L’acquisition de connaissances pour gagner l’international : le cas Tata Steel

Le groupe Tata Steel est un acteur incontournable du marché mondial, le 5ème groupe mondial de l’acier après l’acquisition de Corus. Le groupe est régulièrement récompensé pour ses innovations et son bon rapport qualité prix. Le groupe a désormais une présence globale avec des activités dans 26 pays, une présence commerciale dans 50 pays et couvre les cinq continents. Le groupe a réussi à s’imposer et se stabiliser sur un marché de la sidérurgie en crise, là où certains grands groupes notamment européens ont échoué. Le groupe bénéficie toujours d’un marché intérieur indien en plein développement et il a su résister à l’inflation du marché des matières premières. Il poursuit actuellement sa stratégie de stabilisation en réalisant l'acquisition de nouvelles mines en Afrique (Côte d’ Ivoire pour 2016) rivalisant ainsi avec la concurrence chinoise. Le secret de son développement a été sa capacité d’acquérir du savoir et du savoir faire chez les autres concurrents.

Le fer de lance d’un ancien conglomérat indien
Le groupe Tata Steel, premier groupe métallurgiste en Inde est le porte-drapeau du conglomérat indien Tata. C’est un groupe centenaire fondé en 1907 qui occupe une place vitale et historique dans l’économie indienne mais qui est en concurrence permanente avec   l'entreprise publique Steel Authority of India Ltd. Or, au début des années 1990, le groupe Tata est encore dépendant du régime de licence indien et du contrôle gouvernemental. Grâce à l'ouverture progressive du marché aux entreprises étrangères le groupe Tata Steel est l’une des premières compagnies à être déréglementée et à pouvoir se développer à l’international ce qui lui permet de s'extirper de la concurrence interne. Le marché de la sidérurgie mondiale est alors en pleine restructuration, les fusions acquisitions se multiplient notamment en Europe et en Amérique du Nord où le secteur connait une forte réorganisation et un recentrage des activités. De son côté, le secteur de la sidérurgie russe est lui aussi en pleine restructuration avec le passage d'une économie planifiée à une économie de marché. Les entreprises russes doivent revoir l'intégralité de leur modèle de gestion. Le secteur de la sidérurgie chinoise est quant à lui en pleine expansion mais il reste trop dispersé et faible d'un point de vue technologique. La Chine ne dispose pas d'une grande entreprise ayant les connaissances et les capacités de Tata Steel. De plus la forte demande interne chinoise ne permet pas le développement d'activités destinées à l'export. Dans ce contexte, seul le géant Japonais Nippon Steel parvient à se maintenir. Cette période voit aussi la montée en puissance des activités du businessman indien Lakshmi Mittal qui dès le départ a basé l'exclusivité de ses activités à l'international avec le rachat en 1991 de l'entreprise mexicaine Ispat international. Contrairement au groupe Tata Steel qui est reconnu et respecté par l'Etat indien, les activités de la famille Mittal sont déconsidérées.

Une politique d’acquisitions anticipatrice en termes de compétition
Le groupe Tata Steel a su s'appuyer sur de solides bases historiques pour faciliter son développement international. Son accroissement a donc été très rapide et en seulement une dizaine d’années, le groupe a su acquérir les moyens techniques et financiers pour devenir un acteur incontournable du marché mondial de la sidérurgie. Dès 1997 sa direction signe des partenariats avec de grandes entreprises de la sidérurgie (Nippon Steel, Lugi Metallurgie, Thyssen…) pour accroître son savoir faire. Rapidement le groupe fait l’acquisition de mines notamment en Australie et en Afrique. En 2006, le groupe commence sa vraie ascension sur les marchés émergents avec l’acquisition de NatSteel (Singapour) puis Millenium Steel (Thaïlande) qui lui ouvre les portes des marchés émergents d’Asie du Sud-est (Chine, Malaisie, Vietnam, Singapour et philippines). En 2007, le groupe acquière une importante notoriété en rachetant Corus, 7ème groupe mondial fortement implanté en Europe de l'ouest finalisant ainsi son entrée sur le marché mondial.
Le groupe est très développé en Inde mais il subit la concurrence féroce de l'entreprise publique Steel Authority of India Ltd tant au niveau des marchés qu'au niveau des ressources. Le groupe établit donc une stratégie d’accroissement de puissance à l'international basée sur trois points principaux: la recherche de nouveaux marchés, l'acquisition d'un savoir technologique et un meilleur accès à la ressource. Le but étant de contrôler l'intégralité de la chaîne de production, de l’extraction de la matière première (le charbon et le fer) en passant par la fabrication de l’acier puis à la vente du produit fini. Le groupe choisit de se développer en Asie du Sud-est pour accéder à des marchés émergents prometteurs (Vietnam, Philippines et Singapour pour la construction). Ces acquisitions lui permettent notamment de rivaliser avec le géant Nippon Steel, d'anticiper un éventuel développement chinois sur un espace alors peu considéré par les autres grandes compagnies du secteur. D'un point de vue technologique, l'industrie européenne possède un savoir-faire très avancé. De ce fait, le développement de partenariats avec des entreprises européennes puis  l'acquisition de Corus en 2007 lui permettent d'acquérir des connaissances essentielles à son développement. En ce qui concerne la ressource, le groupe est encore dépendant de sa concurrence avec la Steel Authority of India. De ce fait, le groupe réalise plusieurs acquisitions en Australie et en Afrique notamment ou le groupe a su anticiper la concurrence chinoise.
Cette stratégie permet au groupe de s'assurer des débouchés et des coûts de production stables; notamment grâce aux matières premières qui représentent entre 60% et 70% du coût du produit fini; tout en restant dans la course au développement technologique et à l'innovation. Cette stratégie permet ainsi une adaptation rapide au marché et notamment à la forte augmentation de la demande liée au développement du marché chinois. Le groupe n'est plus en concurrence permanente avec la Steel Authority of India, ce qui lui permet d'avoir plus de marges de manœuvre et de devenir l'étendard de la sidérurgie indienne à l'international. Enfin, cette stratégie permet d'inscrire le groupe dans une stabilité sur le long terme et d'asseoir ses positions à contrario des activités du groupe Mittal qui sont basées sur une rentabilité à court terme.

Les liens entre Tata et le pouvoir politique indien
Le groupe Tata est à la manœuvre avec son  PDG  Ratan Tata qui a su profiter de l’ouverture des investissements à l’étranger. Ratan Tata a poussé au développement du groupe à l’international aidé en cela par le directeur de Tata Steel Balasubramanian Muthuraman qui après des études en Europe maîtrise l’économie européenne. Le gouvernement indien considère que l’industrie de la sidérurgie, métallurgie est un paramètre influent et indispensable pour le développement des économies modernes. Les liens entre le gouvernement indien et le groupe Tata sont très forts. Le gouvernement indien s’implique diplomatiquement et financièrement pour soutenir les investissements et acquisitions de Tata Steel à l’étranger. Le groupe bénéficie aussi du soutien des gouvernements britanniques qui cherchent à conserver des liens privilégiés avec le gouvernement indien et les entreprises indiennes. Le groupe Tata Steel avait notamment bénéficié d'un grand apport technologique de la part des entreprises britanniques dans les années 1950 et 1960. Ces bon rapports ont été entretenus une grande partie des ingénieurs du groupe étant formés dans des universités Britanniques.
Le groupe Tata Steel bénéficie du soutien des différents gouvernements indiens et a pu ainsi passer des accords avec l’État iranien pour l’exploitation de mines (2006) alors même que le pays est sous embargo.  Le groupe Tata Steel établi des partenariats directs avec des entreprises publiques indiennes pour l’acquisition et l’exploitation de mines en Afrique notamment au Mozambique ou Tata Steel et la Steel Authority of India  sont associées. Par ailleurs, pour faciliter son implantation en Asie du Sud-est, le groupe a su se présenter comme l'égal des pays et entreprises concernées en accentuant sur l'aspect néo-colonialiste des implantations japonaises. Suite à l'acquisition de ces marchés, le groupe a développer une stratégie d'influence politique active pour limiter l'entrée de la concurrence.

Sources humaines :
Bruno Seguin : Etudiant promotion XVIII de l’Ecole de Guerre Economique, a travaillé dans le secteur des matières premières.
Charles Roederer Expert de la sidérurgie, ancien directeur de l' Institut de recherche de la sidérurgie (Irsid)
Bibliographie:
La Chine et l’Inde à la conquête économique de l’Afrique www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_depeche.asp
Kimberly Freeman, Suresh Gopalan, Jessica Bailey Achieving Global Growth through Acquisition:  Tata’s Takeover of Corus Journal of Case Research in Business and Economic,2007.