Soft power sur la santé en Afrique

L’Ecole de Guerre Economique est à l’origine d’une étude Le réseau africain pour l’éducation, la santé et la citoyenneté (RAES), un vecteur d’influence pour la France en Afrique francophone ? Réalisée par la MSIE22, cette étude souligne les méthodes informationnelles mises en œuvre par certaines puissances dans le domaine de l’influence appliqué à la question de la santé publique en Afrique. En voici quelques extraits .

L’anticipation américaine

En 2000, 193 Etats membres de l’organisation des Nations Unies (ONU) et 23 organisations internationales identifient 4 objectifs du millénaire pour le développement (OMD) relatifs à la santé. Entre 2001 et 2010, les financements mondiaux des pays en développement (PED) qui proviennent de partenariats public-privé, ont été multipliés par trois, pour atteindre le pic de 28,2 milliards de dollars en 2010. Ainsi, sur cette période, l’aide publique mondiale au développement a augmenté de 61% pour atteindre 148,4 milliards de dollars en 2010.
Depuis 1990, les enjeux économiques et sécuritaires s’affirment au détriment de l’enjeu politique. Sur le temps court, une vaste offensive diplomatique et économique peut être identifiée : En 1996, l’administration Clinton élabore une directive orientée vers les maladies infectieuses. «Leur ampleur dans le monde, tout ce qui concourt à leur propagation, leurs retentissements économiques, le retard de développement de nouvelles molécules et la résistance des agents infectieux aux antibiotiques, la mobilité des populations et la croissance de mégapoles la faiblesse des systèmes de santé des pays pauvres, sont autant de sujets de préoccupation du président soucieux de sécurité nationale». Entre 1999 et 2003, le National Intelligence Council (NIC) a publié au minimum 3 rapports sur la santé mondiale ; tous relèvent l’idée selon laquelle «New and reemerging infectious diseases will pose a rising global health threat and will complicate US and global security over the next 20 years»;
En définitive, pour l’administration Clinton comme pour les suivantes, la santé mondiale est avant tout un prétexte de diplomatie douce servant les intérêts économiques et sécuritaires nord-américains. Comme le souligne l’historien Georges-Henri Soutou, «Les Etats-Unis ont bien compris qu’au fond la véritable puissance, aujourd’hui, c’est de pouvoir jouer dans les deux sphères, interétatique et transnationale». Dominique Kerouedan, professeure au Collège de France et spécialiste de la santé mondiale, précise «ni l’altruisme, ni la philanthropie, n’expliquent la préoccupation des grandes puissances pour la santé mondiale».

Le Sénégal comme pays d’accueil du projet RAES
Imaginé en 2003, le projet de Réseau Africain d’Education pour la Santé et la Citoyenneté (RAES)1 est le fruit d’une initiative américano-sénégalaise qui œuvre pour la promotion de la santé par le biais de programmes multimédias. Depuis 2005, date de sa mise en oeuvre au Sénégal, son action s’est étendue aux populations du Mali, de la Guinée-Bissau, du Bénin, du Burkina-Faso, du Niger, du Cameroun, du Togo et du Gabon. Le choix du Sénégal comme pays-plateforme du projet RAES s’explique par de multiples facteurs. Tout d’abord, le premier de ces facteurs tient à l’appétence de son Président, Abdoulaye WADE (1er avril 2000 - 2 avril 2012), pour les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ainsi, comme le précise un ancien proche, «le Président WADE était lui-même un mordu du Net, des réseaux sociaux. Il passait une partie de ses nuits à surfer sur la Toile (...)». Ensuite, même si le pays se trouve confronté à des défis importants en matière d’éducation, d’infrastructures et de santé, le Sénégal est l’un des pays les plus stables de région sur le plan politique. Enfin, le Sénégal a consenti de nombreux investissements dans le secteur des TICs et est connecté à l’Internet depuis avril 1996. Dès 2001, le Sénégal se dote d’une stratégie nationale pour le développement des TICs qui promeut dans une large mesure l’e-gouvernance et le renforcement de l’industrie nationale des TICs. La même année, il bénéficie d’une liaison à haut débit pour se connecter à l’Internet par le biais d’un réseau sous-marin à fibre optique, dont l’accès est peu coûteux par rapport aux pays voisins. «Les réseaux sociaux ont attiré les populations en ligne, les coûts d’accès dans les villes sont peu élevés, la demande émanant de grandes société de télécommunications a créé un pool de développeurs de logiciels relativement important». En 2011, le taux de pénétration de l’Internet au Sénégal atteignait 17,5%30. Depuis 1997, le Sénégal a entrepris la libéralisation de son secteur des télécommunications avec la privatisation partielle de son opérateur national de téléphonie, Sonatel, devenu Orange, qui contrôle plus de 55% du marché31. En 2012, plus de 8 millions de personnes sur les 12,6 millions d’habitants que compte le pays possédaient un téléphone portable.
La France saura-t-elle saisir cette opportunité pour se repositionner dans la mutation de l’industrie de la santé vers le numérique ?