Abercrombie & Fitch, de multiples attaques et erreurs stratégiques mettent en péril la marque adulée des ados

Quand la marque fétiche des ados s’endort en oubliant les tendances sociétales, rien ne va plus et la toile se déchaîne à l’encontre de l’entreprise et de son dirigeant, provoquant une crise d’image et de positionnement, associée à des résultats financiers en berne.

A l’origine, Abercrombie & Fitch était une belle histoire américaine comme on les aime. David Abercrombie et Ezra Fitch créent A&F, une marque spécialisée dans les vêtements de safari et de camping en 1892. Puis Mike Jeffries, prend les commandes un siècle plus tard et en fait une marque élitiste et esthétique. Le côté smart et transgressif de l’environnement d’A&F plaît aux ados, car le style est nouveau, branché et surtout, le produit est rare car peu de magasins. Le positionnement de la marque fait fureur et l’entreprise va couler des jours heureux pendant plus d’une décennie avec une croissance à deux chiffres.

Mais ces ados des années 2000 ont fait place à la deuxième génération, qui ne voit pas les choses de la même façon.

Ce modèle de consommation élitiste, visant l’exclusion, est de plus en plus contesté et s’est traduit ces dernières années par une série d’attaques relayées dans la presse, réseaux et médias sociaux, visant les campagnes de publicité agressives et hyper sexualisées de la marque, mais aussi les modes de management et de recrutement. De multiples pétitions en ligne, vidéos et campagne de détournement, appels au boycott ou à la démission du PDG se succèdent sur la toile.

En effet, Mike Jeffries, obnubilé par la jeunesse et la virilité, en transgressant les codes du marketing traditionnel avec ses publicités provocatrices et ses magasins boîtes de nuit, a fini par lasser et se voit accusé de « racisme institutionnel ». La logique purement marketing d’A&F, qui valorise le narcissisme physique, a rencontré ses limites et se heurte à une autre tendance sociétale : la lutte contre les discriminations.

Les attaques visent les pratiques de recrutement du groupe, fondées sur des critères discriminatoires, notamment par l’apparence physique. Les vêtements A&F sont conçus pour des gens « beaux et cools » et ne s’adressent donc pas à tout le monde, à l’image des vendeurs torses nus et body-buildés et des vendeuses à la silhouette parfaite qui évoluent dans l’ambiance boîte de nuit des magasins.

Il y a déjà dix ans, un premier collectif américain, relayé par les britanniques, constitué d’employés et de personnes candidats à l’embauche et s’étant vu refuser les portes de la marque en raison de leurs origines ethniques, ont poursuivi l’entreprise pour discrimination. A&F a du leur verser 50 millions de dollars et s’engager auprès des autorités américaines sur des pratiques intégrant la diversité. On peut s’étonner que cette première crise n’ait pas induit un changement de stratégie d’A&F.

En France, c’est le Défenseur des droits français, Dominique Baudis qui vient de prendre le dossier en main pour examiner les conditions et critères de recrutement, jugées discriminatoires. Les employés d'Hollister* dénonçaient les atteintes à la vie privée, les dépassements du temps de travail autorisés et la discrimination en oeuvre dans les magasins de la marque débarquée dans l'hexagone fin 2011. Et le récent incendie du magasin-phare des Champs-Elysées risque de ternir un peu plus l’ambiance.

Mais la discrimination chez A&F ne s’arrête pas là. La marque américaine refuse de vendre ses vêtements dans les grandes tailles pour éviter que son image soit associée avec celle des femmes en surpoids. Et le patron persiste et signe sur son positionnement discriminatoire : une stratégie marketing qui n’est pas du goût « des gens gros » et qui va déclencher les fureurs sur la toile, à l’exemple d’une bloggeuse « ronde » qui n’hésite pas à parodier la marque « Attractive & Fat ».

Un autre scandale a terni l’image de la marque : les produits retournés en magasin sont immédiatement détruits, car A&F ne veut pas que ses produits puissent être portés par des personnes pauvres, malgré les demandes d’associations humanitaires pour les récupérer.  Un jeune écrivain américain a donc pris l’initiative de « recadrer la marque » en collectant les vêtements usagés pour les offrir aux sans-abris de son quartier de Los Angeles, en diffusant une video - vue plus de 8 millions de fois - sur YouTube et largement relayée par Twitter et Facebook.

Force est de constater aujourd’hui que les ventes du groupe ont chuté de 10% à 20% selon les marques et les pays**, des fermetures de magasins sont programmées, le cours chancelle en Bourse.

Le définit d’image de la marque – et de son dirigeant - est bien installé. La crise financière et le dévoiement des ados vers les produits high tech ne justifient pas seuls les résultats en déclin du groupe, d’autant que certaines marques plus créatives, moins chères - et s’adressant à tous les ados - gagnent des parts de marché.

Il faut rappeler qu’une marque destinée aux jeunes est vouée à disparaître si on n’est pas à l’écoute des tendances et des consommateurs. Or, quelle stratégie le très contesté Mike Jeffries a mis en place pour nouer un dialogue avec les parties prenantes, notamment au travers des réseaux sociaux, et tenter de contrer l’humiliation perçue par des millions de consommateurs exclus? Quelques excuses plates et tardives sur un media inapproprié, la télévision, n’ont en rien stoppé la fronde des réseaux  sociaux qui continuent d’occuper le terrain de la contestation. L’absence d’A&F sur les réseaux sociaux accroît sa vulnérabilité. L’entreprise, au travers de son PDG, donne l’impression d’être déconnectée de la réalité en restant sur ses positions, et surtout ne communique pas, si ce n’est pour rabâcher que la marque est exclusive - mais perçue comme excluante - et de surcroît banalisée par une multiplication de points de ventes.

Un nouveau souffle est-il possible ? Il faudrait dans un premier temps que l’état d’esprit du PDG change, et accepte ses erreurs, ce qui serait un début d’humanité envers les internautes, même si on a du mal à y croire étant donné la personnalité du dirigeant. Il est ensuite plus qu’urgent de remettre à plat la stratégie, le positionnement et la communication de crise et d’influence, et de s’entourer de professionnels « beaux et cools » dans ses domaines.
M. Jeffries ne devrait-il pas, s’il en est encore temps, céder son fauteuil à un communicant ayant une forte notoriété auprès de la cible concernée et amorcer ainsi un nouveau départ ?

* Enseigne du Groupe A&F très présente en France
** 1 000 magasins USA, Europe et Asie, 4 marques