Airnbn : l'affrontement informationnel des hôteliers

Avec plus de 4 millions de nuitées réservées dans le monde en 2012, le succès de la start-up Airnbn agace les professionnels de l’hôtellerie : de New-York à Paris, les hôteliers s’organisent contre cette brusque concurrence. En France, cette pratique vient d’être encadrée par la Loi Duflot, du nom de notre ministre du logement, après bien des aventures.
En cette période de crise, le concept Airnbn séduit : fondée en 2008 à San Francisco par deux jeunes designers et un informaticien tout juste trentenaire à présent (cf. notes 1 et 2), cette plate-forme communautaire propose de mettre en relation des voyageurs (touristes) du monde en entier et des hôtes (particuliers) qui veulent louer de manière temporaire une chambre ou leur logement meublé, et ainsi gagner de substantiels revenus.
Aujourd’hui, la société, déployée dans 11 pays dont la France depuis février 2012, propose 500 000 logements répartis dans 34 000 villes et 192 pays. Son développement est exponentiel : jusqu’en juin 2011, la start-up affichait 2 millions de nuitées réservées sur son site ; un an après, en juin 2012, ce chiffre s’élevait à 10 millions. Paris est la destination la plus demandée après New-York. 30 000 annonces de location sont en ligne. Pourtant, les hôteliers de 2 villes mènent une guerre contre cette concurrence jugée déloyale.

La bataille de New-York
L’attaque fut fortuite. En visite dans un immeuble new-yorkais pour d’autres raisons  (cf. note 3), un inspecteur de la ville rencontre une touriste russe qui louait un appartement pour trois nuits. C’est ainsi que la ville a assigné le propriétaire du logement, Nigel Warren, lui réclamant 7 000 dollars pour avoir violé la règlementation hôtelière. Selon le texte en vigueur depuis 2011, texte déjà issu de la pression du lobbying hôtelier contre ces pratiques, le particulier ne pouvait tirer des revenus d’une location de moins de 29 jours, sans se déclarer hôtelier et donc payer les taxes correspondantes.
Bien que protégée juridiquement par ses conditions générales de vente (cf. note 4), compte tenu de l’enjeu, pour la première fois, la société Airnbn a engagé un avocat pour défendre son utilisateur. Certes, New-York génère le plus gros chiffre d’affaires de l’entreprise, mais surtout, les dirigeants de la société souhaitaient faire de cette affaire une référence au moment où d’autres villes, comme Amsterdam ou Paris, engageaient, elles aussi, une bataille juridique contre le site de réservation. Cette affaire new-yorkaise devait constituer leur riposte à la bataille gagnée par les lobbyistes hôteliers au plan législatif en 2011 ; victoire concrétisée par l’adoption de cette loi contre les hôtels illégaux « illegal hotel law» qui lutte contre les propriétaires qui achètent des résidences uniquement dans le but de les louer sans les déclarer, dans le but de se soustraire aux taxes commerciales.
Mais, le jugement porte un nouveau coup  au modèle Airnbn: le tribunal a condamné le 21 mai dernier, Nigel Warren à verser une amende de 2 400 dollars pour avoir violé cette règlementation en vigueur.
Depuis la société tente de rassurer ses utilisateurs. Elle s’appuie sur les juristes qui estiment que la plupart des locations proposées sur le site d’Airnbn ne relèvent pas de la règlementation new-yorkaise lorsqu’elles sont, par exemple, partagées avec le propriétaire.
Elle soigne sa communication et médiatise les enquêtes et les études, qu’elle commandite, sur les impacts positifs de son activité sur l’économie des villes touristiques. Elle affirme ainsi générer 632 millions de dollars de recettes pour la ville de New-York et 185 millions d’euros pour Paris.

La bataille de Paris
Autre lieu, même scénario.
Le principal syndicat hôtelier, l’Union des métiers de l’industrie hôtelière (UMIH), interpelle régulièrement nos pouvoirs publics (Ministères du Tourisme et logement) et qualifie la pratique de la location de logement touristique de particuliers à particuliers en ligne déloyale. A la différence de lobbying new-yorkais, ses arguments ne sont pas fiscaux mais sociaux. Il met en avant l’absence de garantie de qualité et de sécurité. Il déplore également, en pleine crise du logement à Paris, la disparition à la location longue durée de biens immobiliers (résidences secondaires) dont la location à la nuitée est bien plus lucrative et moins risquée pour le bailleur. Ces arguments, appuyés d’un manque à gagner (cf. note 5), ont sensibilisé la Mairie de Paris qui a obtenu, en avril 2012, la condamnation d’un propriétaire italien à une amende de 15 000 € pour avoir loué tout au long de l’année quatre appartements meublés à des touristes.
Forte de cette victoire, une cinquantaine d’assignations ont suivi contre ces loueurs indélicats à Paris. Car en France, deux textes réglementaires limitent le développement de ce concept de « locations meublées touristiques » : pour un locataire, la sous-location est interdite sans l’accord du propriétaire ; pour un propriétaire, la location occasionnelle de son logement est autorisée tant qu’il reste sa résidence principale  (cf. note 6). La démarche de la Marie de Paris a été imitée par l’UMIH en mai 2013, qui a porté plainte contre 50 chambres d’hôtes « illégales » dans 10 départements. Cette grogne juridique a poussé le Gouvernement à statuer à l’occasion d’un projet de loi.
Adoptée le 12 septembre 2013 par l’Assemblée Nationale, puis par le Sénat le 26 octobre en première lecture, la Loi dite Duflot pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) arrête la notion de « location d’un meublé de tourisme » et l’encadre. Sur la proposition du syndicat hôtelier, désormais, tout intermédiaire rémunéré (comme les plateformes numériques type Airnbn) devra informer le loueur des obligations légales de déclaration ou d'autorisation préalables et obtenir de ce dernier, avant la location du bien, une déclaration sur l'honneur attestant du respect de ces obligations.
En clair, tout bailleur louant sa résidence secondaire à des touristes dans des villes de plus de 200 000 habitants devra payer, pour obtenir le changement d'usage de son logement la contribution prévue auprès de sa mairie et obtenir l’accord de ses copropriétaires  (cf. note7). La loi prévoit également la possibilité de contrôle par les agents communaux.  Certes, cette obligation ne concerne pas les loueurs de leur résidence principale (c’est-à-dire au moins 8 mois par an), mais ces mesures pourraient décourager bien des bailleurs, et donner un sérieux coup de frein au développement de la start-up visée. Suite à ces déboires législatifs, la société Airnbn vient d’embaucher, pour sa filiale française, Richard Boulet, spécialiste de la relation client, pour défendre ses intérêts sur son deuxième marché français. La riposte semble tardive…

« A crise durable, consommateur alternatif »
Cette bataille médiatique illustre un problème plus profond : celui de la remise en cause des paradigmes de notre économie classique par un contournement de sa logique marchande. Les communautés se multiplient dans le domaine des services. Certains y voient l’émergence d’un nouveau modèle : l’économie collaborative ou positive, qui consisterait mieux consommer, voire mieux produire, ensemble via le partage. Evolution ou révolution, nos entreprises vont devoir s’adapter. La guerre des hôteliers annonce de nombreux conflits à venir… à l’échelle mondiale, bien sûr.

Notes :

1)    Les 3 co-fondateurs de la société Airnbn : en 2008, Brian Chesky et Joe Gebbia, diplômés de l’Ecole de design industriel de Rhode Island (26 ans), et Nathan Blecharczyk diplômé en informatique à l'Université de Harvard (25 ans).
2)    La société prélève 3% de commission sur le loyer perçu par les propriétaires, et de 6 à 12% auprès des locataires, ce qui a généré, en 2012, 150 millions de dollars de revenus (selon le magazine Capital). Bien que la société communique peu sur ses résultats, elle réaliserait, selon les analystes, un chiffre d’affaires d’1 milliard de dollars.
3)    La police ne peut se rendre sur place que suite à une plainte relative à des problèmes de voisinage (nuisance sonore par exemple).
4)    L’annonceur s’engage en acceptant les conditions générales à respecter les lois et règlementations locales.
5)    La loi prévoit qu’une autorisation de changement d’usage avec compensation auprès de la mairie de Paris est nécessaire avant de transformer un logement en location de courte(s) durée(s) pour une durée inférieure à 1 an (ou 9 mois pour un étudiant) lorsque le propriétaire ne vit pas dans le logement.
6)    Article 8 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et Article L. 631-7 du Code de la Construction et de l’Habitation.
7)    Sous peine d’une amende de 25 000 euros et d’une astreinte de 1 000 euros par jour et par mètre carré.