Le pouvoir de « l’ignorance »dans la guerre d’information

En conviant Linsey Mcgeoey à une discussion sur les stratégies de l’ignorance le 24 septembre 2014, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective en association avec la Mission anticipation Recherche et Société et développement durable de l’INRA , a affiché son souhait d’intégrer à sa réflexion générale sur les controverses et les polémiques scientifiques l’analyse des mécanismes de la science dite « de la production culturelle de l’ignorance », l’agnotologie -  terme inventé par l’historien américain Robert Proctor en 1992.
Certes, comme le rappelle Linsey Mcgeoy ou encore récemment Stuart Firestein, il ne faut pas omettre les côtés positifs de la production de l’ignorance comme étant l’un des moteurs de la science. Pourtant, il est difficile de ne pas s’interroger sur les conséquences économiques, politiques, sociétales des stratégies de l’ignorance mises en œuvre dans différentes crises sanitaires successives, pour ne citer qu’elles, du sang contaminé, des hormones de croissance, de l’amiante, de la vache folle, du Médiator, des controverses autour du nucléaire, des ondes électromagnétiques, des OGM, des NBIC (Nanotechnologies, biologie synthétique, informatique et sciences cognitives).
Lorsque des intérêts sont menacés mais parfois également par idéologie, l’ignorance peut devenir une arme d’influence et de propagande utilisée par les industriels, les décideurs politiques, les praticiens, les groupes de pression, les associations ou même les Etats, au détriment de l’intérêt général. Leur objectif est clair : soit supprimer les prémisses de la connaissance de l’espace public, soit semer le doute sur les innovations scientifiques et techniques, soit désinformer le public ou discréditer la science. Selon Proctor, leur stratégie est de « détourner le public de la vérité en accaparant à [leur] profit le respect que l’on porte à la science ».
Les nombreux secteurs concernés par l’innovation et leurs applications parmi lesquelles entre autres les industries des cosmétiques, de l’agro-alimentaire, de la chimie, du textile, de la pharmaceutique confrontés à de fortes logiques économiques et concurrentielles sont parfois tentés de recourir à des entreprises agnotologiques dans le but de commercialiser leur produit ou de maintenir le doute afin d’éviter réglementation et régulation. Pour un Etat, quant à lui, l’ignorance par exemple de faits scientifiques ou techniques gênants peut lui permettre de garantir des choix stratégiques d’intérêt général mais aussi de maintenir la paix sociale en évitant tout débat polémique et in fine la paralysie de certains pans de l’économie.
Robert Proctor, à travers son enquête sur le tabac, montre comment cette industrie a produit de l’ignorance sur la cigarette et ses effets sur la santé, pendant des décennies et à l’échelle planétaire. Quant aux Professeurs Oreskes et Connay, dans leur ouvrage Les marchands de doute, ils analysent les mécanismes agnotologiques sur le débat climatique aux USA.

Mécanismes des stratégies de l’ignorance

1 – Création d’une controverse scientifique et technique : attaques sur le raisonnement statistique et sur la certitude
2 – Prôner « plus de recherche », afin de donner l’illusion qu’il y a débat entre scientifiques sur l’ensemble de la question (exemple des OGM, du climat, des faibles doses de rayonnements ionisants)
3 – Financement de think tank : rémunération de scientifiques et financement d’études
4 – Publication d’ouvrages, d’articles, organisation de conférences
5 – Utilisation des médias dans la diffusion des débats contradictoires
6 – Utilisation des réseaux sociaux pour créer la désinformation

Ainsi, comme le souligne Robert PROCTOR, « la fabrication de l'ignorance a joué un rôle important dans le succès de nombreuses industries; car l'ignorance, c'est le pouvoir.»
Gageons que la fabrique du doute dans les pratiques de la guerre de l’information a encore de beaux jours devant elle.