Le « tertium non datur » d’une guerre informationnelle autour des nitrates

Retour sur une initiative vertueuse très européenne.
La directive européenne « nitrates » entre en vigueur en décembre 1991 avec pour objectif officiel la protection des réserves d’eau par une limitation de l’usage des nitrates présents dans les engrais puis déjections animales (cf. note 1). Régulièrement menacé de lourdes sanctions financières par Bruxelles pour retard dans ses actions, l’Etat français vient d’être condamné par le tribunal administratif de Rennes à verser 7 millions d’euros au département des Côtes-d’Armor au titre de la lutte contre les algues. En parallèle, une somme de près de 25 millions d’euros est engagée via le CNRS dans des études de valorisation des algues vertes sans compter les aides régulières octroyées aux agriculteurs dans une logique d’accompagnement technique et financier. Dans cette guerre informationnelle, l’Etat français paye au minimum quatre fois sans réel retour sur investissement ni vision stratégique autour de la pollution de l’eau (cf. note 2). Entre écologistes exaspérés et agriculteurs déterminés, la guerre des nitrates semble cristalliser toutes les tensions en excluant en première approche un « tertium» possible.

La mise en cause ancienne des nitrates


Le lien de causalité entre nitrates et algues vertes (connu sous le terme d’eutrophisation) remonte scientifiquement aux années 50. La France n’est pas la seule mauvaise élève de la classe européenne : les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark  se retrouvent également sous une épée de Damoclès. Les Etats membres de l’Union sont sommés de réduire la pression des nitrates d’origine agricole d’une manière ou d’une autre. C’est ainsi qu’après avoir déclaré vouloir devenir le leader du porc européen, le Danemark a atteint ses propres limites en termes de capacités de production justifiant ainsi une réorientation des plus opportunistes : l’exportation de porcelets dans tous les pays de l’Est afin de « délocaliser le problème »…
La France s’est lancée pour sa part dans un cinquième plan d’action avec une redéfinition des zones dites vulnérables en parallèle de quelques initiatives comme le soutien timide du projet Ulvans soutenu par la société Olmix. Cette entreprise, spécialiste des solutions naturelles pour la nutrition, la santé animale et végétale a récemment reçu le Prix de la PME en Chine après s’être lancée dans l’aventure de la valorisation des algues vertes. Son PDG Hervé Balusson table sur un chiffre d’affaire en 2013 de 150 Millions d’euros pour une récolte de 15000 tonnes uniquement dans les eaux françaises.
La France n’est pas le seul pays touché par ce phénomène. Les principales zones concernées sont :

  • en Europe : la côte irlandaise, espagnole, le lagon vénitien et des estuaires portugais ; en Afrique : la côte tanzanienne, des villes portuaires comme Dakar et Hong-Kong ;
  • dans le monde : le sud du Japon, le sud-ouest australien et certains zones en Amérique du Sud.
  • Pour la seule province de Qingdao en Chine, les études scientifiques ont évalué à 20 millions de tonnes la biomasse d’algues présentes le long des côtes. En 2008, ces ulves ont sérieusement impacté les Jeux Olympiques de Pékin en envahissant 30 % des surfaces navigables renvoyant ainsi une image désastreuse du site chinois.

Une non décision pour une stratégie de statu quo


Dans les Echos du 17 avril 2013, Sylvain Ballu, chercheur au Centre d’Etudes et de Valorisation des Algues (CEVA) déclare : « Nous travaillons à la mise au point de machines susceptibles de ramasser des quantités importantes d’algues vertes (…) mais attention, ces éventuels débouchés industriels (cf. note 3) ne doivent pas faire perdre de vue la finalité ultime qui est de supprimer cette pollution ! ».
Cette logique vertueuse souligne malheureusement une contradiction économique : peut-on s’engager sérieusement dans une nouvelle filière économique en prenant ni plus ni moins comme objectif final l’élimination de la source de celle-ci ?
Les principes de concentration des forces, de liberté d’action et d’économie des moyens restent plus que jamais d’actualité. La vision contradictoire du CEVA peut s’apprécier une fois de plus comme le reflet d’une posture française court-termiste de non-choix. Aux regards des derniers contextes écologiques et concurrentiels, la question de l’avenir de la filière porcine française à l’échelle européenne et mondiale devrait être formulée en termes de réorientation stratégique. La France n’a-t-elle pas devant elle une fenêtre d’opportunité avec cette filière innovante de valorisation des déchets d’origine biologique? Derrière cette niche se cache peut-être une des clés fondamentales pouvant résoudre les défis d’une demande croissante en nutrition et santé animale. N’assurant que 0,07% d’aquaculture (cf. note 4) dans notre production annuelle mais jouissant d’une façade maritime propice au développement de certaines algues (en plus d’une compétence scientifique reconnue (cf. note 5), la France semble également bien armée face à un marché d’algues alimentaires flirtant avec les 10% de croissance.
D’une faiblesse à une force, il n’y a qu’un pas, encore faut-il distinguer le cygne blanc des marées vertes. Dans ce conflit nombriliste centré sur les nitrates, la société morbihannaise montre l’exemple en misant sur la valorisation des algues comme « tertium» au sens de Watzlawick : une « troisième voie  à ne pas exclure » permettant de sortir de manière pérenne d’une impasse économique et écologique…

 

 

Notes

 

  • En France, 66% des nitrates dans les eaux continentales sont d’origine agricole et directement reliées aux déjections porcines (sources CNRS).
  • Directive Cadre sur l’Eau datant d’octobre 2000 définissant des objectifs pour 2015.
  • En référence au projet Ulvans mené par Hervé Balusson, PDG de société Olmix.
  • Etude de marché de l’algue alimentaire du Programme BREIZH’ALG, Septembre 2012.
  • La station biologique de Roscoff implantée depuis 1872 est reconnue mondialement.