Les actions contre Chevron ont continué tout au long de l’année 2014. En février 2015 Chevron a annoncé qu’il renonce à ses activités d’exploration du gaz de schiste en Roumanie considérant ces concessions peu profitables par rapport aux autres opportunités d’affaire.
Chevron n’a pas pu éviter le piège du discours justificatif, les représentants de la société déclarant plusieurs fois pour les média que tous les permis environnementaux, ainsi que les autorisations pour l’activité d’exploration du gaz de schiste avaient été obtenus. Ils n’ont pas essayé de prendre appui sur certains courants de la société civile qui étaient très favorables à l’idée d’autosuffisance énergétique de la Roumanie et n’ont adopté en aucun moment une stratégie de contre-attaque.
Dans la campagne contre Chevron, pour assurer leur victoire, les opposants au projet ont utilisé avec beaucoup d’efficacité les nouveaux moyens mis à leur disposition par la société de l’information. Plusieurs sites internet et blogs ont été créés dans ce but, des dizaines de groupes Facebook et même un poste tv online en direct. Les images chocs prises lors des manifestations et leur transmission par téléphone portable en temps réel sur les blogs et les pages Facebook constituent à la fois une forme d’attaque informationnelle et une des particularités de cet évènement.
Remus-Anton Smarandoiu