Guerre de l’information entre Israel et le Liban autour des gisements gaziers

Depuis l’été 2006, les tensions israélo-libanaises sont essentiellement concentrées autour de a délimitation terrestre imposée par l’ONU après le retrait israélien du Sud-Liban en 2000. Or depuis la découverte d’importants gisements gaziers offshores par la compagnie israélienne Delek Energy, les dimensions sont également devenues maritimes. Les zones concernées, dénommées Tamar et Léviathan, sont depuis farouchement disputées et ce en raison de l’absence de frontières officielles.

Un enjeu énergétique important pour les deux pays

D’après l’United States Geological Survey, ces gisements pourraient contenir près de 700 milliards de mètres cubes de gaz naturel ainsi qu’1,7 milliard de barils de pétrole, ce qui en ferait un enjeu stratégique majeur. Cependant de nombreux obstacles se dressent face à une potentielle exploitation de ces gisements, faisant de ces zones et plus particulièrement de celle du Léviathan, en raison de sa situation géographique, des objets singuliers aux yeux de la société libanaise.
Affirmant que ces gisements se trouveraient dans leur zone économique exclusive, les deux Etats en revendiquent la pleine et étroite souveraineté. Une situation qui n’a pas tardé à exalter les tensions comme le prouvent les déclarations du ministre libanais de l’Energie et de l’Eau Gebran Bassil, pour qui « aucun Libanais n’accepterait de renoncer à ses ressources énergétiques ni à ses droits maritimes ». S’en suit une campagne d’influence et d’information agressive dont l’objectif est de discréditer les prétentions israéliennes et de positionner le Liban comme la victime de l’expansionnisme sioniste. Ce faisant, le point fort de cette stratégie consiste à consolider un rapport de force du faible au fort afin d’émouvoir l’opinion publique internationale et de s’en attirer ainsi les faveurs. Cette tactique est également renforcée par des avertissements militaires, cette fois-ci assumés par le Hezbollah, qui a menacé Israël de représailles en cas d’exploitation des zones contestées. Dès lors, le Liban maintien sur les différents acteurs une pression à la fois légale et militaire.

La sensibilisation de la population libanaise
Pour que l’opération fonctionne, il est tout-à-fait nécessaire d’obtenir au préalable l’adhésion de la population libanaise. En effet, leur engagement et leur émotion semble être le fer de lance susceptible d’atteindre l’opinion publique internationale. Pour ce faire, l’Etat libanais va mettre en place deux stratégies de manière à les convaincre du bien-fondé de l’entreprise. La première consiste à réveiller l’animosité entretenue contre Israël en présentant les convoitises de l’Etat hébreu sur la zone du Léviathan comme des manœuvres illégales et expansionnistes. Force est de constater que ce résultat n’est pas le plus difficile à obtenir, puisque d’après un sondage réalisé auprès d’un échantillon de la population libanaise, Israël est massivement accusé de violer les frontières maritimes du Liban et apparaît comme contrevenant au droit international. La seconde manœuvre s’apparente à la stratégie du « pot de miel ». En effet, nous pouvons remarquer que le discours officiel du gouvernement libanais fait preuve d’un certain optimisme quant aux potentielles réserves proposées par la zone du Léviathan. Tandis que l’International Energy Agency (IEA) préconise la prudence en avertissant que rien n’est certain quant au contenu réel en gaz naturel et en pétrole du bassin levantin, Gebran Bassil annonçait dès 2012 que ces découvertes allaient faire entrer le pays du Cèdre dans « le club très fermé des pays producteurs et exportateurs de pétrole et de gaz ». L’enthousiasme endossé par le ministre est aujourd’hui partagé par la population libanaise, puisque 67% des sondés estiment que ces découvertes représentent bel et bien une révolution énergétique pour le Liban. En revanche, seuls 19% s’inquiètent des potentielles difficultés techniques et organisationnelles qui lui sont liées.

En jouant la carte de l’émotion, que ce soit en attisant la haine contre un ennemi naturel ou bien en faisant miroiter des réserves énergétiques peut-être plus importantes qu’elles ne le sont en réalité, l’Etat libanais est parvenu à rassembler sa population autour de la défense de ses intérêts offshores. Cette campagne d’influence et de mobilisation nationale se couple dès lors avec le volet légal de l’opération, qui consiste à affirmer que toute exploitation du Léviathan par Tel-Aviv serait une violation du droit international et du droit maritime. Ce faisant, l’opération se couvre d’un sédiment qui mélange adroitement mobilisation patriotique et justification légale. D’un côté, l’opinion publique est affiliée à des émotions aigres et amères qui ne font que raviver les antécédents avec les Israéliens. D’un autre, la communauté internationale est approchée par une position pragmatique qui s’adosse au droit, et ce tout en affichant un rapport du faible au fort qui lui est favorable.
La guerre informationnelle concernant la responsabilité d’Israël et la valeur des gisements du Léviathan fut de courte durée. En l’espace de deux ans (2010 – 2012), le gouvernement libanais est parvenu à susciter une forte attente au sein de sa population, à un tel point que celle-ci considère désormais les réserves offshores comme une solution pérenne pour redresser l’économie du pays. Peu sensibilisés aux questions énergétiques, les Libanais se prennent désormais à rêver d’un Liban autosuffisant et exportateur. En revanche, la bataille sur la scène internationale risque quant à elle de durer bien plus longtemps et ce en raison des réalités géopolitiques.
Les gisements gaziers du Léviathan mettent en évidence la capacité d’union du Liban, un pays pourtant réputé pour ses différentes ruptures sociétales et religieuses. Bien qu’elle n’ait pas réussi à émouvoir ni à consterner la communauté internationale, l’opération d’influence est tout-de-même parvenue à sensibiliser la société libanaise sur la question des réserves énergétiques, et la zone du Léviathan représente aujourd’hui un espoir avéré – si ce n’est fantasmé – de développement économique.