La politique de réseaux du Québec au sein de la Francophonie

Le Québec est né politiquement en 1967, suite à la célèbre allocution du général De Gaulle. Il dispose aujourd’hui, à l’instar d’un Etat régalien, d’instances politiques et diplomatiques à même d’assurer sa représentation tant envers le gouvernement fédéral canadien qu’à l’international.
Confronté aux tentations indépendantistes du Québec, le Canada a pris soin de juguler et de saboter les velléités québécoises d’accroissement de puissance. À l’échelle internationale d’abord, en s’agrégeant aux manœuvres diplomatiques québécoises en Afrique francophone dans les années 1970, puis à l’échelle nationale dans les années 1990 en subventionnant les communautés indiennes afin qu’elles se prononcent contre l’indépendance du Québec.
Dans ce contexte, le Québec recourt naturellement à la Francophonie dans sa stratégie d’accroissement de puissance pour limiter la capacité d’ingérence du Canada, mais aussi pour démultiplier son poids politique, diplomatique, scientifique et économique à l’international. Depuis 2006, le Québec œuvre pour la création d’un nouvel espace économique servant au mieux ses intérêts.

Au niveau économique, le Québec s’est imposé comme un acteur incontournable lors de la signature de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union Européenne. Il en tirerait d’importants subsides, évalués à 3,4 milliards d’euros.
En 2011, le Plan Nord, vaste et ambitieux programme de développement durable estimé à 80 milliards $CA, vient définir l’orientation économique du Québec à 20 ans. Le développement énergétique (minier, forestier) et la défense de l’environnement (respect de la biodiversité, amélioration de l’agriculture biologique et des transports) sont identifiés comme des secteurs clés, permettant de valoriser et réaffirmer la souveraineté du Québec sur ses territoires septentrionaux; mais également de diminuer sa dépendance envers le Canada en nouant, au sein de l’Atelier Grand Nord, des partenariats commerciaux décisifs avec la France, la communauté française de Belgique, le Luxembourg et la Suisse.

En matière culturelle, le Québec soutient sa production culturelle grâce au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), à la Société de Développement des Entreprises Culturelles (SODEC) et au Fonds Capital Culture Québec. Visant à pérenniser le français comme l’une des grandes langues des Amériques en dépit d’une empreinte territoriale toujours plus restreinte (aux Etats-Unis notamment), cette politique est foncièrement tributaire de la Francophonie pour sa survie : la France capitalise ainsi près de la moitié de l’offre culturelle québécoise en Europe. Elle engendre des revenus conséquents, estimés à 7,7% du PIB et à 175.000 emplois.

Au niveau éducatif, le Québec a noué grâce à la Francophonie des partenariats avec plusieurs universités et laboratoires de recherche. La France, deuxième partenaire en termes de publications communes dans le domaine de la recherche, envoie chaque année 8000 étudiants au Québec et en accueille 1000. Cette mobilité étudiante est approfondie en 2008, par la création du premier espace de mobilité professionnelle transatlantique, l’Entente entre le Québec et la France en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, puis en 2010 lors de la 16ème rencontre alternée des premiers ministres français et québécois avec l’Entente entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de la république française relative à la mobilité professionnelle et à l’intégration des migrants.
Le Plan Nord sert ici de prétexte pour susciter des projets de recherche conjoints, la capacité à innover assurant la prospérité économique et sociale du Québec.
Le Québec se positionne sur des secteurs à haute valeur ajoutée (technologies vertes, technologies de l’information & de la communication, aéronautique) et sur d’autres plus difficilement sujets à concurrence (culture, éducation). Il entend pérenniser sa capacité d’innovation, sa prospérité sociale, économique et culturelle ainsi que sa capacité à exercer envers les jeunes diplômés étrangers une forte attractivité.

Une démarche autonome par rapport à Ottawa
À l’international, cette stratégie lui permet de s’affranchir du gouvernement fédéral canadien, grâce aux relais d’accroissement de puissance identifiés au sein de la Francophonie.
Le ministère des relations internationales et de la Francophonie demeure le principal acteur à la manœuvre. Il exerce son influence à plusieurs niveaux :

  • Politique : en organisant notamment les visites alternées des premiers ministres français et québécois, en participant à la Conférence des chefs d’état et de gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français, à la Conférence des ministres de l’Education des Etats et gouvernements de la Francophonie (CONFEMEN).

  • Associatif : association internationale des maires & responsables des capitales et métropoles partiellement ou entièrement de langue française, association des universités partiellement ou entièrement de langue française

  • Culturel : via le CALQ et la SODEC, soutenus au sein de l’OIF par l’Agence de Coopération Culturelle et Technique, viaTV5 Monde.

  • Economique : en s’impliquant dans le forum francophone des Affaires et en créant des conditions propices à la réalisation des affaires, via le Cercle Québécois des Affaires Internationales (ex: fonds d’investissement franco-québécois, fonds capital culture Québec)

  • Educatif : en promouvant les partenariats avec des universités francophones, en facilitant la mobilité estudiantine.


Le Québec veille à associer le gouvernement fédéral à certaines de ses actions auprès de l’UE et en Afrique francophone. L’apparent engagement en faveur de la Francophonie et du multilatéralisme apaise le gouvernement fédéral, peu désireux de voir Québec se tourner trop ouvertement vers la France et la tentation indépendantiste.
S’agissant de défendre la spécificité culturelle québécoise et la langue française aux Amériques, l’opération n’a pas de durée à proprement parler. Tout au plus, elle vise à créer un terrain favorable sur lequel le processus indépendantiste pourra à long terme se solidifier. À cet effet, le Plan Nord pourrait permettre de gagner les tribus indiennes à la cause québécoise lors du prochain référendum.

Sources
Fernand Cloutier et Jacques Hamel, La culture d'entreprise au Québec et la montée en puissance des Québécois francophones. L'exemple de Cascades in Globe, Revue internationales d'études québécoises, volume 1, n°2, Université de Montréal, 1998.

Aurélien Yannic, Le Québec en Francophonie. Perceptions, réalités, enjeux: ou le relations particulières Québec Canada France Espace Francophone des origines à 1995, Université du Québec à Montréal et Université de Toulouse Le Mirail, 2007

Dominique Wolton (dir), L'identité francophone dans la mondialisation, cellule de réflexion stratégique de la Francophonie, décembre 2008.

Stratégie du gouvernement du Québec à l'égard des Etats-Unis, Ministère des Relations Internationales, Gouvernement du Québec, 2010

Stratégie du gouvernement du Québec à l'égard de l'Europe 2012-2015, Ministère des Relations Internationales, Gouvernement du Québec, 2012

La stratégie énergétique du Québec 2006-2015
: l'énergie pour construire le Québec de demain, Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune, Gouvernement du Québec, 2006