Tombé en désuétude après la deuxième Guerre mondiale (cf. note1), le tramway connait aujourd'hui un engouement renouvelé, partout dans le monde. La France est en pointe sur le sujet. C’est en effet une décision de l’Etat qui, en 1975, a incité les industriels français à miser de nouveau sur ce mode de transport. Outre Paris qui a réactualisé l’intérêt de ce moyen de transport et l'Ile de France qui est en train de renforcer son réseau avec sept nouveaux tramways, quinze villes de province s'en sont récemment dotées.
Une polémique transport individuel versus transport collectif
C'est dans ce contexte porteur que des attaques régulières ciblent le tramway. Tout commence en 2007 par une étude publiée par trois éminents universitaires (cf. note 2). Celle-ci déconstruit les choix du Maire de Paris, concluant que l'usage du tramway avait pour effet d'encombrer la circulation, de congestionner le périphérique et d'accroître la pollution. La polémique monte et se solde par un communiqué de la mairie de Paris qualifiant l’étude de « fantaisiste » (cf. note 3). En l'espèce, les joutes régulières entre les protagonistes montrent que c’est en fait la politique du "tout-transport collectif " visant à décourager l'emploi de l'automobile qui est clairement visée. On observera en effet que les mesures affectant l’usage individuel de la voiture sont systématiquement contrées par l’un des universitaires (cf. note 4).
Sourd à ces chicanes, l’Etat français décide, dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, de donner une impulsion supplémentaire au tramway et de financer la réalisation de projets dans une série de villes moyennes.
En 2012, la cohorte des inaugurations des nouveaux tramways fournit l’exposition médiatique idéale pour ressortir les attaques. La presse se fait régulièrement l’écho de cette étude qui, entre-temps a été complétée par d’autres (cf. note 5) et publiée en anglais. Un autre argument, imparable dans le contexte de crise actuel, fait en outre son apparition : le coût de réalisation des tramways est jugé prohibitif. Certains élus locaux publient un livre blanc, hostile au tramway" (cf. note 6). Le propos diffuse en profondeur auprès des cadres de la Fonction Publique chargés de l'étude technique des projets (cf. note 7).
Dans cette affaire, au-delà de l’affrontement factuel, il est particulièrement intéressant de saisir comment une étude universitaire, habillement orientée, a pu prospérer. Pourtant incomplète - conduite sur un échantillon de 1000 personnes, pendant six mois, sur un bout de ligne (1er tronçon du T3) à l’époque déconnectée du reste du réseau ce qui est un non-sens en matière de transport et ne disposant d’aucun moyen de mesure pertinent de la pollution - cette étude est régulièrement instrumentalisée contre les décisions politiques du Maire de Paris et du Gouvernement français. De manière lancinante, les gloses ressortent à des moments clefs de l’actualité du tramway et sur fond de relative indifférence des industriels français concernés au premier chef.
Une polémique ancienne
Pourtant, un peu d’histoire dans cette affaire peut nous alerter. Il faut en effet nous souvenir que c'est suite à une redoutable campagne de l'industrie automobile et pétrolière que le tramway, affublé de tous les maux de la circulation, a disparu une première fois du paysage urbain (cf. note 8). Ce sont les mêmes arguments larvés qui sont resservis sous couvert scientifique en 2007, sont relayés et avancent actuellement. La campagne ne peut plus être ouvertement pro-automobile dans le débat actuel sur l’environnement et les énergies. Alors, elle est contre le tramway.
L’incidence de la disparition du tramway du paysage francilien pendant 56 ans n’est cependant pas neutre. Elle nous vaut aujourd’hui l’absence de moyen de desserte collective de banlieue à banlieue. C’est l’un des motifs majeurs de réalisation du Grand Paris. Coût de l’opération plus de 30 milliards d’euros (cf. note 9).
Alors, un peu de vision à long terme sur un sujet aussi stratégique que les transports, n’est pas qu’un luxe, il est gage, sur le long terme, d’économie bien comprise.
Les entreprises françaises qui, historiquement, ont toujours été moyennement convaincues par le tramway, ont longtemps été à la traîne des politiques publiques (cf. note 10) alors qu’elles ont tout à y gagner. Rappelons qu’Alstom a fourni en 2012 60% des rames livrées dans le monde dont la moitié est fabriquée en France et le groupe RATP, leader mondial en matière d'exploitation des tramways est talonné par Kéolis, filiale de la SNCF (cf. note 11). Ces entreprises commencent à prendre la mesure de l’attaque portée contre l’un des marchés les plus porteurs du secteur (cf. note 12).
Notes :
1. Revue d’histoire des chemins de fer 30 (printemps 2004), Maurice Wolkowischt, le contexte dans lequel évoluent les chemins de fer secondaires - Thierry Assa, Les tramways parisiens ont 160 ans, , Réseaux urbains n°109 – Mars/Avril 2013
2. Rémy Prud’Homme, Martin Koning, Pierre Koppl, Un désir nommé tramway, 11 janvier 2007, publié dans Transport n°447 (2008). Rémy Prud’Homme est professeur émérite d’économie. Il a longtemps enseigné à l’Université de Paris XII et au MIT.
3. CP mairie de Paris « On ne peut que souligner l’amateurisme et le caractère non scientifique de cette étude » reposant « sur une seule et unique enquête non représentative, pour tirer des conclusions qui n’en sont que plus fantaisistes »
4. Exemples de prises de position de Rémy Prud’Homme, professeur émérite d’économie : Libération 1er avril 2006, Dur de passer la second Vincent Sibylle - Le Point.fr, le tramway parisien pris pour cible, publié le 24/01/2008, L’Express.fr, tramway à Paris Delanoë est-il l’ennemi de la voiture ? par Sylvain Morvan, publié le 15/12/2012 – Les échos 22/07 /2013, réduire la vitesse de la circulation, une facture à 8 milliards d’€
5. Rémy Prud’Homme, Martin Koning, Pierre Kopp, Substituting a tramway to a bus line in Paris : costs and benefits, 2011.
6. Halte au tramway, ou comment économiser 50 milliards d'euros. www.mobilicites.com, 14 mars 2012 Les bus de Belfort proposent un contrat de confiance à l’Etat, 27 mars 2012 « Grand Avignon : le tram tisse son réseau dans les villes moyennes »
7. Techni.cités, 8 avril 2012, le magazine des cadres techniques de la Fonction Publique
8. Les tramways parisiens ont 160 ans, Thierry ASSA, Réseaux urbains n°111 – Juillet/Août 2013 p.57
9. www.lemonde.fr, Grand Paris Expresse : un chantier colossal mais un financement encore incertain , publié le 8 mars 2013
10. Revue transport Public – juillet, août 2005, Les industriels face au développement du marché du tramway - Revue Bus &Car Transport de voyageurs n°924 Interview de J. Wallut, directeur général d’Alstom Transport, Alstom produit une rame de tramway toutes les 18 heures.
11. Valérie Collet, Le grand retour du tramway, Le Figaro 10 mai 2013 – Revue Transport de voyageurs n°924, p.14 Entretien avec Jérôme Wallut, directeur général d’Alstom Transport.
12. www.mobilicites.com, Grand Avignon : le tram tisse son réseau dans les villes moyennes, publié le 27 mars 2013.
Une polémique transport individuel versus transport collectif
C'est dans ce contexte porteur que des attaques régulières ciblent le tramway. Tout commence en 2007 par une étude publiée par trois éminents universitaires (cf. note 2). Celle-ci déconstruit les choix du Maire de Paris, concluant que l'usage du tramway avait pour effet d'encombrer la circulation, de congestionner le périphérique et d'accroître la pollution. La polémique monte et se solde par un communiqué de la mairie de Paris qualifiant l’étude de « fantaisiste » (cf. note 3). En l'espèce, les joutes régulières entre les protagonistes montrent que c’est en fait la politique du "tout-transport collectif " visant à décourager l'emploi de l'automobile qui est clairement visée. On observera en effet que les mesures affectant l’usage individuel de la voiture sont systématiquement contrées par l’un des universitaires (cf. note 4).
Sourd à ces chicanes, l’Etat français décide, dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, de donner une impulsion supplémentaire au tramway et de financer la réalisation de projets dans une série de villes moyennes.
En 2012, la cohorte des inaugurations des nouveaux tramways fournit l’exposition médiatique idéale pour ressortir les attaques. La presse se fait régulièrement l’écho de cette étude qui, entre-temps a été complétée par d’autres (cf. note 5) et publiée en anglais. Un autre argument, imparable dans le contexte de crise actuel, fait en outre son apparition : le coût de réalisation des tramways est jugé prohibitif. Certains élus locaux publient un livre blanc, hostile au tramway" (cf. note 6). Le propos diffuse en profondeur auprès des cadres de la Fonction Publique chargés de l'étude technique des projets (cf. note 7).
Dans cette affaire, au-delà de l’affrontement factuel, il est particulièrement intéressant de saisir comment une étude universitaire, habillement orientée, a pu prospérer. Pourtant incomplète - conduite sur un échantillon de 1000 personnes, pendant six mois, sur un bout de ligne (1er tronçon du T3) à l’époque déconnectée du reste du réseau ce qui est un non-sens en matière de transport et ne disposant d’aucun moyen de mesure pertinent de la pollution - cette étude est régulièrement instrumentalisée contre les décisions politiques du Maire de Paris et du Gouvernement français. De manière lancinante, les gloses ressortent à des moments clefs de l’actualité du tramway et sur fond de relative indifférence des industriels français concernés au premier chef.
Une polémique ancienne
Pourtant, un peu d’histoire dans cette affaire peut nous alerter. Il faut en effet nous souvenir que c'est suite à une redoutable campagne de l'industrie automobile et pétrolière que le tramway, affublé de tous les maux de la circulation, a disparu une première fois du paysage urbain (cf. note 8). Ce sont les mêmes arguments larvés qui sont resservis sous couvert scientifique en 2007, sont relayés et avancent actuellement. La campagne ne peut plus être ouvertement pro-automobile dans le débat actuel sur l’environnement et les énergies. Alors, elle est contre le tramway.
L’incidence de la disparition du tramway du paysage francilien pendant 56 ans n’est cependant pas neutre. Elle nous vaut aujourd’hui l’absence de moyen de desserte collective de banlieue à banlieue. C’est l’un des motifs majeurs de réalisation du Grand Paris. Coût de l’opération plus de 30 milliards d’euros (cf. note 9).
Alors, un peu de vision à long terme sur un sujet aussi stratégique que les transports, n’est pas qu’un luxe, il est gage, sur le long terme, d’économie bien comprise.
Les entreprises françaises qui, historiquement, ont toujours été moyennement convaincues par le tramway, ont longtemps été à la traîne des politiques publiques (cf. note 10) alors qu’elles ont tout à y gagner. Rappelons qu’Alstom a fourni en 2012 60% des rames livrées dans le monde dont la moitié est fabriquée en France et le groupe RATP, leader mondial en matière d'exploitation des tramways est talonné par Kéolis, filiale de la SNCF (cf. note 11). Ces entreprises commencent à prendre la mesure de l’attaque portée contre l’un des marchés les plus porteurs du secteur (cf. note 12).
Notes :
1. Revue d’histoire des chemins de fer 30 (printemps 2004), Maurice Wolkowischt, le contexte dans lequel évoluent les chemins de fer secondaires - Thierry Assa, Les tramways parisiens ont 160 ans, , Réseaux urbains n°109 – Mars/Avril 2013
2. Rémy Prud’Homme, Martin Koning, Pierre Koppl, Un désir nommé tramway, 11 janvier 2007, publié dans Transport n°447 (2008). Rémy Prud’Homme est professeur émérite d’économie. Il a longtemps enseigné à l’Université de Paris XII et au MIT.
3. CP mairie de Paris « On ne peut que souligner l’amateurisme et le caractère non scientifique de cette étude » reposant « sur une seule et unique enquête non représentative, pour tirer des conclusions qui n’en sont que plus fantaisistes »
4. Exemples de prises de position de Rémy Prud’Homme, professeur émérite d’économie : Libération 1er avril 2006, Dur de passer la second Vincent Sibylle - Le Point.fr, le tramway parisien pris pour cible, publié le 24/01/2008, L’Express.fr, tramway à Paris Delanoë est-il l’ennemi de la voiture ? par Sylvain Morvan, publié le 15/12/2012 – Les échos 22/07 /2013, réduire la vitesse de la circulation, une facture à 8 milliards d’€
5. Rémy Prud’Homme, Martin Koning, Pierre Kopp, Substituting a tramway to a bus line in Paris : costs and benefits, 2011.
6. Halte au tramway, ou comment économiser 50 milliards d'euros. www.mobilicites.com, 14 mars 2012 Les bus de Belfort proposent un contrat de confiance à l’Etat, 27 mars 2012 « Grand Avignon : le tram tisse son réseau dans les villes moyennes »
7. Techni.cités, 8 avril 2012, le magazine des cadres techniques de la Fonction Publique
8. Les tramways parisiens ont 160 ans, Thierry ASSA, Réseaux urbains n°111 – Juillet/Août 2013 p.57
9. www.lemonde.fr, Grand Paris Expresse : un chantier colossal mais un financement encore incertain , publié le 8 mars 2013
10. Revue transport Public – juillet, août 2005, Les industriels face au développement du marché du tramway - Revue Bus &Car Transport de voyageurs n°924 Interview de J. Wallut, directeur général d’Alstom Transport, Alstom produit une rame de tramway toutes les 18 heures.
11. Valérie Collet, Le grand retour du tramway, Le Figaro 10 mai 2013 – Revue Transport de voyageurs n°924, p.14 Entretien avec Jérôme Wallut, directeur général d’Alstom Transport.
12. www.mobilicites.com, Grand Avignon : le tram tisse son réseau dans les villes moyennes, publié le 27 mars 2013.