Les combats douteux de Greenpeace

Pour prendre dans ses filets la société Petit Navire, Greenpeace depuis septembre utilise tous les outils de sa panoplie sur Internet et dans les médias : étude scientifique, film d’animation, reportage, pétition en ligne, relations-presse, chanson parodiée, opération commando en supermarché, compte twitter « arrêthon » ou slogan détourné « le bon goût du carnage ». Par cette campagne de dénonciation de la pêche utilisant des dispositifs de concentration de poissons (DCP) par les thoniers senneurs espagnols et français, dans les eaux de l’Océan Indien, l’ONG entend sensibiliser le consommateur sur les captures accessoires d’espèces sensibles (requins et tortues). L’alternative proposée : la pêche à la canne. Alain Fouteneau (I.R.D) n’hésite pas à dénoncer dans Science et Avenir « l’idéalisation de la canne comme outil de pêche écologique». Greenpeace se garde bien en effet de signaler les conséquences environnementales négatives de cette technique, à savoir le problème des appâts vivants et  l’utilisation élevée de carburant.
Pourquoi Petit Navire ?  En s’attaquant au n°1 de la conserverie du thon en France, Greenpeace entend parvenir « à changer les pratiques du leader du marché », avec « un effet d'entraînement sur ses concurrents » et contraignant ainsi le secteur à commercialiser des conserves issues d’une pêche durable comme ce fut le cas au Royaume-Uni en 2011.
Cette fois, Greenpeace semble rencontrer quelques difficultés à imposer ses exigences. La direction générale de Petit Navire (groupe MW Brands de Thai Union Frozen, un des leaders mondiaux des produits de la mer) n’a jusqu’alors publié qu’un communiqué écrit et filmé condamnant les images de Greenpeace, et n’est pas disposé à discuter avec l’ONG.
Si un des effets recherchés de l’ONG est de relancer le débat sur la pêche avec DCP, l’objectif est en partie atteint, puisque les autres acteurs de la filière ont, en ripostant par communiqué et interview dans les médias, apporté des arguments, en particulier sur « le positionnement avant-gardiste des français » ayant décidé d’eux-mêmes la limitation de DCP par les flottilles. L’enjeu pour les professionnels de la pêche est d’obtenir un soutien des pays membres de l’ICCAT sur la décision d’un gel des DCP durant la conférence annuelle de la Commission Internationale pour la Conservation des Thionidés de l’Altantique (du 10 au 17 novembre 2014 à Gênes).
Si une réglementation n’était pas décidée au niveau international, le Président d’ORTHONGEL s’inquièterait des répercussions sur l’industrie française du thon (15ème rang dans la production mondiale), face à l’Espagne (6ème rang) opposé à l’abandon du DCP. Leurs volumes pêchés sont plus importants que ceux des français : selon Greenpeace « l’utilisation de DCP permet aux bateaux espagnols de pêcher 2 à 4 fois plus ».  En imposant des restrictions de DCP, cela risquera de rallumer les tensions entre pêcheurs français et espagnols, habitués à s’affronter (bataille sur l’anchois, sur le thon rouge, il y a quelques années).
Plus généralement, geler la pêche avec DCP et privilégier la pêche à la canne encouragée par Greenpeace aboutiraient in fine au retrait complet de la flotte de senneurs dans l’Océan Indien. Pour l’Espagne, les conséquences économiques seraient majeures car plus de 43 000 emplois directs et indirects en dépendent. La France et les pays de l’Océan Indien ne seraient pas en reste.
Face à ces multiples enjeux, la réticence des organisations internationales à réglementer la pêche avec DCP se comprend donc.