La problématique de puissance des Emirats Arabes Unis

Les EAU se sont tenus à l’écart des turbulences provoquées par les transitions arabes en instaurant de nombreuses réformes dans leur système politique. De plus, les décideurs émiriens ont multiplié les mesures économiques et sociales afin de garantir la stabilité du pays.
Cette fédération a fait l’objet d’un développement spectaculaire depuis une vingtaine d’années avec un PIB de 387 Mds $ en 2013. L’émirat d’Abou Dhabi composant à lui seul 60% du PIB total du pays, détient l’essentiel de la production d’hydrocarbure et gère au travers de plusieurs fonds souverains comme ADIA, ADIC ou la Mubadala development company, la quasi-totalité de l’épargne pour les générations futures. Abou Dhabi finance un modèle de développement destiné à préparer l’après-pétrole, centré sur l’industrie, les hautes technologies, la culture et la connaissance. L’émirat de Dubaï a quant à lui axé son développement sur sa position privilégiée de plate-forme commerciale - dont un port et un aéroport comptent parmi les plus importants du monde - avant de se spécialiser dans les services, l’immobilier et le tourisme. Il souhaite également faire de la cité-Etat un "hub mondial" pour la finance et "l’économie islamique".
La préparation de l’après pétrole, ainsi que l’environnement régional instable du monde arabe et particulièrement l’Iran, constitue une forte préoccupation pour les Emirats arabes unis, pays de taille moyenne, faiblement peuplé et entouré de voisins puissants. Face à ce contexte régional difficile, et afin de contribuer à sa volonté de stabilité, croissance et diversification,Abou Dhabi montre à travers ces investissements, guidés par ses fonds souverains,une réelle stratégie balayant plusieurs volets de l’accroissement de puissance.

Les axes d’accroissement de puissance

La puissance conférée par leurs ressources naturelles et leur abondance de capitaux a fait naitre des stratégies visant d’abord à pérenniser leur puissance montante. Celle-ci a ensuite fait l’objet d’un accroissement afin que ce pays devienne un acteur influentdans le monde arabe etsur la scène internationale.Cela passe par plusieurs mouvements stratégiques bien pensés. D’abord le développement de son territoire,dans l’objectif qu’il devienne un lieu stratégique pour le commerce international, l’industrie et la technologie de pointe. En parallèle,ils développent des projets visant à limiter toutes formes de dépendance, contrer les stratégies de domination des pays voisins, et développe des partenariats (Universités, Institut de recherche et culturel) afin de produire de la connaissancemais aussi accroitre sa capacité d’influence en activant le levier du Soft Power.

Stratégie de conquête

Dans un premier temps nous pouvons nous focaliser sur leur objectif de sécurisation et de contrôle énergétique, qui représente un élémenttrès important dans une stratégie de conquête à but économique. De nombreux exemples illustrent cette dernière, la construction de l’oléoduc permettant d’éviter le détroit d’Ormuz, l’installation d’une centrale nucléaire (premier pays autorisé depuis la Chine en 1981) ou encore le développement des énergies renouvelables dans de nombreux projets qu’ils entreprennent comme la ville de Masdar (électricité renouvelable, zéro carbone et zéro déchets). Ces investissements stratégiques consistent à soutenir l’accroissement de leur capacité de production, tout en mettant un point d’honneur sur le respect de l’environnement et le développement durable. Ces investissements ont plusieurs intérêts. D’abord, assurer une certaine sécurité énergétique, ensuite ils permettent de se positionner sur les standards des futures normes internationales, tout en diversifiant leur économie et en augmentant leur compétitivité pour aller à la conquête de parts de marchés à l’international.
A l’intérieur de cette stratégie de conquête, nous pouvons observer la partie relative au contrôle des routes stratégiques pour le commerce mondial. Des investissements considérables ont été effectués pour que ce pays devienne une plateforme logistique et marchande de premier rang, ainsi qu’un hub mondial, aussi bien portuaire - 14 ports actuels ainsi que de nombreux projet en cours - qu’aéroportuaire avec 6 aéroports, sans compter les projets actuels d’extension de l’aéroport d’Abou Dhabi afin de passer d’une capacité de 12 millions de passagers annuels à 40 millions en 2016.
Cette stratégie de conquête des marchés etde certains secteurs économiques stratégiques est catalysée par l’utilisation du levier de la finance, leur permettant de rattraper leur déficit de puissance diplomatique, technologique, agricole et industrielle. La création d’une plate-forme de négoce en matières premières est un exemple fort et vise à sécuriser ses approvisionnements en métaux mais surtout alimentaires. Les fonds souverains, bras armés de nombreux pays, permettent aux Emirats d’investir de manière opaque et peu contrôlée dans des secteurs stratégiques- aérospatiale, énergie renouvelable, service financier et NTIC -28% de la bourse de Londres, 20% du NASDAQ, ou encore des participations dans General Electric, Citigroup et bien d’autres. De plus, la détention par les fonds d’Abou Dhabi ou de Dubaï, de larges parts des secteurs de l’aéronautique, de la Défense, des nanotechnologies et de la banque-assurance d’Europe et des USA montre à la fois leur intention de conquête mais aussi à quel point la financiarisation de l’économie a rendu poreuse les stratégies défensives.

Stratégie de domination

Victime d’un déficit de technologie mais bénéficiant de ressources abondantes, les décideurs de ce pays ont très vite pris conscience de l’importance stratégique, ainsi que de leur capacité d’influencer un autre Etat via ses ressources ou sa technologie. « Fournisseur officiel, dominateur officieux ». Cela se manifeste chez eux, par une stratégie de contre domination en incitant les entreprises, à travers la création de zones franches dédiées pour différents secteurs – twofour54, zonescorp, DubaiSilicon Oasis, DIFC -à s’installer sur le territoire pour que le pays bénéficie d’un certain pouvoir de négociation, ainsi que de la Ce pays a aussi mis en place une stratégie de domination par l’économie, en choisissant de contrôler directement des entreprises stratégiques comme la Mubadala company, et ainsi les utiliser facilement dans l’intérêt du pays.
La classe dirigeante de cet Etat considère les technologies et les savoir-faire des investisseurs étrangers comme les atouts de la réussite de leur reconversion.
Dans cette perspective de diversification du tissu industriel, ils encouragent fortement les transferts de technologie et de savoir-faire, le partenariat investisseur étranger et capital local privé,ainsi que le développement des activités touristiques et commerciales.
Nous pouvons penser que par la suite, ils commenceront à mettre une certaine pression pour bénéficier des transferts de technologie lors de la signature de futurs contrats.

Stratégie de séduction

Ce pays, qualifié de « séducteur patient » par certains spécialistes développe une réelle stratégie de séduction. D’abord sur le terrain du développement durable, du tourisme (haut de gamme), de l’éducation (Sorbonne, MIT, NYU ou INSEAD), de la culture (Louvres, Guggenheim), mais aussi du sport (F1, Golf, Tennis) et de la santé (Imperial Cleveland Clinic, Hopital Franco Emirien ou encore l’Abu Dhabi Knee& Sports Medecine Centre).
Il est impossible de nier l’existence de cette volonté de séduction lorsque l’on analyse tous les efforts mis en œuvre pour développer l’attractivité du territoire. Cela commence par les infrastructures existantes (aussi bien portuaires, aéroportuaires qu’industrielles) ainsi que celles en cours d’élaboration (340 km de lignes de métro et tramway, des centrales pour la production d’eau et d’électricité, ou encore des programmes d’équipements étatiques et industriels de dernière génération). Dans cette stratégie de séduction, l’un des exemples le plus représentatif est la création d’une trentaine de grandes zones économiques spécialisées dans des secteurs stratégiques qu’ils considèrent comme prioritaires tels que l’automobile, la pétrochimie, la sidérurgie ou l’aluminium (Airport free zone, Kizad (pour les industries), twofour54 (pour les média, dont la BBC, CNN et Reuters sont déjà implantés) ou la GMAD (zone dédiée à la finance). Ces zones franches offrent plusieurs avantages, comme l’exonération d’impôt et de taxes douanières, la délivrance accélérée de visa, de permis de travail, d’autorisations ou de licences pour faciliter le business et son développement. De plus, elles offrent des équipements et des infrastructures telles que des bureaux, des parcelles de terrains à bâtir, des unités de services d’entreposage et de logistique.
Enfin, concernant cette partie de la stratégie orientée sur la séduction, on remarque que ce pays, spécialement à travers l’émirat de Dubaï et d’Abou Dhabi, met en place minutieusement tous les éléments pour développer l’utilisation du soft power. La zone franche dédiée à l’installation des média n’est pas anodine, tout comme l’organisation de grands évènements culturels, sur l’avenir de la planète ou sportifs (F1, tournoi de golf ou de tennis) mais aussi la création d’autres aires d’influence leur permettant d’accroitre leur puissance diplomatique, aussi bien dans les pays voisins que ceux plus éloignés, en apportant leur aide au travers de divers moyens humanitaires.
L’utilisation d’une stratégie à la fois offensive et défensive leur apporte un double avantage, d’une part, elle permet de limiter leur dépendance et accroitre leur puissance, tout en gardant une image positive au regard du reste du monde. Cette stratégie s’inscrit dans une dynamique globale avec une vision basée sur long terme, leur permettant de couvrir un large panel d’enjeux stratégiques actuels et d’autres qui surviendront dans le futur.

Qui dirige la manœuvre ?

Le gouvernement, à travers les cheikhs de chaque Emirat, ainsi que les membres de leur famille, présents dans tous les conseils d’administration des organisations ou des fonds ayant une importance stratégique.
Cette « politique » est décidée au niveau de l’Etat et mise en œuvre au travers de certaines organisations aussi bien publiques que privées, dirigées par le pouvoir en place.
Mubadala company, ENEC ou ADIA, sont de véritables outils de puissance au service des EAU, comme Gazprom ou Norilsk Nickel pour la Russie. Cette stratégie est dissimulée derrière une recherche de rentabilité patrimoniale pour les investissements effectués dans les grands groupes internationaux, très souvent camouflée derrière un développement respectueux de l’environnement et socialement responsable, mais aussi en évitant d’être trop offensif pour éviter d’attirer l’attention et donc la méfiance.

L’émirat d’Abou Dhabi a connu, depuis une vingtaine d’années un développement spectaculaire mais contrôlé. Cela lui permettant de réaliser un bon nombre de ses objectifs, accroitre sa puissance tout en conservant une image positive et devenir un acteur influent du Moyen-Orient. Cet Emirat maitrise très bien sa communication et laisse d’autres Etats comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite s’exposer sous le feu des projecteurs tout en prenant une place croissante dans l’économie mondiale. Cela lui permet de générer une certaine confiance, tout en gardant une plus grande marge de manœuvre afin de continuer à mettre en place sa stratégie d’accroissement de puissance. Elle-même effectuée grâce aux investissements de ses différents fonds, dont ADIA, qui est aujourd’hui le plus gros fonds souverain du monde avec plus de 800 milliards de dollars d’actifs dont un bon nombre sont sous-évalués.
Mais cette politique d’accroissement de puissance est à la merci de la fragilisation géopolitique de cette région du globe (manœuvres de puissances, conflits entre sunnites et chiites, rivalités ethniques).

Tony Amato

Sources :
Portefeuille d’investissement du fonds Mubadala (site officiel) :
http://www.mubadala.com/en/interactive-portfolio#
Masdar site officiel:
http://www.masdar.ae
Yas Island site officiel:
http://www.yasisland.ae/
Saadiyat Island site officiel:
http://www.saadiyat.ae/en/
Guardian Article focussed on Masdar:
http://www.guardian.co.uk/artanddesign/2010/dec/19/norman-foster-masdar-city-review
The Urban Planning Council Public Realm Design Manual (lengthy but detailed) http://www.upc.gov.ae/prdm/common/docs/Public%20Realm%20Design%20Manual.pdf

http://online.wsj.com/public/resources/documents/Nasdaq_BorseDubai_offer.pdf
http://www.rfi.fr/emission/20101121-abou-dabi-future-place-negoce-internationale/
http://www.uaefreezones.com/emirates_abudhabi.html

Exposition Universelle site officiel :
http://expo2020dubai.ae/fr/
http://www.thenational.ae/uae/expo-2020

interview d’Ardavan Amir-Aslani
Spécialiste en géostratégie du Proche-Orient et en théologie comparée, avocat au Barreau de Paris, auteur de "Iran, le retour de la Perse".