La prise en compte du changement climatique est-elle un risque ou une opportunité pour l’industrie du nucléaire civil ?

L’accès à l’énergie conditionne les capacités de développement d’un pays et  d’une nation, comme en témoigne l’évolution de l’espérance de vie moyenne en France. De 30 ans en 1790, elle est passée à plus 75 ans en 2013, alors que dans le même temps la consommation individuelle d’énergie a été multipliée par 14. Pour les deux milliards d’êtres humains vivant aujourd’hui sans électricité, l’espérance de vie est de 36 ans, soit un niveau proche de la France il y a deux siècles. En parallèle, l’émission de gaz à  effet de serre a augmenté de manière exponentielle provoquant un réchauffement global de la planète, lui-même source de modifications climatiques majeures.

Les scientifiques pointent depuis deux décennies la responsabilité des activités humaines dans la survenue de  ces évènements, posant ainsi la problématique de la soutenabilité de notre modèle de développement, et notamment la possibilité de fournir à une humanité de plus en plus énergivore une quantité d’énergie suffisante tout en prenant en compte la nécessité désormais reconnue de protéger notre environnement naturel.

L’énergie nucléaire est emblématique de cette aspiration contradictoire.

Si à court et long terme, la prise en compte du changement climatique fait peser sur l’industrie du nucléaire civil de vrais risques, à moyen terme, il existe une véritable opportunité : être la seule source d’énergie réellement apte et crédible pour assurer la transition entre les hydrocarbures et les énergies « futures ».

Une source d’énergie déjà polémique menacée à court et long terme par la prise en compte dans les sociétés occidentales du changement climatique.

A court terme, de nécessaires réformes des mesures de sureté réduiront l’avantage majeur de l’énergie nucléaire : son coût. De plus, cela vient s’ajouter à l’irruption des hydrocarbures non conventionnels, qui en faisant chuter le cours du pétrole aux Etats-Unis modifient profondément la donne sur le marché de l’énergie. Les Etats-Unis ont d’ailleurs suspendu la modernisation de leur parc nucléaire, choisissant d’allonger la durée de vie des réacteurs, ou de les fermer.

L’accident de Fukushima, en frappant les esprits, a relancé le débat sur le danger des installations nucléaires. Les pays possédant un parc nucléaire ont donc dû faire un effort de renforcement des contrôles industriels pour maintenir l’acceptabilité sociale de cette filière. Dans cette logique, on a pris en compte les effets de la redistribution des eaux. Car le fonctionnement d’une centrale nucléaire imposant une consommation de 40m3 par seconde et par réacteur, leur positionnement est dépendant d’une alimentation en eau permanente : fleuve ou côtes. Le réchauffement global de la Terre a entrainé une hausse du niveau des océans évalué entre 18 et 59 cm d'ici 2100 par le quatrième rapport du GIEC, mettant en danger certaines installations proches des côtes, nécessitant par exemple la construction de digues de 15 mètres de hauteurs au Japon.

L’accélération des programmes d’accès des nouveaux pays industrialisés (surtout la Chine et l’Inde) à la technologie nucléaire provoquera également une tension sur le prix du combustible nucléaire, principalement l’Uranium. Cet effet économique est cependant à relativiser. Du fait de la faible quantité de combustible nécessaire et du coût du cycle de combustion inférieur aux autres sources d’énergie (inférieur à 25 % du prix du Kw/h, contre supérieur à 60% avec le gaz), un doublement du cours de l’uranium n’entrainerait qu’une hausse de 25% du coût du Kw/h produit.

Un autre risque, géopolitique celui-ci, existe: le contrôle et la sécurisation des filières d’approvisionnement en matière première. En effet, les ressources de ce minerai ne sont pas infinies : les réserves sont estimées à environ un siècle. Celles actuellement prouvées sont majoritairement réparties entre Australie, Kazakhstan, USA, Canada, Russie, Niger, Brésil et Afrique du Sud. Il pourrait donc y avoir un mouvement de concertation des pays producteurs d’uranium pour en renchérir le coût, ce qui imposera aux utilisateurs de mettre en place des filières d’approvisionnement sécurisées, donc plus chères. Ces minerais pourraient également devenir des « monnaies d’échange » diplomatique à forte valeur.

Mais le vrai risque de long terme est le risque politique, social. La question de la gestion des déchets ultimes est désormais de plus en plus problématique, sous l’effet conjugué de l’action des opposants au nucléaire (ONG, mouvements politiques, mouvements d’opinion…) et des progrès techniques intrinsèques des « énergies renouvelables ». Les chercheurs ont développé en laboratoire une technologie photovoltaïque thermique (pour produire du chauffage ou de l’eau chaude) dont le rendement est supérieur aux énergies « fossiles » : rendement énergétique d’environ 60% contre 27 à 40% pour les sources fossiles. Le photovoltaïque électrique possède un rendement d’environ 20% sur le bâti (à comparer au 27% du nucléaire). La technologie  de l’éolien a un rendement trois fois supérieur au photovoltaïque, ce qui en fait théoriquement la source d’énergie la plus rentable. Tous ces facteurs scientifiques connus mettent une lourde charge sur le nucléaire civil, qui s’il est une technologie très avancée, reste néanmoins une source d’énergie fossile, emblématique du développement des générations passées, basé sur l’exploitation de ressources minérales finies. L’arrivée à maturité de l’industrie des énergies renouvelables provoquera inéluctablement un rejet populaire du nucléaire et donc une mise à mort par les décideurs politiques, comme l’a montré l’attitude allemande après Fukushima. Notons également qu’au-delà de la maturité industrielles, ces technologies ne sont pas non plus matures économiquement.

Enfin, un risque majeur en termes d’effroi des populations existe et existera toujours : la sécurité des installations. On a ainsi vu entre le 5 et le 21 octobre 2014 et dans la nuit du 31 octobre seize sites nucléaires français être survolés par des drones non identifiés. Cette question, en soi terrifiante, des conséquences d’un attentat sur une centrale nucléaire est et sera un des vecteurs de dénonciations de cette énergie pour ses opposants.

Mais, avant l’arrivée à maturité technique et économique de la filière industrielle des énergies renouvelables, le nucléaire pourrait bénéficier d’une « fenêtre  d’opportunité».

A moyen terme, le nucléaire pourrait être la seule source d’énergie suffisamment efficace pour assumer la transition entre les hydrocarbures et les énergies futures.

Une conséquence de la mondialisation sera l’accès d’un très grand nombre d’humains à un modèle de développement et des standards de vie très énergivores, d’où une très forte demande à venir.
Or, les énergies renouvelables ne sont pas encore structurées en filières industrielles suffisamment matures pour prendre le relais des hydrocarbures : le solaire photovoltaïque le plus performant est le monocristallin, avec un rendement d'installation (sur bâti) de 15%-20%, mais sa production est très énergivore. De plus pour baisser les couts, le silicium monocristallin est produit en Chine sans règle environnementale de production, puis,  acheminé en Europe ce qui d'un point de vue bilan carbone est nul. D’autres types de photovoltaïques produisent quant à eux des déchets non « retraitables » en l'état actuel de nos savoirs-faires et ces technologies encore trop récentes n’offrent pas assez de recul, notamment en termes de durabilité.

L’éolien offre un rendement énergétique très favorable, supérieur même au nucléaire, mais il soulève dans de nombreux pays des oppositions de la part des voisins des éoliennes. En France, une enquête pour corruption d’élus locaux relative à certaines décisions d’installation a terni la crédibilité de cette source d’énergie. La question des champs magnétiques induits par l’implantation d’éolienne est également problématique et un sujet de polémique très important.

Mais la vraie difficulté réside dans le fait que ces technologies produisent de l’énergie de manière irrégulière et intermittente, par nature. Or, on ne sait pas actuellement stocker l’énergie ainsi produite à un coût socialement acceptable, ce qui les rend inaptes à une quelconque substitution crédible aux technologies actuelles.  Le risque est un « black-out » total, par absence d’énergie, ou au contraire surproduction saturant les réseaux de transport et provoquant un arrêt brutal et total.

Une trentaine de pays envisagent donc ou ont entamé un programme nucléaire comme solution alternative aux hydrocarbures, à l’exception notable des USA, qui bénéficient de l’afflux d’hydrocarbures non conventionnels et de l’Allemagne, par choix politique. La construction de centrales nucléaires est la plus élevée depuis 1989 selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). En 2013, 72 réacteurs étaient en construction, dont 30 en Chine. 437 centrales sont opérationnelles dans le monde et l’industrie nucléaire devrait doubler sa capacité d’ici 2030, principalement en raison du développement asiatique. La Chine teste, grandeur nature, toutes les technologies de réacteurs et travaille même sur la quatrième génération. Avec l’ACPR 1 000 +, ils ont « sinisé », par exemple, les réacteurs que la Royaume-Uni leur a vendus, à la fin des années 1980. Ils ont aussi des réacteurs russes VVER et en lancent de nouveaux. Deux EPR d’Areva sont actuellement en construction en Chine ainsi que quatre AP1000 américains, fabriqués par Westinghouse.

En Europe, le Royaume-Uni a justifié sa décision de lancer un nouveau parc nucléaire par la fin prochaine des gisements de gaz en mer du Nord, sa volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et la recherche d’un prix garanti de l’électricité sur une longue période.

Le pays le plus inattendu sur l’échiquier nucléaire est sans aucun doute l’Arabie saoudite. Premier producteur mondial de pétrole, ce pays envisage de construire au moins une quinzaine de réacteurs en faisant un calcul économique simple : au prix actuel du baril, il est plus intéressant pour eux d’exporter leur pétrole plutôt que de le conserver pour leurs propres besoins, qui progressent à toute vitesse, avec notamment le développement de la climatisation. Le Royaume absorbe déjà le quart de sa production de pétrole, et la moitié dans dix ans, selon les prévisions.

La prise en compte du changement climatique impose de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, la mondialisation économique requiert de produire toujours plus d’énergie pour répondre aux nécessités productives et aux attentes des populations. Trouver une solution pourrait s’apparenter à résoudre la quadrature du cercle.
En dépit de sa difficile acceptation sociale, l’énergie nucléaire apparait pourtant à de nombreux décideurs comme le seul recours crédible au moment d’assurer la transition entre les hydrocarbures et les énergies renouvelables. L’industrie du nucléaire civil doit donc dès à présent appréhender cette fenêtre d’opportunité pour savoir se rendre indispensable.
La filière nucléaire française, qui fut surveillée par l’URSS et Israël pour sa qualité reconnue, doit y trouver toute sa place, et mettre en œuvre dès maintenant les moyens d’influence pour développer sa puissance dans ce contexte.

Eric BARBOSA


BIBLIOGRAPHIE

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http://www.terraeco.net/Risque-nucleaire-etat-des-lieux-en,16253.html
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• Le monde, 21/05/2013, interview de Gérard Mestrallet : « L’Europe de l’énergie est un échec, il faut agir ! »  http://www.lemonde.fr/economie/
http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Apres-Fukushima-la-construction-de-reacteurs-nucleaires-a-son-plus-haut-niveau-depuis-25-ans-2014-03-10-1118209/
http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/10/31/des-drones-ont-a-nouveau-survole-des-centrales-nucleaires_4515932_3244.html