En 2010, c’était l’affolement : la France avait perdu un tiers de ses parts de marché dans l’agroalimentaire mondial en dix ans. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, lançait alors : « Le patriotisme économique n’est pas un gros mot ! A qualité égale et à prix comparable, achetez nos produits ! »
Il est vrai que l’industrie agroalimentaire française représente 415 000 emplois, dont 250 000 pour la filière d’exportation (autant que l’aérospatiale). Les « métiers de bouche » embauchent près de 50 000 personnes par an et forment environ 40 000 apprentis. Le gouvernement a immédiatement vu l’intérêt qu’il pouvait avoir à profiter de l’inscription du repas gastronomique des Français au PCI pour relancer la dynamique agroalimentaire à l’export.
Aussi Pierre Lellouche a-t-il annoncé en 2010 sa volonté de mettre en œuvre un plan d’action mobilisant tous les acteurs concernés par l’exportation agroalimentaire, notamment Ubifrance, Sopexa, et les CCI, avec également l’appui de syndicats professionnels, de chefs, et de personnalités comme Jean-Robert Pitte (géographe français spécialiste du paysage et de la gastronomie, ancien président de la Sorbonne), ainsi que des nutritionnistes afin de rappeler que le modèle alimentaire français engendre moins d’obésité que d’autres. But de cette action ? Doper nos exports de produits agroalimentaires en surfant sur la vague médiatique suscitée depuis le classement de la gastronomie française comme patrimoine de l’UNESCO
Une maladresse de plus, d’ailleurs, car les membres de cette organisation ont mal digéré que leur verdict soit détourné à des fins publicitaires et économiques.
La mauvaise exploitation du classement de l’UNESCO
Début 2011 la campagne de communication a été lancée la campagne de communication « So French So Good », avec pour sous-titre : « Gastronomie française, Patrimoine de l’Humanité ». Un amalgame inexact et une fois de plus irrespectueux des valeurs de l’UNESCO. Cette campagne était au demeurant une excellente idée, avec son site internet informant sur les produits des terroirs français et proposant des informations pour les entreprises souhaitant exporter, ainsi que ses vidéos en ligne mettant en scène le regard d’étrangers sur notre cuisine et montrant des chefs français et étrangers préparant des plats ensemble. Elle visait principalement douze pays, cinq voisins européens, ainsi que la Chine, les États-Unis, les Émirats Arabes Unis, la Russie, le Brésil, et la Suède.
Mais cette campagne a globalement été un échec. Partant de l’amalgame malheureux entre « repas gastronomique » et « gastronomie » pour en faire un argument marketing, le concept ne pouvait pas plaire à l’UNESCO. Le retrait du « repas gastronomique des Français » de la liste du PCI était une menace latente. Le site internet a rapidement été fermé, et le compte Twitter dédié n’a émis que trois tweets avant de tomber lui aussi dans l’inactivité.
Néanmoins, certaines initiatives perdurent autour du slogan « So French So Good », qui eût été une excellente initiative dans un autre contexte que celui, rendu passionné par les maladresses françaises, de l’UNESCO. Ainsi, début 2013, l’Ambassade de France en Israël lançait une semaine So French So Good. Toutefois cette expérience était essentiellement pédagogique et non à visée économique : elle se déroulait dans des écoles dans le cadre de programmes d’éducation au goût et à la diversité culturelle. Le reste de la semaine était consacré aux démonstrations gastronomiques de grands chefs, très éloignés de la simplicité impliquée dans la vision du repas gastronomique des Français telle que consacrée par l’UNESCO.
Plusieurs success stories relativisent l’alarmisme
Le French Gourmay est organisé depuis 2009, à Hong Kong et Macao dans le cadre du French May, un évènement courant sur tout le mois de mai et même au-delà et qui voit chaque année Hong Kong se mettre aux couleurs de la France. Expositions, spectacles, performances artistiques, conférences, concerts etc. ponctuent cet évènement soutenu par Ubifrance et le Consulat Général de France.
Le French Gourmay met à l’honneur la culture culinaire française ainsi que ses vins à travers plus de 250 partenaires locaux (restaurants, boutiques, ateliers…). De nombreux chefs français sont présents chaque année –l’édition 2014 a ainsi été ouverte par le célèbre chef Pierre Gagnaire. Le principe est de célébrer chaque année une région vinicole française différente.
Le French May est une excellente initiative pour le rayonnement culturel de la France en Asie. Très connu et très attractif chaque année, sa réussite est également portée par la francophilie de beaucoup d’habitants de Hong Kong. Dans ce cadre, le French Gourmay bénéficie de toute l’audience et de toute l’aura de l’évènement. En revanche, malgré son indéniable succès, force est de constater que cet évènement touche une population très ciblée, contacts diplomatiques de la France, postes à responsabilités et hauts salaires qui peuvent se permettre une escapade gastronomique. Ne profitent des repas officiels que les invités des instances françaises, qui créent ainsi une excellente occasion de renforcer leurs relations. A coté de cela, on peut regretter que la population générale soit en revanche peu au courant et peu sensibilisée à l’accessibilité de la cuisine française. Contrairement au French May qui profite à tous, le French Gourmay véhicule une image relativement élitiste. C’est la seule chose que l’on pourrait lui reprocher.
Ne pas s’enfermer dans un ghetto élitiste
La cuisine française est fondamentalement simple, peu chère et facile à produire. Elle tire toute sa valeur de plusieurs particularités : l’authenticité des produits, la place donnée à la saveur naturelle des ingrédients, et la fabrication « maison » des plats. Ces particularités trouvent un écho grandissant dans l’évolution des habitudes alimentaires mondiales : dans la plupart des pays, les populations accordent de plus en plus d’importance au « bien manger », au « manger local », et au « manger sain ». La cuisine française a là un potentiel immense à développer, et toutes les clefs du succès sont pour cela réunies ! Mais elle doit avant toute chose dépasser l’étiquette de snobisme qu’elle s’est donnée, en développant une offre accessible, en parallèle des grands restaurants qui font notre fierté.
Celle-ci ne portera pas préjudice à l’image de la France. Au contraire, elle lui permettra de rayonner d’autant mieux dans le cœur et les esprits des personnes. L’exemple de la cuisine italienne est le meilleur à ce titre : le fait que des pastas et des pizzas soient produites et appréciées mondialement porte-il atteinte à l’image de Venise ou de Florence ? Bien au contraire ! Or les ingrédients de base servant à cuisiner italien sont les mêmes que ceux utilisés en cuisine française : autrement dit, ils sont trouvables dans le monde entier à faible coût. Rien n’empêche la France de concurrencer l’Italie au niveau du nombre de restaurants dispensant sa cuisine à l’étranger.
Source :
Athenaïs Delacour,
Valoriser notre patrimoine culinaire dans une perspective d’influence internationale
EGE. 2014
Il est vrai que l’industrie agroalimentaire française représente 415 000 emplois, dont 250 000 pour la filière d’exportation (autant que l’aérospatiale). Les « métiers de bouche » embauchent près de 50 000 personnes par an et forment environ 40 000 apprentis. Le gouvernement a immédiatement vu l’intérêt qu’il pouvait avoir à profiter de l’inscription du repas gastronomique des Français au PCI pour relancer la dynamique agroalimentaire à l’export.
Aussi Pierre Lellouche a-t-il annoncé en 2010 sa volonté de mettre en œuvre un plan d’action mobilisant tous les acteurs concernés par l’exportation agroalimentaire, notamment Ubifrance, Sopexa, et les CCI, avec également l’appui de syndicats professionnels, de chefs, et de personnalités comme Jean-Robert Pitte (géographe français spécialiste du paysage et de la gastronomie, ancien président de la Sorbonne), ainsi que des nutritionnistes afin de rappeler que le modèle alimentaire français engendre moins d’obésité que d’autres. But de cette action ? Doper nos exports de produits agroalimentaires en surfant sur la vague médiatique suscitée depuis le classement de la gastronomie française comme patrimoine de l’UNESCO
Une maladresse de plus, d’ailleurs, car les membres de cette organisation ont mal digéré que leur verdict soit détourné à des fins publicitaires et économiques.
La mauvaise exploitation du classement de l’UNESCO
Début 2011 la campagne de communication a été lancée la campagne de communication « So French So Good », avec pour sous-titre : « Gastronomie française, Patrimoine de l’Humanité ». Un amalgame inexact et une fois de plus irrespectueux des valeurs de l’UNESCO. Cette campagne était au demeurant une excellente idée, avec son site internet informant sur les produits des terroirs français et proposant des informations pour les entreprises souhaitant exporter, ainsi que ses vidéos en ligne mettant en scène le regard d’étrangers sur notre cuisine et montrant des chefs français et étrangers préparant des plats ensemble. Elle visait principalement douze pays, cinq voisins européens, ainsi que la Chine, les États-Unis, les Émirats Arabes Unis, la Russie, le Brésil, et la Suède.
Mais cette campagne a globalement été un échec. Partant de l’amalgame malheureux entre « repas gastronomique » et « gastronomie » pour en faire un argument marketing, le concept ne pouvait pas plaire à l’UNESCO. Le retrait du « repas gastronomique des Français » de la liste du PCI était une menace latente. Le site internet a rapidement été fermé, et le compte Twitter dédié n’a émis que trois tweets avant de tomber lui aussi dans l’inactivité.
Néanmoins, certaines initiatives perdurent autour du slogan « So French So Good », qui eût été une excellente initiative dans un autre contexte que celui, rendu passionné par les maladresses françaises, de l’UNESCO. Ainsi, début 2013, l’Ambassade de France en Israël lançait une semaine So French So Good. Toutefois cette expérience était essentiellement pédagogique et non à visée économique : elle se déroulait dans des écoles dans le cadre de programmes d’éducation au goût et à la diversité culturelle. Le reste de la semaine était consacré aux démonstrations gastronomiques de grands chefs, très éloignés de la simplicité impliquée dans la vision du repas gastronomique des Français telle que consacrée par l’UNESCO.
Plusieurs success stories relativisent l’alarmisme
Le French Gourmay est organisé depuis 2009, à Hong Kong et Macao dans le cadre du French May, un évènement courant sur tout le mois de mai et même au-delà et qui voit chaque année Hong Kong se mettre aux couleurs de la France. Expositions, spectacles, performances artistiques, conférences, concerts etc. ponctuent cet évènement soutenu par Ubifrance et le Consulat Général de France.
Le French Gourmay met à l’honneur la culture culinaire française ainsi que ses vins à travers plus de 250 partenaires locaux (restaurants, boutiques, ateliers…). De nombreux chefs français sont présents chaque année –l’édition 2014 a ainsi été ouverte par le célèbre chef Pierre Gagnaire. Le principe est de célébrer chaque année une région vinicole française différente.
Le French May est une excellente initiative pour le rayonnement culturel de la France en Asie. Très connu et très attractif chaque année, sa réussite est également portée par la francophilie de beaucoup d’habitants de Hong Kong. Dans ce cadre, le French Gourmay bénéficie de toute l’audience et de toute l’aura de l’évènement. En revanche, malgré son indéniable succès, force est de constater que cet évènement touche une population très ciblée, contacts diplomatiques de la France, postes à responsabilités et hauts salaires qui peuvent se permettre une escapade gastronomique. Ne profitent des repas officiels que les invités des instances françaises, qui créent ainsi une excellente occasion de renforcer leurs relations. A coté de cela, on peut regretter que la population générale soit en revanche peu au courant et peu sensibilisée à l’accessibilité de la cuisine française. Contrairement au French May qui profite à tous, le French Gourmay véhicule une image relativement élitiste. C’est la seule chose que l’on pourrait lui reprocher.
Ne pas s’enfermer dans un ghetto élitiste
La cuisine française est fondamentalement simple, peu chère et facile à produire. Elle tire toute sa valeur de plusieurs particularités : l’authenticité des produits, la place donnée à la saveur naturelle des ingrédients, et la fabrication « maison » des plats. Ces particularités trouvent un écho grandissant dans l’évolution des habitudes alimentaires mondiales : dans la plupart des pays, les populations accordent de plus en plus d’importance au « bien manger », au « manger local », et au « manger sain ». La cuisine française a là un potentiel immense à développer, et toutes les clefs du succès sont pour cela réunies ! Mais elle doit avant toute chose dépasser l’étiquette de snobisme qu’elle s’est donnée, en développant une offre accessible, en parallèle des grands restaurants qui font notre fierté.
Celle-ci ne portera pas préjudice à l’image de la France. Au contraire, elle lui permettra de rayonner d’autant mieux dans le cœur et les esprits des personnes. L’exemple de la cuisine italienne est le meilleur à ce titre : le fait que des pastas et des pizzas soient produites et appréciées mondialement porte-il atteinte à l’image de Venise ou de Florence ? Bien au contraire ! Or les ingrédients de base servant à cuisiner italien sont les mêmes que ceux utilisés en cuisine française : autrement dit, ils sont trouvables dans le monde entier à faible coût. Rien n’empêche la France de concurrencer l’Italie au niveau du nombre de restaurants dispensant sa cuisine à l’étranger.
Source :
Athenaïs Delacour,
Valoriser notre patrimoine culinaire dans une perspective d’influence internationale
EGE. 2014