La stratégie normative du groupe General Electric dans les réseaux électriques intelligents européens

Le rapport 2013 de l'Agence Internationale de l'Energie (IEA) prévoit une augmentation de 75% de la consommation électrique mondiale entre 2010 et 2030, liée essentiellement à la croissance des pays dits émergents comme la Chine et l’Inde. Cette augmentation, marquée par une demande plus importante que l’offre, entraine une tension importante dans un secteur stratégique pour une nation. C’est pourquoi, à l’horizon 2020, en matière d’énergie électrique, l’union européenne s’est fixée des objectifs de sécurité d’approvisionnement, d’économie et d’intégration des énergies renouvelables (EnR) comme l’éolien et le solaire.
Les Smart Grids ou réseaux électriques intelligents (REI) peuvent répondre à l’ensemble de ces enjeux et problématiques. Le réseau de transport d’électricité est « intelligent » depuis de nombreuses années (automates, capteurs). Cependant, dans les REI, « l’intelligence » optimise la production, la distribution et la consommation sur toutes les mailles du réseau et par conséquent améliore l’efficacité énergétique de l’ensemble. Les REI peuvent donc répondre aux futurs enjeux liés à la production électrique en Europe. Les REI sont un des éléments stratégiques de la croissance des pays émergents. Ainsi, des pays comme la Chine place le développement des REI comme priorité nationale.

Le besoin de normes dans les REI

Actuellement, aucune norme n’existe dans les REI. Les différents acteurs sont dans une phase de test et d’évaluation des différentes solutions possibles. Ces solutions sont testées à l’échelle régionale sur des projets pilotes comme par exemple « Poste Électrique Intelligent » et « e-Highway2050 » menés par RTE, dont les premiers résultats sont attendus cette année.
Depuis 2010, les acteurs de l’énergie se sont engagés dans une course contre la montre pour normaliser les REI d’une part, et créer un modèle économique viable sur ces technologies d’autre part. C’est là tout l’enjeu. En effet, lorsque les étapes d’expérimentation et de normalisation seront franchies, le déploiement pourra se faire à l’échelle nationale ou transnationale. Et si le modèle est à la fois qualitatif et compétitif, il s’imposera de facto comme référence mondiale pour devenir un élément de compétitivité à l’échelle planétaire.
Dans cette course, on trouve principalement l’Europe, les Etats-Unis et la Chine (cf.note 1). Les industriels européens (Alstom, Schneider, ABB, Siemens, RTE, ERDF, etc.) sont reconnus mondialement pour leur savoir-faire historique en matière de production, transport et distribution de l’énergie électrique. Ils sont pionniers dans les REI depuis 2005. Cependant, les restrictions des financements publics et le manque de coordination transnationale freinent le développement de grands projets. Les opérateurs ne veulent pas être les seuls à investir et ne veulent pas investir dans des programmes de R&D couteux, sans avoir la certitude que leur technologie soit retenue.
La vision outre-Atlantique est totalement différente. Les Etats-Unis ont réalisés tardivement l’enjeu des Smart Grids. A partir de 2009, une politique d’interopérabilité des standards a été définie par la FERC (Commission fédérale de régulation de l'énergie) et les financements publics ont atteint plus de 5 milliards d’USD, dont une partie en R&D, sous la coordination du DOE (Département de l’énergie).

Une stratégie d’occupation du terrain
General Electric (cf. note 2) est présent en Europe depuis de nombreuses années, mais pas de manière suffisamment significative dans les RE. Par le rachat des activités Énergie (Power) et Réseaux (Grid) d'Alstom, General Electric va pouvoir faire face à son principal concurrent, le mastodonte Allemand Siemens et ainsi entrer de plein pied dans la bataille des normes en Europe.
L'énergie est au centre du projet stratégique américain. Les REI sont un des composants de l’énergie et la demande est importante notamment dans les pays émergents. Imposer sa norme au niveau mondial est stratégique pour la croissance d’une entreprise, mais dans un secteur aussi stratégique elle l’est aussi pour un Etat qui souhaiterait accroitre sa puissance par des moyens détournés. Le gouvernement Etats-unien encourage et participe aux actions de normalisation et soutient financièrement la R&D dans ce domaine.

  • En mars 2011, GE, rachète Converteam (anciennement Alstom Power Conversion), spécialisée dans le domaine de la conversion de l'énergie électrique, un des éléments clefs des REI.



  • Courant mars 2014, GE créé un consortium industriel et technologique, l’ICC, avec des poids lourds US des NTIC (AT&T, Cisco, IBM et Intel). Le DG du consortium est Joseph J. Salvo, directeur du laboratoire d'ingénierie des systèmes complexes chez GE Global Research. Le but affiché est notamment d’influencer le développement des processus globaux de standardisation pour les technologies internet et les systèmes industriels. La Maison Blanche et d’autres entités gouvernementales US soutiennent officiellement la création de ce consortium. En moins de 3 mois, plus de 50 entreprises de différents pays rejoignent ce consortium (Siemens, Toyota, etc.).



  • Fin juin 2014, Jeffrey Immelt, PDG de GE, annonce un accord avec le gouvernement français sur l'acquisition d'Alstom Power. L’offre de GE en vue de l’acquisition des activités énergies et réseaux d’Alstom représente un total de 14 milliards d’€. Dans un premier temps Arnaud Montebourg ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique s’oppose à ce rachat, mais il est remplacé par Emmanuel Macron en aout 2014 et le rachat est finalement accepté et finalisé en novembre 2014.


GE rachète certaines activités d’Alstom à 100% et se positionne sur des coentreprises (joint-ventures) sur les technologies de REI et d’EnR. Ce modèle de coentreprise est souvent choisit pour opérer des transferts technologiques. Progressivement GE avance ses pions en Europe dans différents domaines liés à l’énergie (nucléaire, REI, EnR). Les réseaux électriques intelligents sont encore en une phase finale de validation partout dans le monde et il va falloir attendre encore plusieurs mois pour voir les normes qui vont savoir s’imposer. Pendant ce délai, il faudra surveiller de près les actions de lobbying de effectuée par GE notamment via le groupement SDEC (Smart Energy Demand Coalition) chargé de promouvoir les intérêts des industriels des REI auprès de l‘union européenne. Par ailleurs, une montée en puissance plus rapide que prévu des acteurs chinois sur la scène européenne et mondiale, pourrait entrainer un rapprochement stratégique entre GE (Alstom) et Siemens.

Note 1 :
Le cas de la Chine ne sera pas étudié car il sort de l’axe original de la grille de lecture. On peut néanmoins retenir que plus de 100 milliards € vont être investis dans les REI sur 10 ans et qu’il n’y a aucune contrainte de normalisation puisque les entreprises monopolistiques sont sous contrôle de l’Etat.
Note 2 :
Dans le domaine de l’énergie électrique, le groupe américano-canadien General Electric et le groupe français Alstom sont des acteurs majeurs. Néanmoins, ils ne sont pas de taille équivalente : GE compte 307 000 employés (dont 11 000 en France) contre 93 500 pour Alstom. Le classement Forbes Global 2000 positionne le premier à la 7ème place (CA : 143 milliards USD) et le second à la 493ème (CA : 27 milliards USD). Un troisième acteur est également important : le géant allemand Siemens (premier employeur privé en Allemagne) avec 405 000 employés. Bien qu’il se place à la 53ème place du Forbes 2000  (CA : 100 milliards USD), ce groupe européen est dans les mêmes proportions que son rival américain GE.