Société de l’information : les entreprises Uber et Amazon sont-elles au dessus de la loi ?

On reproche souvent aux entreprises étrangères de ne pas respecter la législation française. Google, Facebook ou encore Paypal ne font pas figure d’exception. Je reviendrai rapidement dans les lignes qui suivent sur deux entreprises qui semblent parfaitement illustrer cette pratique : le VTC Uber et le géant du net Amazon. Deux exemples qui révèlent l’impuissance criante des pouvoirs législatifs et judiciaires face à des machines de guerre parfaitement huilées. Mais qui révèlent plus profondément à quel point le contribuable peut être lésé, parfois à son insu, parfois en pleine conscience.

Uber

Depuis février dernier, Uber propose sur le territoire français le service Uberpop. Il permet aux particuliers qui le souhaitent de proposer leur offre de transport à d’autres particuliers pour des tarifs plus avantageux que ceux d’un taxi. Ce service a entraîné de fortes réactions de la part des concurrents de la startup californienne. L’autorité des fraudes et la DGCCRF ont soutenu ces réactions en déclarant l’activité illégale. Présenté comme une nouvelle version du covoiturage en ville, le service est en réalité une offre payante de transports de particuliers qui ne repose donc pas sur le partage des frais comme le covoiturage mais bien sur la rémunération de chauffeurs par des passagers.
Le 16 octobre dernier, le Tribunal Correctionnel de Paris a donc condamné Uber à payer 100 000 € d’amende pour « pratique commerciale douteuse ». Il a également été demandé au groupe de diffuser sur ses sites français la décision du tribunal et le fait que les apprentis chauffeurs s’exposent à des poursuites pénales en perpétrant cette pratique. Ce qui n’a d’ailleurs pas été fait à ce jour.
Pour les juges, Uber a démontré son « intention manifeste de (...) contourner » la législation qu'il connaissait « parfaitement ». « Ce comportement caractérise une parfaite mauvaise foi dissimulée derrière un discours qui se veut progressiste ».
Ce n’est pas la première fois que le service Uberpop est dans le collimateur des autorités juridiques et déclaré illégal. En avril dernier, deux mois après son implantation, sous la pression des taxis, le service Uberpop a été interdit dans les rues de Bruxelles. Les chauffeurs qui violent cette interdiction sont condamnés à payer une amende de 10000€. De même en Allemagne, le tribunal de Francfort avait interdit le service. Malgré ces interdictions, Uber sévit encore dans les rues des villes concernées. Sur son site et comme à son habitude, Uber a déclaré par l’intermédiaire de son directeur France qu’il fait appel de la décision et poursuit dans l’attente du verdict son activité, soit environ une année supplémentaire (voir la copie d’écran).
Présenté notamment par l’ancien médiateur du conflit Taxi / VTC Thomas Thévenoud comme l’ennemi à abattre, principal adversaire des taxis (leur grève du 10 juin dernier était contre Uber), la startup de Travis Kalanick  n’a de cesse de faire parler d’elle. En bien ou en mal, il est vrai, mais les éléments de discours restent toujours les mêmes. Brandissant haut et fort le fanion de l’innovation, de la réinvention de la mobilité et de l’espace urbain, du service des citoyens, le groupe poursuit de se développer et de s’implanter partout dans le monde contre vents et marées.
On avait beau lui reprocher récemment un montage d’optimisation fiscale qui lui permettait d’envoyer ses revenus au Pays-Bas, puis aux Bermudes puis au Delaware, son expansion n’a pas été stoppée pour autant et le groupe n’a de cesse de se targuer sur son blog de favoriser l’emploi, la croissance et de se féliciter de l’explosion de son activité : « This is only the beginning ».
Faire pression sur Uber est beaucoup plus difficile que ce que certains de nos législateurs voudraient nous faire croire. Et l’opinion plutôt favorable des consommateurs sur le groupe l’encourage à poursuivre son activité. Même si cela se fait souvent au détriment de ses concurrents (Travis Kalanick déclarait encore récemment vouloir « tuer le taxi »), avec certaines pratiques peu louables (création d’emplois précaires, traitement injuste des chauffeurs…).
Le grand public est pourtant averti des reproches adressés au groupe californien, la couverture médiatique est suffisante pour que chacun puisse prendre connaissance de ses pratiques. Ce qui pèserait vraiment sur Uber serait le choix délibéré de ne pas utiliser le service Uberpop et ne pas se mettre hors la loi par la même occasion. Malgré ce qu’on leur reproche les taxis ou les néo VTC payent leurs impôts et respectent la loi.

Amazon
Autre exemple criant du caractère inutile de certaines législations et des apparentes « bonnes intentions » de quelques uns de nos parlementaires, la loi dite anti-Amazon entrée au Journal Officiel le 8 juillet dernier. Afin de protéger le marché du livre et le commerce des « librairies physiques » des gros cybermarchands, le texte interdit aux sites de ventes en ligne, particulièrement à Amazon et à la FNAC dans une moindre mesure,  le cumul de la TVA à 5 % sur les livres et la gratuité des frais de port.
La réponse d’Amazon n’a pas tardé puisque quelques jours plus tard le site déclarait : « Nous avons fixé les frais de livraison au minimum autorisé par la loi » autrement dit au prix d’un centime pour un ou plusieurs achats ». La FNAC a d’ailleurs fait de même dans les jours qui ont suivi. La réaction du ministère de la culture passe plus pour un aveu d’impuissance que pour autre chose : « la loi était avant tout symbolique ». Plusieurs observateurs s’accordent pourtant à dire que cette loi ne change rien à la situation des librairies physiques.
Là encore, ce qui pèserait vraiment sur Amazon serait un choix délibéré des consommateurs d’acheter directement, quand c’est possible, les livres recherchés en librairie. Ou de faire le déplacement en magasin pour récupérer leurs commandes.

Conclusion
Sans nier le succès fulgurant d’Uber et d’Amazon, l’ingéniosité de leur business model, et leur côté  extrêmement pratique, force est de constater qu’ils ne rentrent pas pleinement dans les normes.
Une législation symbolique, facilement contournable, une amende de 100 000€ qui ne pèse rien pour une société valorisée à 17 milliards de dollars, des déclarations de guerre que personne ne prend au sérieux… Oui, la question se pose, certaines entreprises sont-elles au dessus de la loi ? Ou la loi a-t-elle perdu tout caractère coercitif ? La justice est-elle trop souple puisqu’elle permet simultanément de condamner et de faire appel ? Le glas sonne-t-il pour certaines institutions vieillissantes ? Ou ont-elles déclaré forfait ?
Un constat s’impose cependant. Uber est financé en grande partie par Google. Que pèse un état face à un mastodonte qui pèse 314 milliards de dollars de capitalisation boursière ? Amazon dépense chaque année des milliards à ne pas payer d’impôt. On peut penser qu’une telle ingéniosité ne se résume pas à de simples montages fiscaux. Les autorités en place semblent avoir perdu le combat.
En revanche, le contribuable moyen, lui, doit payer ses impôts et est tenu de respecter la loi. Les exceptions ne sont pas tolérées. Ils peuvent certes peser à leur niveau en n’encourageant pas les pratiques de certains grands groupes ou en les utilisant en dernier recours. Mais une telle inégalité de traitements interroge.