Voilà déjà plus de dix ans que l’explosion d’une fusée spatiale sur la base d’Alcantara, ôtant au passage la vie à 21 ingénieurs et techniciens, a donné un coup de frein aux ambitions de puissance spatiale brésilienne. À l’époque, le lancement du prototype VLS (Véhicule Lanceur de Satellites) constituait un enjeu particulièrement stratégique au sens où il aurait fait du Brésil le seul pays d’Amérique Latine en mesure de mettre des satellites en orbite avec une technologie nationale.
L’immensité du territoire brésilien et son potentiel en ressources naturelles rendent nécessaire une gestion et une exploitation optimales de l’espace. La souveraineté et l’autonomie du pays dépendent en grande partie de sa capacité de développement technologique. À ce titre, la technologie spatiale tient une place à part entière dans la stratégie de puissance brésilienne dans la mesure où elle contribue au développement général, scientifique et technique du pays et donc à sa croissance.
Depuis les années 60 et les prémices de l’institutionnalisation du spatial brésilien, la politique spatiale a lentement évolué pour aujourd’hui commencer à être envisagée comme une politique transversale au service des intérêts nationaux. Le Brésil, pour l’instant incapable de lancer ses satellites, n’a pas réussi son entrée dans le cercle fermé des puissances spatiales mais il va de l’avant et son plan pour la décennie à venir ne manque ni d’ambitions ni d’audaces.
Le nouveau PNAE (Programme National des Activités Spatiales 2012-2021) met en exergue les ambitions spatiales brésiliennes. Les grandes lignes insistent sur l’accroissement de la participation de l’industrie nationale et la mise en œuvre d’un plan pour le développement et la maîtrise des technologies jugées stratégiques au niveau de l’activité spatiale. Force est de constater que la formation du personnel et l’expansion de la coopération internationale apparaissent comme des éléments essentiels de la stratégie spatiale.
M. Coelho, actuel président de l’Agence Spatiale Brésilienne (AEB) succédant à M. Raupp appelé à la tête du Ministère de la Science, de la Technologie et de l’Innovation, considère ce programme comme « complet » dans la mesure où il vise à affirmer la souveraineté du pays et prétend répondre aux besoins croissants ne serait-ce qu’en termes de télécommunication, avec l’organisation de la Coupe du Monde en 2014 et des JO en 2016, de sécurité avec l’éclatement de l’affaire Snowden ou encore de santé publique. Afin de répondre à ces objectifs, le PNAE met en évidence l’importance de la coordination et de la synergie entre gouvernement, agences, centres de recherches, universités et industrie.
À cet égard, des divergences se font entendre concernant le poids et le rôle à donner aux différentes institutions que sont l’AEB et l’INPE (Institut National de Recherche Spatiale) entre autres, celles-ci ayant les plus grandes difficultés à s’accorder sur des sujets cruciaux comme par exemple la participation du Brésil à l’ISS. Une fusion des deux institutions a même été envisagée. Actuellement, ces luttes de pouvoir interne handicapent lourdement les prises de décision surtout qu’elles témoignent d’une faible volonté politique. L’arrivée d’Embraer à la tête du partenariat public-privé, nouvellement créé sous le nom de Visiona (Telebras 49% et Embraer 51%), a encore un peu plus compliqué la donne au sens où la réalisation des satellites géostationnaires constituait la chasse gardée de l’INPE.
Ce fonctionnement est d’ailleurs le premier du genre car c’est la première fois qu’un industriel se retrouve partie prenante d’un programme au plus haut niveau de pilotage.
Au niveau de l’organisation industrielle, malgré les bonnes intentions du PNAE, la situation s’avère complexe. Le tissu d’entreprises brésiliennes se caractérise par un paysage très hétérogène constitué principalement de petites entreprises peu matures et dont les compétences n’ont été que trop peu valorisées. L’absence d’une politique spatiale d’appui aux entreprises a favorisé leur rachat par de grands groupes étrangers : Omnisys par Thalès, Equatorial par EADS, AEL Sistemas par Elbit Systems par exemple. Ainsi, la politique volontariste affichée dans le programme cadre mal avec ce positionnement des entreprises étrangères à l’affût du moindre signe de démarrage du secteur spatial.
Le récent contrat remporté par Thales Alenia Space pour la fourniture d’un satellite géostationnaire (SGDC), projet « stratégique » dans le nouveau PNAE, a fait l’objet d’une concurrence acharnée que se sont livrés pas moins de huit industriels étrangers. Or, même s’il semble que la victoire était gagnée d’avance, cet épisode reflète bien la nouvelle politique brésilienne orientée vers la coopération et privilégiant le transfert de technologie avec des partenaires étrangers pour développer et consolider sa base industrielle. L’entreprise Visiona, en charge de l’intégration du satellite, est au cœur de cette stratégie. Dans ce cadre, après avoir conclu des partenariats avec des fournisseurs étrangers comme celui établi avec Thales Alenia Space, Embraer entend, en apportant une aide financière nécessaire, acquérir de nouveaux savoir-faire pour devenir dans l’avenir un acteur incontournable en tant que « prime contractor » de l’industrie spatiale brésilienne.
En somme, l’industrie spatiale brésilienne souffre encore de sa jeunesse et son décollage reste subordonné aux initiatives gouvernementales, ce qui la rend, de fait, fortement dépendante des décisions politiques en matière de choix d’investissements.
Tablant sur un investissement de près de 3,4 milliards d’euros en dix ans, ce PNAE est résolument tourné vers l’avenir et prône l’ouverture vers une coopération internationale renforcée. Pour comprendre cette stratégie de coopération, il convient de distinguer deux composantes qui font du Brésil à la fois « un bénéficiaire et un fournisseur de coopération ».
La coopération « Sud-Sud » à des fins de développement, dont le Brésil peut se targuer d’avoir été l’un des principaux instigateurs, a été au cœur de sa stratégie de puissance et montre aujourd’hui des signes d’essoufflement avec nombres d’incertitudes tant techniques que financières. D’autant plus que ce type de coopération asymétrique, avec un pays au rôle de fournisseur vis-à-vis de pays demandeurs, a des effets limités dans la mesure où il cantonne le Brésil au seul statut de simple fournisseur et ne lui apporte pas les compétences nécessaires au développement de son secteur spatial. À titre d’exemple, la coopération avec la Chine, engagée depuis 1988, sur l’exploitation de satellites de télédétection avec le programme CBERS, marque le pas avec des retards sur CBERS-3.
Parallèlement, une logique de coopération visant à combler le retard technologique a donc été mise en œuvre. Le développement d’un lanceur de satellite Cyclone-4 par l’entreprise Alcantara Cyclone Space en partenariat avec l’Ukraine reflète la priorité donnée à l’accès à l’espace mais il rencontre lui aussi des retards dans la construction de l’infrastructure liés à des problèmes de financement. En outre, les récents accords passés avec la Russie au niveau de la motorisation du lanceur national VLS n’ont sans doute pas arrangé les choses au regard de la complexité des relations bilatérales entre Kiev et Moscou.
La coopération spatiale sert aussi les intérêts de politique étrangère brésilienne dans l’affirmation de sa puissance « environnementale » et régionale, c’est tout l’enjeu du partenariat avec l’Argentine autour des satellites océanographiques Sabia-Mar.
Quant à la coopération avec des pays développés comme l’Allemagne, la France ou encore l’ESA (Agence Spatiale Européenne), elle reste au stade embryonnaire et fait souvent partie d’accords plus globaux au détriment d’un projet concret de transfert de technologies.
Sur un autre plan, le Brésil s’est récemment rapproché du Japon pour mettre en place un partenariat dans le développement de microsatellites d’observation de la terre destinés notamment à la surveillance des zones agricoles. Ce rapprochement va dans le sens du souhait brésilien d’insister sur la formation d’étudiants. À cet effet, le PNAE met l’accent sur le développement du programme « Ciências sem Fronteiras » pour combler le « goulot d’étranglement » du manque de main d’œuvre qualifiée, le but clairement recherché étant de faire monter en compétence les étudiants brésiliens à l’étranger tout en attirant des experts internationaux.
Cette question de la coopération en matière de politique spatiale revêt donc un aspect particulièrement stratégique dans le programme brésilien qui s’oriente, paradoxalement, vers un approfondissement des deux types de coopération. Or, cette imbrication de logiques force le pays à jouer un double jeu d’arbitrage entre transfert de technologie et intérêt national, d’une part, et coopération « Sud-Sud », d’autre part, au détriment d’un axe stratégique bien défini et d’une coopération qui apparaît en ordre dispersé.
En définitive, le choix brésilien de se concentrer sur les usages de l’espace et non pas sur la maîtrise des technologies spatiales peut être interprété comme un renoncement de puissance. Pourtant, cette stratégie ne remet pas en cause la progressive acquisition de savoir-faire nationaux au sens où l’usage de ces outils conditionne la montée en compétence. Le Brésil doit donc plutôt réfléchir à la définition de son projet de puissance avec une prise en compte du spatial en tant que priorité politique incluse dans une stratégie plus globale. Ce n’est qu’à ce prix que le pays pourra véritablement prétendre à une place parmi les puissances spatiales de demain, c’est à dire quand il se sera vraiment donner les moyens de ses ambitions.
Pierre Geffroy
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