La Radio Numérique Terrestre (RNT), ça ne vous dit rien ? Pourtant son lancement était inscrit dans la « loi de modernisation de la diffusion » datée de 2007. Pourtant elle devait offrir une meilleure couverture sur le territoire, de nouvelles radios, une amélioration du son, la possibilité d'avoir des données associées (titre de l'auteur d'une chanson, sa photo, jeux...) et de réécouter une émission.
Mais, à l’inverse de sa grande sœur, la TNT qui a connu un succès immédiat, la RNT s’est transformée au fil des années en véritable serpent de mer audiovisuel.
Le projet souffre de trois handicaps originels : le choix de la norme de diffusion, le modèle économique et la mobilisation des pouvoirs publics. Autant de failles que les grands groupes privés en particulier vont exploiter pour retarder, voire empêcher la mise en place de la RNT. Avec pour unique objectif de bloquer l’arrivée de nouveaux concurrents sur un marché qu’ils dominent depuis 25 ans. A ce jour, l’avenir de la RNT reste plus qu’incertain.
Comment les radios privées se sont d’abord emparées du gâteau
Dans l’après 2e guerre mondiale, la radio française renait sous le monopole de l’Etat qui interdit toute autre diffusion privée à partir du territoire national.Les radios commerciales émergentes ne s’en laissent pas conter et profitent du règne des grandes ondes - ou bande AM - pour contourner la loi en diffusant leurs programmes depuis les pays limitrophes (Luxembourg pour RTL, Monte-Carlo pour RMC, Allemagne pour Europe 1).
Avec les années 1970, les mutations sociétales s’emparent du petit monde de la radio. Le mouvement des « radios libres » s’est lancé depuis l’Italie et l’Angleterre, revendiquant la liberté d’expression et la fin des monopoles d’Etat. A partir de 1978 en France, les radios clandestines arrivent à se multiplier sur l’ensemble du territoire, malgré les tentatives de brouillage ou d’interdiction du gouvernement Giscardien. Elles se montrent résolument hostiles à tout financement publicitaire et diffusent localement en ondes courtes - ou bande FM - faisant naitre un réservoir d'auditeurs inconditionnels.
Mais en 1981, l’espoir soulevé par l’arrivée du nouveau pouvoir est de courte durée. En effet, si les socialistes ont soutenu le mouvement pendant la campagne électorale, l’essor anarchique des radios libres qui pourrait être manipulé par l’extrême droite voire la droite, désormais dans l’opposition, est finalement jugé avec circonspection.
A cette époque, les logiques d’influence sont déjà de mise et l’ouverture du marché de la bande FM aiguise l’intérêt des groupes privés. Officiellement pour « des raisons techniques et de confort d’écoute », l’Etat décide la mise en place d’un cadre légal strict et d’une autorité de régulation (ancêtre du CSA) par le biais de la loi de « libéralisation des ondes ». Favorisant ainsi la mutation de la radio jusque dans sa forme actuelle : celle d’un véritable marché concurrentiel majoritairement dominé par les radios commerciales et ne laissant que les miettes aux stations libres, indépendantes ou associatives. 25 ans plus tard, dans un contexte de saturation de la bande FM, l’arrivée de la Radio Numérique Terrestre allait-elle s’avérer une opportunité de rebattre les cartes ?
Le CSA tente de mettre la Radio Numérique Terrestre en orbite
Sur le papier, la RNT ne manque pas d’atouts : élargissement de la couverture du territoire et de l’offre pour les auditeurs, en particulier en régions, amélioration de la qualité d’écoute, plus de possibilités dont l’enregistrement et le retour en arrière, accès à des données associées et à l’interactivité, affirmation de la diversité et de la pluralité des programmes et opérateurs. Elle permet par ailleurs de consolider et pérenniser la radio parmi les médias modernes.
Au départ, il semble se dégager un consensus au sein des parties prenantes, symbolisé par la création du « groupement pour la radio numérique » où se côtoient tout aussi bien les groupes privés, Radio France et le SIRTI, un syndicat regroupant 140 radios indépendantes locales, régionales et thématiques. Dans le cadre de sa mission d’encadrement, c‘est le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui a la charge de piloter le lancement de la RNT en France.Une norme de diffusion est retenue fin 2007 puis le CSA lance un appel à candidatures sur 19 zones géographiques avec 377 dossiers présentés. Début 2009, est rendue publique la liste des radios qui seront diffusées sur les zones de Paris, Marseille et Nice, avec un déploiement espéré dès2010. Sans se douter que s’amorce en réalité une longue période de confrontations, qui verra l’apparition de divergences marquées entre les acteurs concernés, tant sur les aspects concurrentiels, étatiques que sociétaux.
De l’art d’entrer en guerre … informationnelle
Au début du projet, les grandes radios ont joué le jeu de la RNT sans oublier néanmoins d’influencer les décisions du CSA en fonction de leurs intérêts. En premier lieu pour freiner l’arrivée sur le marché de nouveaux concurrents, en « suggérant » le choix d’une seule norme de diffusion quasiment franco-française (T-DMB), là où tous les autres pays européens en ont choisi une autre (DAB+). En second lieu pour laisser une place de choix à la publicité, en faisant des données associées à la diffusion de la radio une priorité. Certes, la RNT leur permettrait de couvrir jusqu’à 95% du territoire avec une fréquence unique, mais les grandes radios redoutent le spectre d’une rentabilité rendue difficilement accessible par une technologie dépassée. En gardant un œil attentif sur le développement de la concurrence : numérisation de la radio par les réseaux IP (Projet Fibre Optique National, 4G) ou sur d’autres vecteurs (TNT, satellite…). A l’inverse de la RNT, la réception via Internet (protocole IP) permet notamment d’identifier et de suivre l’auditeur à la trace. Ce ne manque pas d’intérêt pour donner de nouvelles perspectives à un marché publicitaire à la limite de la saturation.
Est-il besoin de rappeler ici que le modèle économique des radios commerciales repose exclusivement sur les recettes publicitaires ? Conscientes que le média radio n’a d’autre choix que de se moderniser mais refusant de voir lancée la RNT dans la précipitation, les grandes radios vont donc se mettre en ordre de marche puis orchestrer un plan d’attaques informationnelles. Les 4 grands groupes privés (RTL, Europe1, NRJ, NextRadioTV) et leurs régies publicitaires décident de s’unir et de renforcer leur influence autour d’un « bras armé », le Bureau de la Radio.
Par la voix de Michel Cacouault, ex. directeur de la régie publicitaire de RTL, le Bureau de la Radio exploite toutes les failles possibles : coûts de diffusion numérique élevés, absence de modèle économique, incertitudes sur le nombre de radios diffusées, … dans une période de crise conjoncturelle (économique) et de crise structurelle du marché de la radio avec une explosion de l'offre en supports numériques. Sans oublier l’accumulation de contre-performances de la RNT à l’étranger, où nulle part elle n’a réussi à s'imposer comme le modèle dominant.
Considérant le futur de la radio numérique redevenu aléatoire, les grandes radios vont jusqu’à mettre dans la balance l’avenir des nouveaux projets de radio qu’elles avaient imaginés pour la RNT, en diminuant de fait l’intérêt pour les auditeurs. Le rapport de force est installé.
Et de renvoyer la balle soit vers le CSA pour le choix d’une nouvelle norme moins coûteuse, qui obligerait une nouvelle consultation publique, soit vers le gouvernement pour la mise en place d’aides publiques à la numérisation. Tous les moyens sont bons pour repousser l’échéance !
Skyrock, un adversaire farouche
Acteur commercial de poids dans le paysage radiophonique, la radio Skyrock ne s’est pourtant pas liguée avec ses pairs au sein du Bureau de la Radio. Elle va d’emblée adopter une position radicale et mener des manœuvres de déstabilisation plus franches en demandant systématiquement l’abandon de la RNT, jugée mort-née.
Par voie de presse, Pierre Bellanger, président de Skyrock et Sylvain Anichini défendent becs et ongles le modèle d’une radio numérique sous IP, autrement dit via Internet, combinée à la réception satellite ; modèle selon eux déjà largement amorcé par la généralisation de l'internet haut débit et des Smartphones connectés à des dizaines de milliers de radios, non seulement françaises, mais aussi internationales. Ils n’hésitent pas à balayer du revers de la main les questions d’anonymat, de gratuité d’accès ou encore les coûts prohibitifs de bande passante en mobilité.
Quant à Sylvain Anichini, souvent présenté comme un ancien de Radio France, il n’en est pas moins membre du Comité Stratégique d'Onde Numérique, un bouquet de radios numériques payantes, sans publicité, financée par l'abonnement. Bouquet dont on peut légitimement se demander s’il apparait comme un complément ou un concurrent direct à la RNT gratuite.
Les alliés de la RNT peinent à se mettre en ordre de bataille
Très tôt, un acteur de poids s’est rallié à la cause, en la personne de Jean-Luc Hees, patron de Radio France, qui vante une diminution de 50% des coûts, à terme, par rapport à la diffusion analogique et décrit la RNT comme « le nirvana du service public », notamment car elle garantit l'anonymat de ceux qui l'écoutent. Les alliés de la RNT trouvent aussi un appui logique auprès des fabricants de récepteurs grand public et des opérateurs de diffusion, bien évidemment tous favorables, sous réserve que la question des normes de diffusion soit tranchée. Leur force de frappe reste néanmoins limitée dans le jeu d’acteurs en présence. De leur côté, les radios libres, associatives et indépendantes, d’abord réticentes, ont dénoncé le lobbying des grandes radios et la gestion « orientée » du CSA : choix technologiques restreints qui limitent le nombre de radios diffusées, absence de calendrier d’arrêt de la diffusion analogique, absence de financement de la RNT pour les plus petites radios, dont les indépendantes. Mais convaincues de leur intérêt pour la RNT « sous certaines conditions », elles tentent de contre-attaquer en finançant plusieurs expérimentations, notamment pour démontrer que la radio numérique est aussi accessible avec la norme non-propriétaire DAB+. Par le biais de leurs syndicats (SNRL, CNRA et SIRTI) ou de l’Association pour la Radio Numérique, elles distillent régulièrement communiqués de presse et lettres ouvertes aux ministères de tutelle pour faire pression. Mais les syndicats, qui souhaitent tous une mise en place rapide de la RNT, ne sont pour autant pas unanimes sur les questions de normes de diffusion et des aides publiques. Ce qui a l’inconvénient de parasiter leur message et la force de leurs attaques.
Le gouvernement Fillon joue la montre… et le jeu des « gros »
Tenaillé entre la crise économique et l’actualité, de même qu’acculé dans une double impasse budgétaire et sécuritaire, le gouvernement apparaît peu enclin à débloquer des aides publiques complémentaires ou voir se développer les radios communautaires et autres radios de banlieue. La tentation de l’immobilisme au sujet de la RNT est grande. En 2009, le Premier Ministre commande deux rapports : l'un à Marc Tessier, ancien Président de France Télévisions, sur la faisabilité du projet et l'autre au député Emmanuel Hamelin, inspecteur général des affaires culturelles, sur son financement. Leurs conclusions divergent : le rapport Tessier est très négatif à l’égard de la RNT, quand le rapport Hamelin se montre favorable, invoquant l’avenir des radios associatives et des coûts d’implantation moindres.
Il n’est pas anodin de rappeler que Marc Tessier est nommé, quelques mois après la sortie de son rapport, membre du conseil de surveillance de RTL. François Fillon se résout à commander une troisième étude sur l'avenir de la radio numérique à David Kessler, ancien directeur de France Culture. Le rapport, rendu public un an plus tard, en mai 2011, estime que toutes les conditions ne sont pas réunies d'un point de vue économique pour permettre le déploiement à grande échelle de la Radio Numérique Terrestre et recommande un moratoire de 2 ou 3 ans, en attendant de nouvelles études et de nouveaux tests. Il invite par ailleurs le CSA à mettre en place un observatoire des expériences étrangères et à réfléchir à la question des normes de diffusion ainsi qu’aux autres formes de numérisation du média radio. Si ce n’est un enterrement, c’est un rude coup d’arrêt pour tous les alliés de la RNT. Le lobbying du Bureau de la Radio a fonctionné à plein et c’est une victoire des grands groupes privés, à l’origine de cette idée de moratoire.
Le CSA décide (enfin) de passer à l’offensive
Avec l’année 2012, l’échiquier étatique risque de bouger et Michel Boyon, en fin de mandature à la présidence du CSA, avoue être exaspéré par « les réactions de ces grands groupes qui se déclarent contre la RNT en France, mais pour hors des frontières », en particulier quand il s’agit d’y gagner des marchés (en Belgique notamment). Le CSA décide de passer outre la volonté de blocage du gouvernement. D’une part, il exhorte le Ministre de la Culture à donner son aval à l’ajout de la norme DAB+. D’autre part, il relance un appel à candidatures pour la RNT sur Paris, Marseille et Nice, avec l'objectif d'octroyer les fréquences dans l’année. Considérant que plus le dossier sera avancé, moins il sera facile de faire marche arrière. Face à cette clarification du CSA, la guerre de l’information se déporte plus directement entre les grandes radios et les autres. A mesure que la probabilité de lancement se rapproche, les attaques s’intensifient et les positions se radicalisent. Le Bureau de la Radio menace de ne pas répondre à l'appel à candidatures du CSA et demande de sursoir une nouvelle fois le projet pour statuer. Les petites radios, par la voix du SIRTI, leur rétorquent que la RNT pourra très bien se faire sans eux, permettant même ainsi l’arrivée de nouvelles radios « vous ne voulez pas de la RNT, n'y allez pas ! ». Les Groupes Lagardère, Next Radio TV, NRJ et RTL finissent par mettre leur menace à exécution, et annoncent qu’ils envisagent un recours auprès du Conseil d'Etat pour bloquer le lancement de la RNT. En l’absence des grandes radios, le projet est donc relancé. Les radios libres, associatives et indépendantes pensent tenir leur revanche.
Le coup fatal porté par le gouvernement Ayrault
Mais l’histoire n’est sans doute qu’un éternel recommencement, et comme en 1981, les espoirs des « petits » vont rapidement être douchés pour le nouveau pouvoir socialiste. Invoquant un contexte économique et technologique incertain, le gouvernement reprend à son compte les arguments du Bureau de la Radio et va mettre KO la Radio Numérique Terrestre en trois temps. Tout d’abord, dans le cadre de l'appel à candidatures du CSA pour la RNT, en ne préemptant pas de fréquences pour Radio France et RFI. Puis, par le biais de la Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles (DGMIC) en déclarant que les radios associatives n’obtiendront pas d’aides à la diffusion pour être présentes sur la RNT. Enfin, par la publication de l’étude de la députée Martine Martinel, rapporteur du budget pour les crédits de l'audiovisuel public, dans laquelle elle égratigne le CSA et décrit la RNT comme un projet relancé dans des conditions qui ne sauraient garantir sa réussite, quirenforce les interrogations relatives au succès économique potentiel de la radio numérique terrestre à court terme. N’en jetez plus. Ironie de l’histoire, c’est Jean-Marc Ayrault qui torpille le projet, alors qu’ex. Député-maire de Nantes, l'une des villes où avait été testée la RNT, il avait demandé à l'ancien Ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, la possibilité d'utiliser la norme DAB+ et déclaré qu'il voulait s'occuper du problème du financement des radios associatives sur la RNT.
Quel avenir pour la RNT ?
La Radio Numérique Terrestre n’est pas tout à fait morte. En janvier 2013, le CSA a publié la liste des stations autorisées à émettre en RNT sur les zones de Paris, Marseille et Nice, pour un lancement espéré en septembre. En renonçant (temporairement ?) à la RNT, les grandes radios lui ont-elles offert un avenir, favorisant l’apparition de nouveaux projets ? Si la question des normes de diffusion est enfin réglée, il n’en demeure pas moins que le modèle économique reste à trouver et que la mobilisation des pouvoirs publics est en berne. Alors qu’il serait essentiel de donner de la visibilité aux acteurs concernés : fixer une date d’arrêt de la diffusion analogique (AM/FM), imposer que les récepteurs radio soient commercialisés avec l’option RNT, …
Mais, à l’inverse de sa grande sœur, la TNT qui a connu un succès immédiat, la RNT s’est transformée au fil des années en véritable serpent de mer audiovisuel.
Le projet souffre de trois handicaps originels : le choix de la norme de diffusion, le modèle économique et la mobilisation des pouvoirs publics. Autant de failles que les grands groupes privés en particulier vont exploiter pour retarder, voire empêcher la mise en place de la RNT. Avec pour unique objectif de bloquer l’arrivée de nouveaux concurrents sur un marché qu’ils dominent depuis 25 ans. A ce jour, l’avenir de la RNT reste plus qu’incertain.
Comment les radios privées se sont d’abord emparées du gâteau
Dans l’après 2e guerre mondiale, la radio française renait sous le monopole de l’Etat qui interdit toute autre diffusion privée à partir du territoire national.Les radios commerciales émergentes ne s’en laissent pas conter et profitent du règne des grandes ondes - ou bande AM - pour contourner la loi en diffusant leurs programmes depuis les pays limitrophes (Luxembourg pour RTL, Monte-Carlo pour RMC, Allemagne pour Europe 1).
Avec les années 1970, les mutations sociétales s’emparent du petit monde de la radio. Le mouvement des « radios libres » s’est lancé depuis l’Italie et l’Angleterre, revendiquant la liberté d’expression et la fin des monopoles d’Etat. A partir de 1978 en France, les radios clandestines arrivent à se multiplier sur l’ensemble du territoire, malgré les tentatives de brouillage ou d’interdiction du gouvernement Giscardien. Elles se montrent résolument hostiles à tout financement publicitaire et diffusent localement en ondes courtes - ou bande FM - faisant naitre un réservoir d'auditeurs inconditionnels.
Mais en 1981, l’espoir soulevé par l’arrivée du nouveau pouvoir est de courte durée. En effet, si les socialistes ont soutenu le mouvement pendant la campagne électorale, l’essor anarchique des radios libres qui pourrait être manipulé par l’extrême droite voire la droite, désormais dans l’opposition, est finalement jugé avec circonspection.
A cette époque, les logiques d’influence sont déjà de mise et l’ouverture du marché de la bande FM aiguise l’intérêt des groupes privés. Officiellement pour « des raisons techniques et de confort d’écoute », l’Etat décide la mise en place d’un cadre légal strict et d’une autorité de régulation (ancêtre du CSA) par le biais de la loi de « libéralisation des ondes ». Favorisant ainsi la mutation de la radio jusque dans sa forme actuelle : celle d’un véritable marché concurrentiel majoritairement dominé par les radios commerciales et ne laissant que les miettes aux stations libres, indépendantes ou associatives. 25 ans plus tard, dans un contexte de saturation de la bande FM, l’arrivée de la Radio Numérique Terrestre allait-elle s’avérer une opportunité de rebattre les cartes ?
Le CSA tente de mettre la Radio Numérique Terrestre en orbite
Sur le papier, la RNT ne manque pas d’atouts : élargissement de la couverture du territoire et de l’offre pour les auditeurs, en particulier en régions, amélioration de la qualité d’écoute, plus de possibilités dont l’enregistrement et le retour en arrière, accès à des données associées et à l’interactivité, affirmation de la diversité et de la pluralité des programmes et opérateurs. Elle permet par ailleurs de consolider et pérenniser la radio parmi les médias modernes.
Au départ, il semble se dégager un consensus au sein des parties prenantes, symbolisé par la création du « groupement pour la radio numérique » où se côtoient tout aussi bien les groupes privés, Radio France et le SIRTI, un syndicat regroupant 140 radios indépendantes locales, régionales et thématiques. Dans le cadre de sa mission d’encadrement, c‘est le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui a la charge de piloter le lancement de la RNT en France.Une norme de diffusion est retenue fin 2007 puis le CSA lance un appel à candidatures sur 19 zones géographiques avec 377 dossiers présentés. Début 2009, est rendue publique la liste des radios qui seront diffusées sur les zones de Paris, Marseille et Nice, avec un déploiement espéré dès2010. Sans se douter que s’amorce en réalité une longue période de confrontations, qui verra l’apparition de divergences marquées entre les acteurs concernés, tant sur les aspects concurrentiels, étatiques que sociétaux.
De l’art d’entrer en guerre … informationnelle
Au début du projet, les grandes radios ont joué le jeu de la RNT sans oublier néanmoins d’influencer les décisions du CSA en fonction de leurs intérêts. En premier lieu pour freiner l’arrivée sur le marché de nouveaux concurrents, en « suggérant » le choix d’une seule norme de diffusion quasiment franco-française (T-DMB), là où tous les autres pays européens en ont choisi une autre (DAB+). En second lieu pour laisser une place de choix à la publicité, en faisant des données associées à la diffusion de la radio une priorité. Certes, la RNT leur permettrait de couvrir jusqu’à 95% du territoire avec une fréquence unique, mais les grandes radios redoutent le spectre d’une rentabilité rendue difficilement accessible par une technologie dépassée. En gardant un œil attentif sur le développement de la concurrence : numérisation de la radio par les réseaux IP (Projet Fibre Optique National, 4G) ou sur d’autres vecteurs (TNT, satellite…). A l’inverse de la RNT, la réception via Internet (protocole IP) permet notamment d’identifier et de suivre l’auditeur à la trace. Ce ne manque pas d’intérêt pour donner de nouvelles perspectives à un marché publicitaire à la limite de la saturation.
Est-il besoin de rappeler ici que le modèle économique des radios commerciales repose exclusivement sur les recettes publicitaires ? Conscientes que le média radio n’a d’autre choix que de se moderniser mais refusant de voir lancée la RNT dans la précipitation, les grandes radios vont donc se mettre en ordre de marche puis orchestrer un plan d’attaques informationnelles. Les 4 grands groupes privés (RTL, Europe1, NRJ, NextRadioTV) et leurs régies publicitaires décident de s’unir et de renforcer leur influence autour d’un « bras armé », le Bureau de la Radio.
Par la voix de Michel Cacouault, ex. directeur de la régie publicitaire de RTL, le Bureau de la Radio exploite toutes les failles possibles : coûts de diffusion numérique élevés, absence de modèle économique, incertitudes sur le nombre de radios diffusées, … dans une période de crise conjoncturelle (économique) et de crise structurelle du marché de la radio avec une explosion de l'offre en supports numériques. Sans oublier l’accumulation de contre-performances de la RNT à l’étranger, où nulle part elle n’a réussi à s'imposer comme le modèle dominant.
Considérant le futur de la radio numérique redevenu aléatoire, les grandes radios vont jusqu’à mettre dans la balance l’avenir des nouveaux projets de radio qu’elles avaient imaginés pour la RNT, en diminuant de fait l’intérêt pour les auditeurs. Le rapport de force est installé.
Et de renvoyer la balle soit vers le CSA pour le choix d’une nouvelle norme moins coûteuse, qui obligerait une nouvelle consultation publique, soit vers le gouvernement pour la mise en place d’aides publiques à la numérisation. Tous les moyens sont bons pour repousser l’échéance !
Skyrock, un adversaire farouche
Acteur commercial de poids dans le paysage radiophonique, la radio Skyrock ne s’est pourtant pas liguée avec ses pairs au sein du Bureau de la Radio. Elle va d’emblée adopter une position radicale et mener des manœuvres de déstabilisation plus franches en demandant systématiquement l’abandon de la RNT, jugée mort-née.
Par voie de presse, Pierre Bellanger, président de Skyrock et Sylvain Anichini défendent becs et ongles le modèle d’une radio numérique sous IP, autrement dit via Internet, combinée à la réception satellite ; modèle selon eux déjà largement amorcé par la généralisation de l'internet haut débit et des Smartphones connectés à des dizaines de milliers de radios, non seulement françaises, mais aussi internationales. Ils n’hésitent pas à balayer du revers de la main les questions d’anonymat, de gratuité d’accès ou encore les coûts prohibitifs de bande passante en mobilité.
Quant à Sylvain Anichini, souvent présenté comme un ancien de Radio France, il n’en est pas moins membre du Comité Stratégique d'Onde Numérique, un bouquet de radios numériques payantes, sans publicité, financée par l'abonnement. Bouquet dont on peut légitimement se demander s’il apparait comme un complément ou un concurrent direct à la RNT gratuite.
Les alliés de la RNT peinent à se mettre en ordre de bataille
Très tôt, un acteur de poids s’est rallié à la cause, en la personne de Jean-Luc Hees, patron de Radio France, qui vante une diminution de 50% des coûts, à terme, par rapport à la diffusion analogique et décrit la RNT comme « le nirvana du service public », notamment car elle garantit l'anonymat de ceux qui l'écoutent. Les alliés de la RNT trouvent aussi un appui logique auprès des fabricants de récepteurs grand public et des opérateurs de diffusion, bien évidemment tous favorables, sous réserve que la question des normes de diffusion soit tranchée. Leur force de frappe reste néanmoins limitée dans le jeu d’acteurs en présence. De leur côté, les radios libres, associatives et indépendantes, d’abord réticentes, ont dénoncé le lobbying des grandes radios et la gestion « orientée » du CSA : choix technologiques restreints qui limitent le nombre de radios diffusées, absence de calendrier d’arrêt de la diffusion analogique, absence de financement de la RNT pour les plus petites radios, dont les indépendantes. Mais convaincues de leur intérêt pour la RNT « sous certaines conditions », elles tentent de contre-attaquer en finançant plusieurs expérimentations, notamment pour démontrer que la radio numérique est aussi accessible avec la norme non-propriétaire DAB+. Par le biais de leurs syndicats (SNRL, CNRA et SIRTI) ou de l’Association pour la Radio Numérique, elles distillent régulièrement communiqués de presse et lettres ouvertes aux ministères de tutelle pour faire pression. Mais les syndicats, qui souhaitent tous une mise en place rapide de la RNT, ne sont pour autant pas unanimes sur les questions de normes de diffusion et des aides publiques. Ce qui a l’inconvénient de parasiter leur message et la force de leurs attaques.
Le gouvernement Fillon joue la montre… et le jeu des « gros »
Tenaillé entre la crise économique et l’actualité, de même qu’acculé dans une double impasse budgétaire et sécuritaire, le gouvernement apparaît peu enclin à débloquer des aides publiques complémentaires ou voir se développer les radios communautaires et autres radios de banlieue. La tentation de l’immobilisme au sujet de la RNT est grande. En 2009, le Premier Ministre commande deux rapports : l'un à Marc Tessier, ancien Président de France Télévisions, sur la faisabilité du projet et l'autre au député Emmanuel Hamelin, inspecteur général des affaires culturelles, sur son financement. Leurs conclusions divergent : le rapport Tessier est très négatif à l’égard de la RNT, quand le rapport Hamelin se montre favorable, invoquant l’avenir des radios associatives et des coûts d’implantation moindres.
Il n’est pas anodin de rappeler que Marc Tessier est nommé, quelques mois après la sortie de son rapport, membre du conseil de surveillance de RTL. François Fillon se résout à commander une troisième étude sur l'avenir de la radio numérique à David Kessler, ancien directeur de France Culture. Le rapport, rendu public un an plus tard, en mai 2011, estime que toutes les conditions ne sont pas réunies d'un point de vue économique pour permettre le déploiement à grande échelle de la Radio Numérique Terrestre et recommande un moratoire de 2 ou 3 ans, en attendant de nouvelles études et de nouveaux tests. Il invite par ailleurs le CSA à mettre en place un observatoire des expériences étrangères et à réfléchir à la question des normes de diffusion ainsi qu’aux autres formes de numérisation du média radio. Si ce n’est un enterrement, c’est un rude coup d’arrêt pour tous les alliés de la RNT. Le lobbying du Bureau de la Radio a fonctionné à plein et c’est une victoire des grands groupes privés, à l’origine de cette idée de moratoire.
Le CSA décide (enfin) de passer à l’offensive
Avec l’année 2012, l’échiquier étatique risque de bouger et Michel Boyon, en fin de mandature à la présidence du CSA, avoue être exaspéré par « les réactions de ces grands groupes qui se déclarent contre la RNT en France, mais pour hors des frontières », en particulier quand il s’agit d’y gagner des marchés (en Belgique notamment). Le CSA décide de passer outre la volonté de blocage du gouvernement. D’une part, il exhorte le Ministre de la Culture à donner son aval à l’ajout de la norme DAB+. D’autre part, il relance un appel à candidatures pour la RNT sur Paris, Marseille et Nice, avec l'objectif d'octroyer les fréquences dans l’année. Considérant que plus le dossier sera avancé, moins il sera facile de faire marche arrière. Face à cette clarification du CSA, la guerre de l’information se déporte plus directement entre les grandes radios et les autres. A mesure que la probabilité de lancement se rapproche, les attaques s’intensifient et les positions se radicalisent. Le Bureau de la Radio menace de ne pas répondre à l'appel à candidatures du CSA et demande de sursoir une nouvelle fois le projet pour statuer. Les petites radios, par la voix du SIRTI, leur rétorquent que la RNT pourra très bien se faire sans eux, permettant même ainsi l’arrivée de nouvelles radios « vous ne voulez pas de la RNT, n'y allez pas ! ». Les Groupes Lagardère, Next Radio TV, NRJ et RTL finissent par mettre leur menace à exécution, et annoncent qu’ils envisagent un recours auprès du Conseil d'Etat pour bloquer le lancement de la RNT. En l’absence des grandes radios, le projet est donc relancé. Les radios libres, associatives et indépendantes pensent tenir leur revanche.
Le coup fatal porté par le gouvernement Ayrault
Mais l’histoire n’est sans doute qu’un éternel recommencement, et comme en 1981, les espoirs des « petits » vont rapidement être douchés pour le nouveau pouvoir socialiste. Invoquant un contexte économique et technologique incertain, le gouvernement reprend à son compte les arguments du Bureau de la Radio et va mettre KO la Radio Numérique Terrestre en trois temps. Tout d’abord, dans le cadre de l'appel à candidatures du CSA pour la RNT, en ne préemptant pas de fréquences pour Radio France et RFI. Puis, par le biais de la Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles (DGMIC) en déclarant que les radios associatives n’obtiendront pas d’aides à la diffusion pour être présentes sur la RNT. Enfin, par la publication de l’étude de la députée Martine Martinel, rapporteur du budget pour les crédits de l'audiovisuel public, dans laquelle elle égratigne le CSA et décrit la RNT comme un projet relancé dans des conditions qui ne sauraient garantir sa réussite, quirenforce les interrogations relatives au succès économique potentiel de la radio numérique terrestre à court terme. N’en jetez plus. Ironie de l’histoire, c’est Jean-Marc Ayrault qui torpille le projet, alors qu’ex. Député-maire de Nantes, l'une des villes où avait été testée la RNT, il avait demandé à l'ancien Ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, la possibilité d'utiliser la norme DAB+ et déclaré qu'il voulait s'occuper du problème du financement des radios associatives sur la RNT.
Quel avenir pour la RNT ?
La Radio Numérique Terrestre n’est pas tout à fait morte. En janvier 2013, le CSA a publié la liste des stations autorisées à émettre en RNT sur les zones de Paris, Marseille et Nice, pour un lancement espéré en septembre. En renonçant (temporairement ?) à la RNT, les grandes radios lui ont-elles offert un avenir, favorisant l’apparition de nouveaux projets ? Si la question des normes de diffusion est enfin réglée, il n’en demeure pas moins que le modèle économique reste à trouver et que la mobilisation des pouvoirs publics est en berne. Alors qu’il serait essentiel de donner de la visibilité aux acteurs concernés : fixer une date d’arrêt de la diffusion analogique (AM/FM), imposer que les récepteurs radio soient commercialisés avec l’option RNT, …