La pression informationnelle des lobbyistes anti-mercure contre les amalgames dentaires
Les dentistes font face depuis ces dernières années à des campagnes contre l’utilisation d’amalgames dentaires dans l’obturation de dents cariés, appelés communément plombages. La raison : la présence en petite quantité de mercure dans l’amalgame. Dénoncer l’utilisation d’amalgames dentaires par la présence de mercure suscite naturellement l’adhésion de l’opinion publique, des groupes écologistes et de courants de type naturopathes. Mais les enjeux de ces dénonciations se font-ils uniquement en vue de préserver la santé du patient ? Pas forcément : en substitut du plombage, il est proposé le composite dentaire qui détient du bisphénol A. Le composant bisphénol A est lui-même est un enjeu majeur pour des industriels influents.
Tandis que l’amalgame présente des avantages incomparables au niveau des points de contact et de l’action anti-carieuse, le composite a cet avantage non négligeable pour le patient de l’esthétique, de par sa couleur qui se confond avec la teinte des dents naturelles. Mais si l’un renferme du mercure, l’autre contient du bisphénol A. La caractéristique première de l’amalgame au mercure est sa grande étanchéité qui permet d’éviter les risques de récidive du processus carieux. Cela ne vaut pas pour le composite.
Les manœuvres informationnelles sur l’amalgame
La polémique sur le bisphénol A pour la santé humaine est tout aussi grave que celle ayant trait au mercure. Cette polémique sur le bisphénol A date du début des années 1990 et par là, le recul scientifique est moindre que sur les plombages dont la première pose fut effectuée dans les années 1880. Comme l’a dénoncé Frederick Von Saal professeur à l’université du Missouri à Columbia (Etats-Unis), au sujet du bisphénol A : « L’industrie est parvenue à remporter un extraordinaire succès en finançant et en faisant publier un petit nombre d’études qui ne trouvent jamais rien. Et ce petit nombre d’études parvient à fabriquer du doute et à créer de l’incertitude. Cela permet de créer de la controverse là où il n’y en a pas et, en définitive, cela permet de dire : avant de réglementer, il faut faire plus de recherche, nous avons besoin d’encore dix ans. »
Parallèlement à l’incertitude créée autour du bisphénol A et des perspectives ainsi engendrée pour l’industrie rattachée, l’amalgame dentaire est quant à lui chargé de tous les maux. Des études tentent de prouver sa toxicité et la relation de cause à effet avec des maladies aux causes incertaines, telles que la sclérose en plaque ou, plus récemment, la maladie d’Alzheimer, mais rien de très probant à en croire la vitesse à laquelle disparaissent ces thèses et apparaissent des nouvelles. Allant à l’encontre de ces études, le Service de Neurologie de l’Hôpital de la Croix Rousse de Lyon publie un rapport, en mars 2000, où il est rapporté que : « Au vu des connaissances actuelles, il n’existe pas d’arguments bien probants pour établir une corrélation entre la SEP et la présence d’amalgames dentaires. » (cf.note 1)
Un amalgame dentaire est composé d'une part, d'un alliage de différents métaux (argent, zinc, cuivre, etc. sauf du plomb) et d'une part, de mercure. Le mercure est dangereux, lorsqu'il est seul, sous l'état liquide (par exemple, dans les thermomètres), mais il devient inoffensif, lorsqu'il est amalgamé avec d'autres métaux. La présence de mercure dans le plombage est donc très faible. Le plus gros risque pour la santé humaine lié au mercure qui a été prouvé réside dans ses vapeurs et a lieu lors de la préparation de l’amalgame. Il s’agit donc essentiellement de risques pour le praticien et le personnel dentaire. D’où l’obligation de 2002 pour les dentistes d’utiliser des récupérateurs d’amalgames, lors de sa dépose, afin de récupérer toutes traces de mercure qui partiraient dans les eaux communes. La réglementation en cours ne laisse plus l’assistant dentaire préparer la poudre d’amalgame dans un pilon avec le mercure liquide, avant que celui-ci ne devienne inoffensif en se solidifiant très rapidement. Ce fut l’ancienne méthode de préparation. Le mercure se présente obligatoirement en capsule pré-dosée, pour éviter tout excès, et non plus « en vrac ». Son prix de revient est faible. Il varie entre 1 500 et 2 000 euros le kg, contrairement au prix de revient du composite qui est excessivement cher. Celui-ci est de 10 fois supérieur à celui de l’amalgame, avec un prix de revient au kg de 15 000 euros. La différence de prix n’est donc pas négligeable pour les laboratoires qui les fabriquent.
Pour l’heure, la réglementation qui prévaut suit la profession et la communauté scientifique dans sa grande majorité. Le 19 janvier 2013, après une semaine de négociations, les Nations Unies prévoient la diminution progressive de l’usage de l’amalgame dentaire, sans toutefois fixer d’échéance, et non son interdiction. Comme le souligne l’Ordre National des Chirurgiens-Dentistes, l’accord de Genève prône une approche fondée sur la réduction progressive de l’amalgame dentaire via trois leviers : la prévention, un effort accru concernant la recherche de matériaux alternatifs et, enfin, le recours à de bonnes pratiques de gestion des déchets. L’enjeu de demain réside dans la recherche de matériaux alternatifs que le Professeur Michel Goldberg (Inserm U 747 et université Paris Descartes) résume ainsi : « À ce jour, aucun travail scientifique sérieux n’a fait la démonstration de risques avérés. L’ensemble de la communauté scientifique mondiale « sérieuse » partage cette analyse. Cela étant, bien sûr, il y a de rares cas d’allergies et, naturellement, des problèmes environnementaux. La question des résidus issus de l’activité des cabinets dentaires reste ouverte. »
La résistance des dentistes américains
Outre-Atlantique, le débat a déjà avancé et les batailles entre instances dentaires et laboratoires, via des groupes interposés, font rage. En 2012, l’Association américaine dentaire (American Dental Association ou ADA), qui représente plus de 150 000 dentistes et qui est dans la posture de défendre la santé buccale des patients, dépense plus de 2,8 millions de dollars pour exercer du lobbying auprès de l’Agence américaine de protection de l’environnement (Environmental Protection Agency ou EPA), des membres du Congrès et autres agences fédérales pour limiter les restrictions sur l’utilisation de l’amalgame (cf. note 2). La position de l’Association américaine dentaire est aussi celle de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drug Administration ou FDA) rassemblant experts et consommateurs et dont le mandat est d’autoriser la commercialisation des médicaments sur le sol américain. De l’autre côté, le mouvement anti-mercure semble déjà avoir été enclenché dans le pays. L’Alliance mondiale pour la dentisterie sans mercure (Campaign for Mercury free dentistry) est le principal mouvement anti-mercure aux Etats-Unis. Ses pressions demeurant vaines jusqu’à maintenant, il entend dorénavant rattacher la question de l’utilisation du mercure dans l’amalgame aux problématiques environnementales afin d’obtenir une plus grande audience. Ce lobby a des antennes dans le monde, notamment en France via sa représentation « Non au mercure dentaire » basée à Saumur. Les universités américaines dont les unités de recherche sont en partie financées par les laboratoires font évoluer leurs propres pratiques. Par exemple, à l’école dentaire de l’université de New York, les étudiants ne posent plus d’amalgames dans les examens finaux. Cela reste toutefois enseigner au cours des années de formation, l’amalgame étant plus appropriés dans certains cas. Deux importants hôpitaux catholiques, à but non lucratif, livrent également des batailles, par procuration, contre les deux principaux fabricants américains d’amalgames dentaires. Les laboratoires qui fabriquent et commercialisent les composites ne sont pas des moindres. Les principaux sont 3M Minnesota Mining Company, Dentsply international, Ivoclar Vivadent et Heraeus. Ce sont tous des multinationales.
La Norvège, le Danemark, la Suède et la Finlande ont déjà interdit l’amalgame dentaire ou, du moins, restreignent son usage d’ici les cinq ans à venir. Les lobbys français anti-mercure mèneront-ils prochainement le débat sur le terrain des priorités environnementales, s’éloignant du prisme de la santé buccale des patients, afin de parvenir à l’interdiction totale ? La question reste posée.
Notes :
1) Sclérose en plaques. Faut-il enlever les amalgames dentaires ? Neurologies. Service de Neurologie, Hôpital de La Croix Rousse, Lyon, mars 2000.
2) Dental amalgam : anti-mercury movement pushes for shifts in dentistry, Elejalde-Ruiz et Frost, Chicago Tribune, 31 mars 2013.
Tandis que l’amalgame présente des avantages incomparables au niveau des points de contact et de l’action anti-carieuse, le composite a cet avantage non négligeable pour le patient de l’esthétique, de par sa couleur qui se confond avec la teinte des dents naturelles. Mais si l’un renferme du mercure, l’autre contient du bisphénol A. La caractéristique première de l’amalgame au mercure est sa grande étanchéité qui permet d’éviter les risques de récidive du processus carieux. Cela ne vaut pas pour le composite.
Les manœuvres informationnelles sur l’amalgame
La polémique sur le bisphénol A pour la santé humaine est tout aussi grave que celle ayant trait au mercure. Cette polémique sur le bisphénol A date du début des années 1990 et par là, le recul scientifique est moindre que sur les plombages dont la première pose fut effectuée dans les années 1880. Comme l’a dénoncé Frederick Von Saal professeur à l’université du Missouri à Columbia (Etats-Unis), au sujet du bisphénol A : « L’industrie est parvenue à remporter un extraordinaire succès en finançant et en faisant publier un petit nombre d’études qui ne trouvent jamais rien. Et ce petit nombre d’études parvient à fabriquer du doute et à créer de l’incertitude. Cela permet de créer de la controverse là où il n’y en a pas et, en définitive, cela permet de dire : avant de réglementer, il faut faire plus de recherche, nous avons besoin d’encore dix ans. »
Parallèlement à l’incertitude créée autour du bisphénol A et des perspectives ainsi engendrée pour l’industrie rattachée, l’amalgame dentaire est quant à lui chargé de tous les maux. Des études tentent de prouver sa toxicité et la relation de cause à effet avec des maladies aux causes incertaines, telles que la sclérose en plaque ou, plus récemment, la maladie d’Alzheimer, mais rien de très probant à en croire la vitesse à laquelle disparaissent ces thèses et apparaissent des nouvelles. Allant à l’encontre de ces études, le Service de Neurologie de l’Hôpital de la Croix Rousse de Lyon publie un rapport, en mars 2000, où il est rapporté que : « Au vu des connaissances actuelles, il n’existe pas d’arguments bien probants pour établir une corrélation entre la SEP et la présence d’amalgames dentaires. » (cf.note 1)
Un amalgame dentaire est composé d'une part, d'un alliage de différents métaux (argent, zinc, cuivre, etc. sauf du plomb) et d'une part, de mercure. Le mercure est dangereux, lorsqu'il est seul, sous l'état liquide (par exemple, dans les thermomètres), mais il devient inoffensif, lorsqu'il est amalgamé avec d'autres métaux. La présence de mercure dans le plombage est donc très faible. Le plus gros risque pour la santé humaine lié au mercure qui a été prouvé réside dans ses vapeurs et a lieu lors de la préparation de l’amalgame. Il s’agit donc essentiellement de risques pour le praticien et le personnel dentaire. D’où l’obligation de 2002 pour les dentistes d’utiliser des récupérateurs d’amalgames, lors de sa dépose, afin de récupérer toutes traces de mercure qui partiraient dans les eaux communes. La réglementation en cours ne laisse plus l’assistant dentaire préparer la poudre d’amalgame dans un pilon avec le mercure liquide, avant que celui-ci ne devienne inoffensif en se solidifiant très rapidement. Ce fut l’ancienne méthode de préparation. Le mercure se présente obligatoirement en capsule pré-dosée, pour éviter tout excès, et non plus « en vrac ». Son prix de revient est faible. Il varie entre 1 500 et 2 000 euros le kg, contrairement au prix de revient du composite qui est excessivement cher. Celui-ci est de 10 fois supérieur à celui de l’amalgame, avec un prix de revient au kg de 15 000 euros. La différence de prix n’est donc pas négligeable pour les laboratoires qui les fabriquent.
Pour l’heure, la réglementation qui prévaut suit la profession et la communauté scientifique dans sa grande majorité. Le 19 janvier 2013, après une semaine de négociations, les Nations Unies prévoient la diminution progressive de l’usage de l’amalgame dentaire, sans toutefois fixer d’échéance, et non son interdiction. Comme le souligne l’Ordre National des Chirurgiens-Dentistes, l’accord de Genève prône une approche fondée sur la réduction progressive de l’amalgame dentaire via trois leviers : la prévention, un effort accru concernant la recherche de matériaux alternatifs et, enfin, le recours à de bonnes pratiques de gestion des déchets. L’enjeu de demain réside dans la recherche de matériaux alternatifs que le Professeur Michel Goldberg (Inserm U 747 et université Paris Descartes) résume ainsi : « À ce jour, aucun travail scientifique sérieux n’a fait la démonstration de risques avérés. L’ensemble de la communauté scientifique mondiale « sérieuse » partage cette analyse. Cela étant, bien sûr, il y a de rares cas d’allergies et, naturellement, des problèmes environnementaux. La question des résidus issus de l’activité des cabinets dentaires reste ouverte. »
La résistance des dentistes américains
Outre-Atlantique, le débat a déjà avancé et les batailles entre instances dentaires et laboratoires, via des groupes interposés, font rage. En 2012, l’Association américaine dentaire (American Dental Association ou ADA), qui représente plus de 150 000 dentistes et qui est dans la posture de défendre la santé buccale des patients, dépense plus de 2,8 millions de dollars pour exercer du lobbying auprès de l’Agence américaine de protection de l’environnement (Environmental Protection Agency ou EPA), des membres du Congrès et autres agences fédérales pour limiter les restrictions sur l’utilisation de l’amalgame (cf. note 2). La position de l’Association américaine dentaire est aussi celle de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drug Administration ou FDA) rassemblant experts et consommateurs et dont le mandat est d’autoriser la commercialisation des médicaments sur le sol américain. De l’autre côté, le mouvement anti-mercure semble déjà avoir été enclenché dans le pays. L’Alliance mondiale pour la dentisterie sans mercure (Campaign for Mercury free dentistry) est le principal mouvement anti-mercure aux Etats-Unis. Ses pressions demeurant vaines jusqu’à maintenant, il entend dorénavant rattacher la question de l’utilisation du mercure dans l’amalgame aux problématiques environnementales afin d’obtenir une plus grande audience. Ce lobby a des antennes dans le monde, notamment en France via sa représentation « Non au mercure dentaire » basée à Saumur. Les universités américaines dont les unités de recherche sont en partie financées par les laboratoires font évoluer leurs propres pratiques. Par exemple, à l’école dentaire de l’université de New York, les étudiants ne posent plus d’amalgames dans les examens finaux. Cela reste toutefois enseigner au cours des années de formation, l’amalgame étant plus appropriés dans certains cas. Deux importants hôpitaux catholiques, à but non lucratif, livrent également des batailles, par procuration, contre les deux principaux fabricants américains d’amalgames dentaires. Les laboratoires qui fabriquent et commercialisent les composites ne sont pas des moindres. Les principaux sont 3M Minnesota Mining Company, Dentsply international, Ivoclar Vivadent et Heraeus. Ce sont tous des multinationales.
La Norvège, le Danemark, la Suède et la Finlande ont déjà interdit l’amalgame dentaire ou, du moins, restreignent son usage d’ici les cinq ans à venir. Les lobbys français anti-mercure mèneront-ils prochainement le débat sur le terrain des priorités environnementales, s’éloignant du prisme de la santé buccale des patients, afin de parvenir à l’interdiction totale ? La question reste posée.
Notes :
1) Sclérose en plaques. Faut-il enlever les amalgames dentaires ? Neurologies. Service de Neurologie, Hôpital de La Croix Rousse, Lyon, mars 2000.
2) Dental amalgam : anti-mercury movement pushes for shifts in dentistry, Elejalde-Ruiz et Frost, Chicago Tribune, 31 mars 2013.