L’émission L'Esprit public se hollandise

Les fidèles auditeurs de l'émission radiophonique L'Esprit public, animée par Philippe Meyer sur France Culture, auront remarqué le remplacement du romancier et historien Max Gallo par le banquier d'affaires franco-béninois Lionel Zinsou. Proche de Laurent Fabius, dont il préside le cercle de réflexion Fraternité, et administrateur du journal Libération, Zinsou imprime son arrivée dans le cénacle des experts-commentateurs de l'empreinte pro-gouvernementale la moins marquée qu'il soit.

Les voix de son maître
Au côté de Thierry Pech (proche du pouvoir) et de Jean-Louis Bourlanges (centriste très modéré), ou encore d'Éric le Boucher (pas si critique que cela), la présence de Lionel Zinsou (très très proche du pouvoir) semble confirmer une tendance de fond que Max Gallo (souverainiste fatigué) ne put endiguer : la convergence idéologique du panel entourant Philippe Meyer (l’homme qui joue les neutres mais qui ne l’est pas tant que cela). Alors que l'intérêt de L'Esprit public, comme de toute émission se proposant de confronter les opinions sur l'actualité nationale et internationale de la semaine écoulée, devrait résider dans la présence d'une personnalité ne faisant pas fi de l'importance du rôle stratégique de l'Etat, à l'heure où les pays émergents ressuscitent le capitalisme d'Etat comme instrument de puissance, Zinsou incarne parfaitement la ligne du gouvernement Valls, chantant l'éternel refrain d'une France rétive aux « réformes de structure », tel que l'illustrerait le « conservatisme » des sénateurs sur la réforme territoriale. Économiste de formation, c'est dans ce domaine que son fond idéologique traduit avec le plus de vigueur l'absence évidente de diversité intellectuelle au sein de l'émission de Philippe Meyer. Ainsi avons-nous pu entendre dernièrement que le Crédit d'Impôt Compétitivité Emploi (CICE), couplé au pacte de responsabilité, « s'il était mise en œuvre en année pleine », permettra aux entreprises « de retrouver des marges historiquement hautes », augurant d'une reprise soutenue de l'investissement privé en France. Le verbe est technique, mais les grands thèmes occultés. Quid du niveau de l'Euro et des rapports de force entre Etats au sein même de l'Union européenne ? Quid de l'idée d'un retour à des monnaies nationales adossées à une monnaie commune ? L'Esprit public est en passe de devenir l'archétype de ces programmes où experts de sensibilités dites différentes dissertent sur le bien-fondé d'ajustements techniques plutôt que sur les grandes orientations que notre pays se ferait bien, ou non, d'adopter.

Le vide stratégique a ses lettres de noblesse
Quoiqu'on en pense, faute de pouvoir agir sur le cours de la monnaie et relancer l'activité économique par l'investissement public, les Etats européens n'ont d'autres choix que d'agir sur une seule variable : le coût du travail. L'accent mis par Lionel Zinsou sur le CICE aurait du permettre de relever cette absence d'alternative qui s'offre à la France. Empêtrée dans les méandres du retour à 3%, situation que la seule politique d'austérité ne pourra d'ailleurs que condamner à faire durer, la France continue de payer son absence de vision et donc d'influence à Bruxelles. Conséquence ? L'actuelle lutte contre les déficits publics, par la seule variable de la hausse d'impôts, faute d'être couplée à une véritable réflexion sur les raisons du décrochage de la France en matière de production industrielle et d'exportations, endigue toute reprise économique.
On l'aura compris. L'analyse de cette incapacité de la France à définir des priorités, afin que ses choix en matière d'innovations technologiques soient la déclinaison d'une orientation industrielle globale, ne semble pas prêtre de revoir le jour chez Philippe Meyer. L'Esprit public pourra donc continuer à disserter sur le populisme qui vient, l'irresponsabilité des derniers de la classe européenne, et Lionel Zinsou ne dire mots sur l'intérêt de repenser notre modèle économique et notre rapport à l'Allemagne.