L’USAid, une ONG au service de la puissance des Etats-Unis dans le monde
L’USAid, des débuts incertains
Créée en 1961 dans la continuité du plan Marshall, l’USAid – US Agency for International Development – a toujours affiché comme objectif premier d’apporter de l’aide aux pays en développement, directement ou par le financement d’ONG. En réalité, l’USAid est, au départ, un outil politique du gouvernement américain pour contrer l’influence soviétique en dehors de ses frontières. Il s’agit pour le gouvernement de « gagner les cœurs et les esprits » des futurs pays libres pour exporter son modèle, gagner des nouveaux marchés et déstabiliser les régimes hostiles à sa politique. Dès sa création, l’agence de développement est financée par la Maison Blanche, a hauteur de 1% environ du budget fédéral et incarne l’idée même du soft power américain. Mais en 1967, pendant la guerre du Vietnam, l’armée est en pleine débâcle et change de stratégie, afin de gagner la guerre de l’opinion publique. Les Etats-Unis tentent alors d’unifier les différentes agences de l’Etat par le biais du CORDS (cf.note1) une opération civilo-militaire de contre-insurrection. Mais la CIA refuse de renoncer à son indépendance et la tentative de coordination est un échec, puisqu’elle ne change pas la vision négative de la guerre aux Etats-Unis. Face à la défaite politique du Vietnam, de fortes critiques ont émanées du milieu humanitaire, pour dénoncer la collaboration d’ONG avec l’armée américaine et la CIA ce qui participe à distendre les liens entre la Maison Blanche et l’USAid, qui bénéficie alors d’une autonomie relative par rapport au Département d’Etat. Autonomie confirmée par un amendement au Foreign Assistance Act de 1974, qui interdit la collaboration de l’USAid avec le Département d’Etat, l’armée et la police. Mais la CIA utilise tout de même l’USAid pour s’infiltrer dans certains milieux politiques, par exemple en Amérique Latine, afin de déstabiliser les régimes socialistes dans les années 1970-1980.
La montée en puissance de l’USAid
En 1999, Bill Clinton met en place une stratégie offensive de sécurité économique en regroupant sous le contrôle du Département d’Etat l’ensemble des instruments d’influence des Etats-Unis dans le monde dont l’USAid. La transformation de l’USAid d’un outil politique vers un outil d’accroissement de puissance se confirme lors de l’administration Bush, face aux préoccupations de sécurité nationale. Une nouvelle stratégie multidimensionnelle émerge : l’aide au développement, outil phare du soft power américain doit s’insérer dans une stratégie globale coordonnée des Etats-Unis dont le leadership est assuré par le Pentagone. Il s’agit de protéger les intérêts stratégiques des Etats-Unis dans le monde. L’agence de développement voit son rôle évangélique renforcé, puisque les ONG deviennent, comme l’affirme alors Colin Powell « des multiplicateurs des Etats-Unis dans le monde ». L’USAid finance des ONG afin de répondre aux besoins élémentaires de pays en développement – éducation, santé, nutrition – ce qui permet aux Etats-Unis une présence légitime sur le terrain et d’assurer la conquête et la manipulation des populations. D’ailleurs, les missions dépendent plus de l’intérêt économique ou politique des Etats-Unis – directives établies par le Congrès - que de l’urgence humanitaire.
Les stratégies d’influence des Etats-Unis par le biais de l’USAid sont particulièrement efficaces puisque l’agence de développement est présente dans tous les pays ayant un intérêt stratégique, ce qui permet aux Etats-Unis de disposer d’un réseau d’informateurs très développé, présents sur le terrain. Le contact direct avec les habitants du pays permet aux Etats-Unis de mettre en place des affrontements économiques et politiques indirects et donc plus difficilement repérables. Le passage par des associations ou des ONG légitime l’intervention des Etats-Unis et met le pays visé dans une impasse vis-à-vis de la communauté internationale qui comprend difficilement que l’on puisse rejeter des aides humanitaires. Les stratégies offensives du gouvernement américain sont donc dissimulées sous le masque de la générosité.
Un levier d’influence drapé dans l’humanisme
L’USAid est aujourd’hui un bras armé de la politique étrangère. Ils récompensent les pays alliés des Etats-Unis, soutiennent les partis d’opposition dans les régimes ennemis et sanctionnent les Etats réfractaires au système démocratique américain. L’USAid travaille main dans la main avec la CIA et le Département d’Etat pour démultiplier l’effet d’influence et les canaux d’action. De nombreux agents de la CIA utilisent l’USAid comme couverture dans certains pays et les frontières semblent perméables entre les deux agences. L’ancien dirigeant de la CIA, James Woolsey préside par exemple l’ONG Freedom House – financée par l’USAid – qui a dispensé des formations de « soutien à la démocratie » dans les années 2000, en Serbie, en Ukraine et au Kirghizistan, avec pour objectif officieux de fomenter des révolutions dans ces pays hostiles aux Etats-Unis. Un objectif atteint avec brio par la Maison Blanche, et que l’on nomme aujourd’hui « Révolutions colorées ». La mise en œuvre des programmes de l’USAid dépend des contraintes politiques américaines : l’agence de développement ne financera certainement jamais des programmes sur l’avortement étant donné la position du Congrès sur ce sujet.
Les projets de l’USAid s’inscrivent plutôt dans le long terme, mais la durée des opérations est variable selon l’objectif recherché. Comme l’affirme l’ancien agent de la CIA Philip Agee, l’opération d’influence des Etats-Unis au Nicaragua pendant les élections de 1980 suit un schéma particulier qui sera repris plus tard au Venezuela, pour déstabiliser le régime d’Hugo Chavez. L’USAid, la CIA et le Département d’Etat ont mis en place, un an et demi avant les élections, un programme d’unification de l’opposition qui consistait à engager une entreprise américaine privée qu’ils placent sous leur contrôle puisque l’USAid nomme les dirigeants de l’entreprise (Development Alternatives Incorporated au Venezuela, Delphi International Group au Nicaragua). Ces entreprises, irriguées par l’USAid – en millions de dollars – financent l’opposition au régime ennemi des Etats Unis en pénétrant et en manipulant la société civile. La durée des opérations dépend en fait de l’agenda diplomatique de la Maison Blanche et suit des schémas précis selon l’objectif recherché.
Un début de remise en cause
Pourtant, l’USAid est depuis quelques années l’objet de vives critiques. En interne, les Américains lui reprochent un fonctionnement bureaucratique avec des dépenses inutiles, malgré la publication des retours sur investissement. Parallèlement, une rationalisation de l’aide publique gouvernementale pour les questions de développement a pu être notée depuis les années 1990. A l’étranger, de nombreux pays montrent aujourd’hui leur défiance envers l’agence de développement. Ainsi en 2013, la Bolivie a expulsé l’USAid du pays en l’accusant d’être présente pour des raisons politiques et non sociales. Si la stratégie d’influence de l’USAid a perdu une certaine forme de crédibilité suite aux révélations fréquentes dues à son fonctionnement par affrontements indirects, l’agence n’en reste pas moins un outil clé de puissance du gouvernement américain. Les stratégies d’accroissement de puissance dissimulées par l’humanitaire ne sont plus aussi discrètes qu’au moment de sa création, mais l’agence assume totalement son rôle stratégique et l’ambition est affichée depuis la devise de Bill Clinton « trade not aid ». L’USAid reste néanmoins un formidable outil de puissance pour les Etats-Unis, en imbriquant les sphères politiques, économiques et humanitaires afin qu’elles aillent toutes dans le sens de l’accroissement de puissance du pays. La puissance de l’USAid est donc aussi liée à la forte culture patriotique qui lie les acteurs politiques, économiques et sociétaux aux Etats-Unis.
Note 1 : Civil Operations and Revolutionary Development Support : réunit les ressources humaines et financières de la CIA, du Département d’Etat et de l’USAid en vue du programme de pacification.
Sources
Manon Loizeau, Les Etats-Unis à la conquête de l’Est, 2005
Ghassan Salamé, Quand l’Amérique refait le monde, 2005
Alexandra De Hoop Scheffer, "Les Etats-Unis, une puissance en crise d'adaptation", CERISCOPE Puissance, 2013
Le Monde, « Evo Morales expulse l'Usaid de Bolivie », Mai 2013
Neil Sheehan, L’Innocence Perdue, Un Américain au Vietnam, 1991
Carole LANCASTER, Quel avenir pour l’aide américaine à l’étranger ?,1997
Venezuelanalysis.com, The Nature of CIA Intervention in Venezuela, interview of Philip Agee, 2005
Créée en 1961 dans la continuité du plan Marshall, l’USAid – US Agency for International Development – a toujours affiché comme objectif premier d’apporter de l’aide aux pays en développement, directement ou par le financement d’ONG. En réalité, l’USAid est, au départ, un outil politique du gouvernement américain pour contrer l’influence soviétique en dehors de ses frontières. Il s’agit pour le gouvernement de « gagner les cœurs et les esprits » des futurs pays libres pour exporter son modèle, gagner des nouveaux marchés et déstabiliser les régimes hostiles à sa politique. Dès sa création, l’agence de développement est financée par la Maison Blanche, a hauteur de 1% environ du budget fédéral et incarne l’idée même du soft power américain. Mais en 1967, pendant la guerre du Vietnam, l’armée est en pleine débâcle et change de stratégie, afin de gagner la guerre de l’opinion publique. Les Etats-Unis tentent alors d’unifier les différentes agences de l’Etat par le biais du CORDS (cf.note1) une opération civilo-militaire de contre-insurrection. Mais la CIA refuse de renoncer à son indépendance et la tentative de coordination est un échec, puisqu’elle ne change pas la vision négative de la guerre aux Etats-Unis. Face à la défaite politique du Vietnam, de fortes critiques ont émanées du milieu humanitaire, pour dénoncer la collaboration d’ONG avec l’armée américaine et la CIA ce qui participe à distendre les liens entre la Maison Blanche et l’USAid, qui bénéficie alors d’une autonomie relative par rapport au Département d’Etat. Autonomie confirmée par un amendement au Foreign Assistance Act de 1974, qui interdit la collaboration de l’USAid avec le Département d’Etat, l’armée et la police. Mais la CIA utilise tout de même l’USAid pour s’infiltrer dans certains milieux politiques, par exemple en Amérique Latine, afin de déstabiliser les régimes socialistes dans les années 1970-1980.
La montée en puissance de l’USAid
En 1999, Bill Clinton met en place une stratégie offensive de sécurité économique en regroupant sous le contrôle du Département d’Etat l’ensemble des instruments d’influence des Etats-Unis dans le monde dont l’USAid. La transformation de l’USAid d’un outil politique vers un outil d’accroissement de puissance se confirme lors de l’administration Bush, face aux préoccupations de sécurité nationale. Une nouvelle stratégie multidimensionnelle émerge : l’aide au développement, outil phare du soft power américain doit s’insérer dans une stratégie globale coordonnée des Etats-Unis dont le leadership est assuré par le Pentagone. Il s’agit de protéger les intérêts stratégiques des Etats-Unis dans le monde. L’agence de développement voit son rôle évangélique renforcé, puisque les ONG deviennent, comme l’affirme alors Colin Powell « des multiplicateurs des Etats-Unis dans le monde ». L’USAid finance des ONG afin de répondre aux besoins élémentaires de pays en développement – éducation, santé, nutrition – ce qui permet aux Etats-Unis une présence légitime sur le terrain et d’assurer la conquête et la manipulation des populations. D’ailleurs, les missions dépendent plus de l’intérêt économique ou politique des Etats-Unis – directives établies par le Congrès - que de l’urgence humanitaire.
Les stratégies d’influence des Etats-Unis par le biais de l’USAid sont particulièrement efficaces puisque l’agence de développement est présente dans tous les pays ayant un intérêt stratégique, ce qui permet aux Etats-Unis de disposer d’un réseau d’informateurs très développé, présents sur le terrain. Le contact direct avec les habitants du pays permet aux Etats-Unis de mettre en place des affrontements économiques et politiques indirects et donc plus difficilement repérables. Le passage par des associations ou des ONG légitime l’intervention des Etats-Unis et met le pays visé dans une impasse vis-à-vis de la communauté internationale qui comprend difficilement que l’on puisse rejeter des aides humanitaires. Les stratégies offensives du gouvernement américain sont donc dissimulées sous le masque de la générosité.
Un levier d’influence drapé dans l’humanisme
L’USAid est aujourd’hui un bras armé de la politique étrangère. Ils récompensent les pays alliés des Etats-Unis, soutiennent les partis d’opposition dans les régimes ennemis et sanctionnent les Etats réfractaires au système démocratique américain. L’USAid travaille main dans la main avec la CIA et le Département d’Etat pour démultiplier l’effet d’influence et les canaux d’action. De nombreux agents de la CIA utilisent l’USAid comme couverture dans certains pays et les frontières semblent perméables entre les deux agences. L’ancien dirigeant de la CIA, James Woolsey préside par exemple l’ONG Freedom House – financée par l’USAid – qui a dispensé des formations de « soutien à la démocratie » dans les années 2000, en Serbie, en Ukraine et au Kirghizistan, avec pour objectif officieux de fomenter des révolutions dans ces pays hostiles aux Etats-Unis. Un objectif atteint avec brio par la Maison Blanche, et que l’on nomme aujourd’hui « Révolutions colorées ». La mise en œuvre des programmes de l’USAid dépend des contraintes politiques américaines : l’agence de développement ne financera certainement jamais des programmes sur l’avortement étant donné la position du Congrès sur ce sujet.
Les projets de l’USAid s’inscrivent plutôt dans le long terme, mais la durée des opérations est variable selon l’objectif recherché. Comme l’affirme l’ancien agent de la CIA Philip Agee, l’opération d’influence des Etats-Unis au Nicaragua pendant les élections de 1980 suit un schéma particulier qui sera repris plus tard au Venezuela, pour déstabiliser le régime d’Hugo Chavez. L’USAid, la CIA et le Département d’Etat ont mis en place, un an et demi avant les élections, un programme d’unification de l’opposition qui consistait à engager une entreprise américaine privée qu’ils placent sous leur contrôle puisque l’USAid nomme les dirigeants de l’entreprise (Development Alternatives Incorporated au Venezuela, Delphi International Group au Nicaragua). Ces entreprises, irriguées par l’USAid – en millions de dollars – financent l’opposition au régime ennemi des Etats Unis en pénétrant et en manipulant la société civile. La durée des opérations dépend en fait de l’agenda diplomatique de la Maison Blanche et suit des schémas précis selon l’objectif recherché.
Un début de remise en cause
Pourtant, l’USAid est depuis quelques années l’objet de vives critiques. En interne, les Américains lui reprochent un fonctionnement bureaucratique avec des dépenses inutiles, malgré la publication des retours sur investissement. Parallèlement, une rationalisation de l’aide publique gouvernementale pour les questions de développement a pu être notée depuis les années 1990. A l’étranger, de nombreux pays montrent aujourd’hui leur défiance envers l’agence de développement. Ainsi en 2013, la Bolivie a expulsé l’USAid du pays en l’accusant d’être présente pour des raisons politiques et non sociales. Si la stratégie d’influence de l’USAid a perdu une certaine forme de crédibilité suite aux révélations fréquentes dues à son fonctionnement par affrontements indirects, l’agence n’en reste pas moins un outil clé de puissance du gouvernement américain. Les stratégies d’accroissement de puissance dissimulées par l’humanitaire ne sont plus aussi discrètes qu’au moment de sa création, mais l’agence assume totalement son rôle stratégique et l’ambition est affichée depuis la devise de Bill Clinton « trade not aid ». L’USAid reste néanmoins un formidable outil de puissance pour les Etats-Unis, en imbriquant les sphères politiques, économiques et humanitaires afin qu’elles aillent toutes dans le sens de l’accroissement de puissance du pays. La puissance de l’USAid est donc aussi liée à la forte culture patriotique qui lie les acteurs politiques, économiques et sociétaux aux Etats-Unis.
Note 1 : Civil Operations and Revolutionary Development Support : réunit les ressources humaines et financières de la CIA, du Département d’Etat et de l’USAid en vue du programme de pacification.
Sources
Manon Loizeau, Les Etats-Unis à la conquête de l’Est, 2005
Ghassan Salamé, Quand l’Amérique refait le monde, 2005
Alexandra De Hoop Scheffer, "Les Etats-Unis, une puissance en crise d'adaptation", CERISCOPE Puissance, 2013
Le Monde, « Evo Morales expulse l'Usaid de Bolivie », Mai 2013
Neil Sheehan, L’Innocence Perdue, Un Américain au Vietnam, 1991
Carole LANCASTER, Quel avenir pour l’aide américaine à l’étranger ?,1997
Venezuelanalysis.com, The Nature of CIA Intervention in Venezuela, interview of Philip Agee, 2005