Le thème de l’agriculture dans les négociations commerciales internationales n’est apparu qu’à partir de l’Uruguay Round entre 1986 et 1994, dernier cycle de négociation du GATT, avant la création de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Il a été intégré aux négociations de l’OMC dans le but de réglementer et de libéraliser les échanges. Seulement les négociations agricoles sont impactées par de fortes oppositions, dans lesquelles le Groupe de Cairns apparait comme un acteur majeur. Depuis 1994, la question agricole est l’obstacle majeur au succès des rounds de négociation de l’OMC.
L’objectif est d’analyser les caractéristiques et les enjeux du Groupe de Cairns face à ses interlocuteurs dans le cadre des négociations agricoles à l’OMC, d’identifier les différentes étapes de négociation, de comprendre la position des parties adverses et d’envisager les issues possibles.
L'Accord agricole à l'OMC : l'illusion d'un objectif commun
L’accord agricole dans le cadre de l’OMC a pour principal objectif de créer une certaine discipline dans les échanges et la production de biens agricoles et envisage trois axes de négociation :
- Les mécanismes de protection aux frontières : barrières tarifaires et des droits de douane
- Les soutiens à l’exportation : subventions à l’exportation permettant aux pays de vendre à bas prix
- Les soutiens internes : aides à la production
Un objectif clair, cependant, depuis son apparition dans les négociations commerciales internationales, le sujet agricole ne cesse d’opposer les parties prenantes. Trois groupes d’acteurs se distinguent et tentent de se faire entendre pour la sauvegarde de leurs intérêts divergents.
Premièrement, il s’agit du Groupe de Cairns dont l’idéologie est d’établir un marché totalement ouvert. Puis interviennent les pays dits « amis de la multifonctionnalité de l’agriculture », qui détiennent une position inverse et soutiennent que « l’agriculture est ancrée dans un territoire et nécessite des instruments de soutien ». Et enfin, les pays en voie de développement, qui se positionnent en entre-deux, d’un côté ayant des intérêts à défendre la multifonctionnalité de l’agriculture et de l’autre, à soutenir l’objectif de libéralisation des échanges.
Le Groupe de Cairns : l'unité pour défendre des intérêts
Crée en 1986 en Australie, le Groupe de Cairns est constitué de 19 pays membres.
Cette coalition unique rassemble des acteurs puissants du monde agricole qui contribuent, ensemble, à plus de 25% des exportations agricoles mondiales et se positionnent comme la 3ème puissance mondiale en terme de Revenu National Brut. S’appuyant sur une agriculture très compétitive et des produits en général de qualité, les pays membres du groupe de Cairns ne sont pas uniformes et homogènes tant dans leurs positions économiques que politiques et géographiques. On y retrouve des pays développés, tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Canada, des pays du Mercosur, d’Amérique Latine, des pays asiatiques et l’Afrique du Sud. Bien que totalement opposés dans leurs positionnements sur de nombreux secteurs, les pays du Groupe de Cairns sont unanimes au regard des politiques et enjeux agricoles. Ils se retrouvent autour de caractéristiques communes : ils sont tous agro-exportateurs, leur économie dépend fortement de l’activité agricole et ils ne bénéficient que de très peu de soutien pour la production et l’exportation de leurs biens agricoles. Ils se positionnent sur un créneau très précis, l’accès aux marchés des pays du Nord et la fin des subventions européennes à l’exportation. Leur voix commune : la mobilisation pour la libéralisation complète des échanges dans ce secteur.
Pour ces pays ne disposant que de très peu de soutien dans le cadre de la production agricole, les mesures actuelles sont un frein au développement agricole mondial. Ainsi, la libéralisation des échanges permettrait de profiter pleinement de leurs avantages comparatifs dans ce secteur et serait, selon eux, synonyme de concurrence loyale sur les marchés mondiaux et d’un commerce international agricole équitable.
Ils dénoncent les économies riches et développées, notamment la Communauté Européenne, les Etats-Unis ou encore le Japon, qui mettent en place un régime de soutien agricole dont les conséquences sont désastreuses sur le marché mondial et pour les autres pays producteurs.
Face à une telle concurrence, les autres acteurs sont indéniablement exclus du marché agricole mondial.
Par ailleurs, de telles mesures de soutien peuvent aussi avoir des conséquences dramatiques sur les prix mondiaux, car ils créent ainsi un excédant alimentaire, et entrainent ainsi naturellement la baisse des prix du marché des biens agricoles.
Pour contrer ces « dérives du système », ils suggèrent différents axes de négociations notamment sur, l’accès aux marchés, en soumettant une réduction drastique des droits de douane; la concurrence à l’exportation, avec une suppression totale des subventions à l’exportation. Ils demandent aussi d'encadrer par des règles strictes les crédits à l'exportation et estiment que « l'aide alimentaire ne doit pas être utilisée pour contourner les règles sur les subventions à l'exportation ». Et enfin, ils revendiquent une forte réduction des soutiens internes.
Par ailleurs, la plupart de ces pays reconnaissent l'existence de considérations non-commerciales dans l'agriculture, c’est à dire la multifonctionnalité de l’agriculture qui peut remplir un rôle environnemental et socio-économique en plus du rôle primaire de production de nourriture. Ils estiment cependant qu'elles peuvent et doivent être traitées par des mesures qui n'entraînent pas de distorsions sur les marchés et la production.
Des avancées pour le groupe de Cairns face à des opposants influents
Depuis sa création en 1986, le Groupe de Cairns a été une voix influente dans les débats sur la réforme du commerce agricole et est à l’origine de nouvelles règles du commerce international de ce secteur. Plusieurs mesures ont été entreprises grâce au concours du groupe de Cairns. Il a notamment eu un poids pour la mise en place du système des « boîtes », qui stipule que les soutiens ayant des effets sur la production et les prix doivent être déclarés publiquement à l’OMC. De même, les soutiens considérés distorsifs ont été réduits de 20% pour les pays développés, les subventions à l’exportation ont été réduites et plafonnées, les marchés domestiques sont désormais plus ouverts grâce à des mesures sur les droits de douane qui doivent être consolidés, notifiés et ne peuvent être augmentés.
Enfin, d’ici la fin de l’année, si l’accord et l’échéance sont respectés, les subventions à l’exportation devront être supprimées.
Malgré ces avancées au regard de la politique commerciale internationale, le bilan des différents cycles de négociation reste mitigé, les parties adverses défendant elles aussi leurs intérêts.
Les opposants au Groupe de Cairns refusent d’envisager les propositions d’ultra-libéralisme pour plusieurs raisons :
Premièrement, elles considèrent que ces propositions dénigrent le modèle propre d’agriculture et mettent fin à la diversité des productions agricoles mondiales. Elles sont aussi une attaque à la souveraineté et à la sécurité alimentaire des nations et de leur peuple.
Ensuite, ce système d’échange dérégulé laisse uniquement place aux pays riches en termes de ressources naturelles avec des circuits de production et de distribution contrôlés par les sociétés.
Par ailleurs, ce modèle ultra-libéral convient aux pays du Groupe de Cairns, spécialisés dans l’exportation de mono-produits, comme l’Australie (moutons, bovins et blé), la Nouvelle-Zélande (mouton, lait), l’Argentine (blé, bovins) ou le Brésil (sucre, soja, volaille), cependant, la thèse adverse stipule qu’il ne peut pas servir de modèle global en soulignant que la question agricole ne se résume pas à la simple fourniture de produits agricoles vendus au prix le plus bas.
Dernièrement le Groupe de Cairns est aussi critiqué pour ses pratiques agricoles qui ne correspondent pas toujours à ses stipulations dans les négociations. En effet, certains membres ont appliqué des mesures de soutien et de protection pour préserver leur agriculture. C’est le cas notamment du Canada, de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande, qui pour exporter ont fait appel à des sociétés disposant de droits exclusifs et spéciaux.
Le Wheat Board au Canada disposait ainsi d’un monopole d’exportation pour le blé, ou encore le Board Néo-Zélandais détenait 30% des parts du marché laitier mondial, une plainte a été déposé par les Etats-Unis contre la politique d’exportation pour dénoncer ces pratiques.
Avec de telles pratiques, le Groupe de Cairns a été discrédité par ses opposants et ces évènements sont un frein aux avancées dans la négociation.
Malgré la position forte du Groupe de Cairns, sa position sur le marché, son unité, sa structure et sa stabilité, ses propositions sont encore loin d’être adoptées par tous. Bien que le groupe de Cairns ait l’avantage de se rapprocher de l’idéal des accords de l’OMC, les négociations restent lentes et un accord semble difficile à trouver.
En effet, l’OMC rassemble près de 150 pays où s’expriment les différents enjeux et intérêts de chacun. Sur ce dossier fondamental qu’est l’agriculture, chacun fait valoir ses intérêts en fonction de plusieurs paramètres : dans la sphère économique d’abord où le poids du secteur dans les économies nationales de chacun entre en jeu, tout comme les fonctions non-commerciales alimentaires, sociales et culturelles, ou encore la diversité en terme de ressources naturelles agricoles qui créée des clivages politique, technique, économique et social.
Mais alors jusqu’où peuvent aller ces négociations, les pays seront ils capables de trouver enfin un compromis, le groupe de Cairns réussira-t-il a se faire entendre ? Cela semble difficile. Une conférence ministérielle de l’OMC se tiendra à Bali en décembre et beaucoup d’attentes sont placées sur ces rencontres.
S’il s’avère qu’à l’issue de cette nouvelle session de négociations aucune avancée n’est apparue, chacun poursuivra sur sa lancée, avec des choix individuels et risquant d’entraver le commerce international agricole mondial et d’impacter fortement les différents acteurs.
Hortense Meunier
Sources
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/agrifra07k.pdf
http://www.oecd.org/fr/tad/liberalisationdesechanges.htm
http://www.momagri.org/FR/regards-sur-l-actualite/La-liberalisation-des-echanges-agricoles-entre-l-Europe-et-l-Amerique-latine-suscite-de-nombreuses-inquietudes_904.html
http://www.cairn.info/article.php?REVUE=economique-de-l-ocde&ANNEE=2003&NUMERO=1&PP=255
http://cairnsgroup.org/Pages/default.aspx
http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/omc-le-groupe-de-cairns-souhaite-l-abolition-des-subventions-aux-exportations-en-2013-26312.html
http://www.wto.org/french/tratop_f/agric_f/agric_f.htm
http://www.oecd.org/fr/tad/36133004.pdf
http://fr.wikipedia.org/wiki/Subvention_agricole
http://www.fao.org/docrep/008/y4632f/y4632f00.htm
http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/14-ag.pdf
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ref/agrifra07j.pdf