Le Facteur Humain absent de l’évaluation du risque par les compagnies aériennes

L’Association Internationale du Transport Aérien (IATA) vient d’annoncer que 2012 est devenue l’année la plus sûre de l’histoire du transport aérien avec un taux d’accident à 0,2, soit un accident d’appareil de fabrication occidentale pour cinq millions de vols, contre 0,37 en 2011. En parallèle, l’agence indépendante suisse de notation du transport aérien (ATRA) se présente comme la référence dans le domaine du Risk Assessment en diffusant pour la deuxième fois sa « liste blanche » : un classement des 10 compagnies aériennes les plus sûres sous une approche « originale et scientifique » prenant en compte 15 critères comme les résultats financiers, le nombre d’équipages ou l’âge moyen des appareils en service.
Cette démarche constructive apparaît réconfortante dans un environnement anxiogène où l’accidentologie aérienne gagne régulièrement en sensibilité : elle dépasse à juste titre la simple activité d’observation. Toutefois, en ne prenant en compte que les 92 plus grandes compagnies et en relativisant les bilans dans son analyse prospective (présence d’Air France au top 10 de son classement 2011 sur les données 2009), l’approche choisie par ATRA peut susciter quelques interrogations…
Cette méthode scientifique de data mining appliquée à d’autre secteurs est-elle transposable au secteur aérien? Pour quelles raisons les compagnies du top 10 ne font-elles pas échos de cette référence flatteuse ? S’attacher à évaluer uniquement « l’enveloppe » systémique d’une compagnie pour en déduire une « vulnérabilité  potentielle» ne créé t’il pas un écran de fumée sur le cœur du système?
La vision du General Manager d’ATRA Ariel Beresniak est à ce sujet très claire et quelque peu contradictoire: « You raise a very important point about the impact of human factors. As you can imagine this criteria is very difficult to handle (…). We consider that a safe environment profil would allow pilots to handle more adequately any kind of human factors, whatever their experience, training or ability to react in stressful situation … » (Interview du 07 mars 2013).
C’est dans ce contexte que certains s’étonnent de l’absence du top 10  des compagnies du Moyen Orient comme Emirates, Etihad ou les « majors » asiatiques. Dans un secteur stratégique réputé parmi les plus concurrentiels, l’absence d’intégration dans le système d’évaluation d’informations sur les Ressources Humaines et le Facteurs Humains (FH) peut soulever un minimum d’interrogations quand on sait qu’ils sont mis en cause dans près de 80% des cas d’accidents. Cette prise en compte de l’humain viendrait inéluctablement bouleverser la démarche scientifique en proposant une cotation tendancielle plus qu’un classement.
La prise en compte du Facteur Humain débute aux Etats-Unis en 1981 au sein de la United Airlines. Les formations dédiées au Cockpit Ressource Management (CRM) sont imposées dès 1986 par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) révolutionnant les relations interpersonnelles au sein des compagnies aériennes. La fiabilisation technique mais aussi l’arrivée des règlementations et standardisations ont par la suite permis d’atteindre un niveau inégalé en terme de sécurité malgré une défiance persistance des passagers.
La démocratisation du transport aérien a changé nos rapports à l’espace sans jamais remettre en question les clés fondamentales de la sécurité. Elles sont autant dans la conscience d’une situation que dans le comportement et la capacité à installer une synergie entre les différentes parties prenantes. Cette industrie du transport aérien s’est ainsi développée à un rythme supérieur à celui de la croissance économique mondiale, entrainant une situation de surchauffe et de cost-killing au profit des passagers.

Quel impact sur le Facteur Humain?
Ni plus ni moins qu’une diversification culturelle, une compression des formations, une augmentation de la distance hiérarchique entre les membres d’équipages,  une automatisation des cockpits, une précarisation des contrats. Jim McAuslan, secrétaire général de la British Airline Pilots Association est très critique : « Ce nouveau contrat, après remboursement des emprunts (…) leur laissera en poche moins que ce qu’ils auraient gagné dans un bar ». Autant d’éléments qui amènent à s’interroger sur les perspectives les plus optimistes concernant la sécurité aérienne. Une diminution des occurrences de panne ne signifie pas pour autant une réduction du risque. Quand une série d’accidents suffit à provoquer la disparition d’une compagnie, il apparaît légitime de dépasser la simple lecture « environnementale » d’indicateurs techniques. La perspective d’une chute de la sécurité aérienne serait dommageable à l’ensemble des parties prenantes et la faille informationnelle injustifiable au vu de la connaissance actuelle des fondamentaux en la matière.
Ainsi, la réalité d’une « culture de sécurité » pourrait être initiée au travers d’une grille innovante basée sur le principe d’une surveillance des flux alloués aux différentes ressources. Dans un contexte qui se complexifie, l’approche systémique de la sécurité est un luxe inatteignable qui a le mérite de souligner une « myopie » consensuelle et arrangeante dans l’acte de surveillance des compagnies aériennes.
Dans cette société de l’information où la transparence s’impose et les compagnies d’assurance rentrent en guerre, il est fort à parier que les voyageurs et le marché d’assurance souhaitent un jour en connaître un peu plus sur le sujet.