Le débat sur l’article de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff 2010 symbolise la rencontre du monde académique et de la guerre de l’information. L’article « Growth in a Time of Debt » publié en 2010 par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff de l’université de Harvard, experts au FMI, montrait sur un périmètre de 44 pays et sur une période de 200 ans que le taux de croissance moyen du PIB d’un pays a tendance à chuter lorsque sa dette publique dépasse 90% de ce PIB. La crise économique en cours et le contexte récent de forte remontée de l’endettement des pays occidentaux fut une véritable caisse de résonance pour cet article : salué comme un travail colossal quant au périmètre de données collectées et analysées, il fut repris sur l’échiquier politique occidental par les défenseurs de l’austérité budgétaire et mis en avant comme un fondement académique à la mise en place de politiques de réduction des dettes publiques, visant explicitement le seuil des 90% comme un objectif destiné à assurer la soutenabilité de la dette d’un état (Février 2013, Olli Rehn).
Il était pourtant alors déjà possible d’objecter que l’étude de Reinhart et Rogoff était d’abord une étude quantitative et non qualitative : elle mélangeait, par construction, des données de pays variés dans des situations et des époques différentes. Ses résultats n’étaient donc peut-être pas automatiquement transposables à la situation actuelle des pays occidentaux. Ensuite, elle ne mettait rien de plus en évidence qu’une corrélation entre le taux d’endettement d’un pays et son taux de croissance : mais corrélation ne vaut pas causalité, et rien ne permettait de dire si l’endettement trop fort d’un pays était la cause de la chute de la croissance ou si la chute de sa croissance était la cause de son endettement trop fort (Mars 2010, Paul Krugman, Debt And Transfiguration) ou encore si les deux étaient corrélés sans être liés par aucun lien de causalité. Pourtant, l’article de Carmen et Rogoff resta durablement positionné dans le débat comme ce qu’il ne pouvait pas être : une formule magique pour résoudre la crise de la dette.
L’information académique comme arme dans la guerre de l’information ?
La publication de Herndon, Ash et Pollin en 2013 démontre comment un simple exercice d’économétrie se révèle une bombe informationnelle contre l’article de Reinhart et Rogoff 2010. L’article « Does High Public Debt Consistently Stifle Economic Growth ? A Critique of Reinhart and Rogoff », publié en avril 2013 par Thomas Herndon, Michael Ash et Robert Pollin de l’université du Massachusetts Amherst, indiquait que des erreurs avaient été commises par Reinhart et Rogoff dans le traitement de leurs données en 2010.
En refaisant eux-mêmes les calculs de Reinhart et Rogoff, Herndon, Ash et Pollin ont montré qu’il n’était plus possible de faire apparaître de corrélation entre la hausse de la dette publique d’un pays au-dessus du seuil de 90% sur PIB et la chute du taux de croissance de ce pays. Cette nouvelle étude constitua pour Reinhart et Rogoff, mais aussi pour les promoteurs de l’austérité budgétaire, une véritable bombe informationnelle. En effet, elle détruisait la crédibilité des deux chercheurs en présentant leurs erreurs dans le traitement de leurs données d’abord comme une simple erreur d’utilisation du tableur Excel (erreur on ne peut plus grossière pour deux professeurs à Harvard et experts au FMI).
En pointant que certains pays (Australie, Autriche, Canada, Danemark et Belgique) avaient été exclus du périmètre de données sur la période 1946-2009 et que cette exclusion modifiait sensiblement les résultats, elle laissait entendre que les deux chercheurs avaient fait preuve d’un biais ex ante dans leur article de 2010. Ces erreurs des deux stars de la recherche en économie avaient en plus été mises en évidence par un simple étudiant en économétrie de 28 ans, Thomas Herndon, au cours d’un exercice que lui avaient confié ses deux tuteurs, Michael Ash et Robert Pollin, consistant à… reproduire les calculs de Reinhart et Rogoff !
Enfin, cette nouvelle étude permettait d’enfermer le camp des promoteurs de l’austérité dans une contradiction majeure en les accusant de défendre la rigueur tout en se basant sur des études académiques qui en manquaient… de rigueur !
L’affaire Reinhart Rogoff montre comment l’information académique peut être un outil de guerre de l’information : tantôt en la simplifiant pour lui faire dire ce qu’elle ne dit pas tout à fait, tantôt en l’utilisant pour décrédibiliser l’adversaire.
Il était pourtant alors déjà possible d’objecter que l’étude de Reinhart et Rogoff était d’abord une étude quantitative et non qualitative : elle mélangeait, par construction, des données de pays variés dans des situations et des époques différentes. Ses résultats n’étaient donc peut-être pas automatiquement transposables à la situation actuelle des pays occidentaux. Ensuite, elle ne mettait rien de plus en évidence qu’une corrélation entre le taux d’endettement d’un pays et son taux de croissance : mais corrélation ne vaut pas causalité, et rien ne permettait de dire si l’endettement trop fort d’un pays était la cause de la chute de la croissance ou si la chute de sa croissance était la cause de son endettement trop fort (Mars 2010, Paul Krugman, Debt And Transfiguration) ou encore si les deux étaient corrélés sans être liés par aucun lien de causalité. Pourtant, l’article de Carmen et Rogoff resta durablement positionné dans le débat comme ce qu’il ne pouvait pas être : une formule magique pour résoudre la crise de la dette.
L’information académique comme arme dans la guerre de l’information ?
La publication de Herndon, Ash et Pollin en 2013 démontre comment un simple exercice d’économétrie se révèle une bombe informationnelle contre l’article de Reinhart et Rogoff 2010. L’article « Does High Public Debt Consistently Stifle Economic Growth ? A Critique of Reinhart and Rogoff », publié en avril 2013 par Thomas Herndon, Michael Ash et Robert Pollin de l’université du Massachusetts Amherst, indiquait que des erreurs avaient été commises par Reinhart et Rogoff dans le traitement de leurs données en 2010.
En refaisant eux-mêmes les calculs de Reinhart et Rogoff, Herndon, Ash et Pollin ont montré qu’il n’était plus possible de faire apparaître de corrélation entre la hausse de la dette publique d’un pays au-dessus du seuil de 90% sur PIB et la chute du taux de croissance de ce pays. Cette nouvelle étude constitua pour Reinhart et Rogoff, mais aussi pour les promoteurs de l’austérité budgétaire, une véritable bombe informationnelle. En effet, elle détruisait la crédibilité des deux chercheurs en présentant leurs erreurs dans le traitement de leurs données d’abord comme une simple erreur d’utilisation du tableur Excel (erreur on ne peut plus grossière pour deux professeurs à Harvard et experts au FMI).
En pointant que certains pays (Australie, Autriche, Canada, Danemark et Belgique) avaient été exclus du périmètre de données sur la période 1946-2009 et que cette exclusion modifiait sensiblement les résultats, elle laissait entendre que les deux chercheurs avaient fait preuve d’un biais ex ante dans leur article de 2010. Ces erreurs des deux stars de la recherche en économie avaient en plus été mises en évidence par un simple étudiant en économétrie de 28 ans, Thomas Herndon, au cours d’un exercice que lui avaient confié ses deux tuteurs, Michael Ash et Robert Pollin, consistant à… reproduire les calculs de Reinhart et Rogoff !
Enfin, cette nouvelle étude permettait d’enfermer le camp des promoteurs de l’austérité dans une contradiction majeure en les accusant de défendre la rigueur tout en se basant sur des études académiques qui en manquaient… de rigueur !
L’affaire Reinhart Rogoff montre comment l’information académique peut être un outil de guerre de l’information : tantôt en la simplifiant pour lui faire dire ce qu’elle ne dit pas tout à fait, tantôt en l’utilisant pour décrédibiliser l’adversaire.