Après l’annonce faite par Manuel Valls de ne pas sanctionner les automobilistes qui n’auraient pas d’éthylotests (cf. note ), les fabricants répondent par la menace de licenciements. En déplaçant l’échiquier de la prévention routière vers l’emploi et le « Made in France », ils cherchent à relancer le débat.
Le décret de la discorde
La sécurité routière est un sujet épineux, que chaque locataire de l’Elysée est obligé d’aborder à un moment ou à un autre de son mandat. Or depuis 2006, l’alcool est la première cause de mortalité routière et le taux de 30% ne régresse pas depuis 10 ans (versus 20% pour la vitesse). Et fait plus inquiétant encore, les 18-24 ans représentent 26% des morts dus à l’alcool (alors qu’ils ne représentent que 9% de la population française).
En mars 2012, le gouvernement Fillon publie un décret qui oblige tout conducteur de véhicule terrestre à moteur à posséder un éthylotest sous peine d’une amende de 11 euros. Cette mesure a pour vocation de développer une logique d’autocontrôle chez les conducteurs et de les inciter à vérifier leur alcoolémie au moment de prendre la route. L’entrée en vigueur est alors prévue au 1er juillet 2012.
Les fabricants d’éthylotests
Actuellement en France, seuls deux fabricants sont certifiés NF pour les éthylotests chimiques : Contralco, PME française, leader européen sur ce marché et Red Line Products, entreprise sud africaine dont les produits sont distribués par la société française Pilmex.
Cette mesure représente un énorme potentiel de croissance pour les fabricants d’éthylotests compte-tenu des 38 millions d’automobilistes en France (1 ou 2 euros l’éthylotest).
Les réactions des principales associations
A l’annonce du décret, l’Association 40 millions d’automobilistes s’est montrée plutôt satisfaite même si elle a émis certaines réserves quant à la réelle pédagogie d’une telle mesure jugée plus répressive que préventive.
La Ligue Contre la Violence Routière, avec à sa tête la présidente de l’association Mme Perrichon, dénonce, quant à elle, un manque de courage du gouvernement qui n’a pas osé s’attaquer au lobby de l’alcool. En effet, 80 % des accidents mortels liés à l'alcool ont lieu avec une alcoolémie supérieure à 1,2gr (l'équivalent de dix verres) ; le conducteur qui prend le volant n’a même pas besoin de souffler dans le « ballon » pour savoir qu’il n’est pas en état de conduire.
Pour la Ligue de Défense des Conducteurs, c’est une contrainte supplémentaire subie par tous les automobilistes. Elle dénonce également un manque de fiabilité des éthylotests : sensibilité aux variations thermiques (à conserver entre 10°C et 40°C), date de péremption (18 à 24 mois), contrefaçon.
Le début de la polémique
Cette mesure fait vite débat car certains y voient le signe d’une manipulation des industriels du secteur. La Presse et certains blogs commencent à parler du manque de partialité de certaines personnes ayant participé à la réflexion autour de ce décret.
En effet, en juillet 2011, l’association I-Test est créée pour développer la mise à disposition de systèmes de dépistages, de mesure et d’auto-dépistage de l’alcool et des drogues. Elle a des liens très étroits avec les fabricants d’éthylotests puisque M. Daniel Orgeval, salarié de Contralco, M. Bertrant Jermann, PDG d’Ethylo (société spécialisée dans les éthylotests électroniques et distribuant les éthylotests de Contralco) et Pierre Elefteriou, directeur général de Pelimex, y sont membres. Dès le deuxième semestre 2011, I-Test participe à la « Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière » de l’Assemblée Nationale et plus spécifiquement à une table ronde sur « Les addictions et la conduite ». Lors de leurs interventions, MM Orgeval et Jermann se présentent comme des défenseurs de la sécurité routière en proposant des solutions concrètes, non coûteuses pour l’Etat et rapidement applicables. Les conclusions de cette mission conduiront à la signature du décret.
Avec le changement de gouvernement en mai 2012, le contexte change. En novembre 2012, Manuel Valls décide de réactiver le Conseil National de la Sécurité Routière (CNSR) en nommant Armand Jung à sa tête. Le député du Bas-Rhin (PS), président de la table ronde de septembre 2011 sur « Les addictions et la conduite » ne trouve pas la mesure des éthylotests très efficace et semble vouloir orienter la réflexion sur le problème de la vitesse au volant. Il n’y a donc plus de raisons de sanctionner l’absence d’éthylotests dans les véhicules.
Prévention routière versus emploi
Dès le début des attaques, les fabricants d’éthylotests réagissent. En juin 2012, sur Europe 1, Daniel Orgeval assure agir dans l’intérêt des usagers et dans un souci de santé publique. Et pour asseoir sa crédibilité, il déplace judicieusement le débat sur le terrain de l’emploi en affirmant que ce décret permet à Contralco de garder la production d’éthylotests en France et de créer plus de 200 emplois (intérimaires/CDD).
Faisant écho aux mauvais résultats du chômage, le collectif des fabricants d’éthylotests continue à brandir la menace des licenciements car anticipant l’application du décret en juillet 2012, ils ont créé des emplois pour faire face à la demande. Pour illustrer les propos, les salariés de Contralco sont mis à contribution : en février 2012, un clip est posté sur internet dans lequel on montre l’outil de production français et la fierté du personnel de pouvoir contribuer à sauver des vies. Ils manifestent également devant la préfecture de l’Hérault pour avoir le soutien du préfet et des élus locaux.
Malgré toutes ces actions, Manuel Valls entérine la recommandation du CNSR et confirme qu’il n’y aura pas de sanctions pour l’absence d’éthylotests dans les véhicules. Ne s’estimant pas battu, Contralco en appelle au ministre du Redressement Productif et au Premier Ministre. Le Languedoc-Roussillon étant l’une des régions la plus touchée par le chômage, certains ministres peuvent se montrer sensibles aux arguments avancés par les fabricants d’éthylotests, surtout dans la perspective de devoir inverser la courbe du chômage pour cette fin d’année 2013.
Note :
Décret n° 2012-284 du 28 février 2012 relatif à la possession obligatoire d'un éthylotest par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur.
Le décret de la discorde
La sécurité routière est un sujet épineux, que chaque locataire de l’Elysée est obligé d’aborder à un moment ou à un autre de son mandat. Or depuis 2006, l’alcool est la première cause de mortalité routière et le taux de 30% ne régresse pas depuis 10 ans (versus 20% pour la vitesse). Et fait plus inquiétant encore, les 18-24 ans représentent 26% des morts dus à l’alcool (alors qu’ils ne représentent que 9% de la population française).
En mars 2012, le gouvernement Fillon publie un décret qui oblige tout conducteur de véhicule terrestre à moteur à posséder un éthylotest sous peine d’une amende de 11 euros. Cette mesure a pour vocation de développer une logique d’autocontrôle chez les conducteurs et de les inciter à vérifier leur alcoolémie au moment de prendre la route. L’entrée en vigueur est alors prévue au 1er juillet 2012.
Les fabricants d’éthylotests
Actuellement en France, seuls deux fabricants sont certifiés NF pour les éthylotests chimiques : Contralco, PME française, leader européen sur ce marché et Red Line Products, entreprise sud africaine dont les produits sont distribués par la société française Pilmex.
Cette mesure représente un énorme potentiel de croissance pour les fabricants d’éthylotests compte-tenu des 38 millions d’automobilistes en France (1 ou 2 euros l’éthylotest).
Les réactions des principales associations
A l’annonce du décret, l’Association 40 millions d’automobilistes s’est montrée plutôt satisfaite même si elle a émis certaines réserves quant à la réelle pédagogie d’une telle mesure jugée plus répressive que préventive.
La Ligue Contre la Violence Routière, avec à sa tête la présidente de l’association Mme Perrichon, dénonce, quant à elle, un manque de courage du gouvernement qui n’a pas osé s’attaquer au lobby de l’alcool. En effet, 80 % des accidents mortels liés à l'alcool ont lieu avec une alcoolémie supérieure à 1,2gr (l'équivalent de dix verres) ; le conducteur qui prend le volant n’a même pas besoin de souffler dans le « ballon » pour savoir qu’il n’est pas en état de conduire.
Pour la Ligue de Défense des Conducteurs, c’est une contrainte supplémentaire subie par tous les automobilistes. Elle dénonce également un manque de fiabilité des éthylotests : sensibilité aux variations thermiques (à conserver entre 10°C et 40°C), date de péremption (18 à 24 mois), contrefaçon.
Le début de la polémique
Cette mesure fait vite débat car certains y voient le signe d’une manipulation des industriels du secteur. La Presse et certains blogs commencent à parler du manque de partialité de certaines personnes ayant participé à la réflexion autour de ce décret.
En effet, en juillet 2011, l’association I-Test est créée pour développer la mise à disposition de systèmes de dépistages, de mesure et d’auto-dépistage de l’alcool et des drogues. Elle a des liens très étroits avec les fabricants d’éthylotests puisque M. Daniel Orgeval, salarié de Contralco, M. Bertrant Jermann, PDG d’Ethylo (société spécialisée dans les éthylotests électroniques et distribuant les éthylotests de Contralco) et Pierre Elefteriou, directeur général de Pelimex, y sont membres. Dès le deuxième semestre 2011, I-Test participe à la « Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière » de l’Assemblée Nationale et plus spécifiquement à une table ronde sur « Les addictions et la conduite ». Lors de leurs interventions, MM Orgeval et Jermann se présentent comme des défenseurs de la sécurité routière en proposant des solutions concrètes, non coûteuses pour l’Etat et rapidement applicables. Les conclusions de cette mission conduiront à la signature du décret.
Avec le changement de gouvernement en mai 2012, le contexte change. En novembre 2012, Manuel Valls décide de réactiver le Conseil National de la Sécurité Routière (CNSR) en nommant Armand Jung à sa tête. Le député du Bas-Rhin (PS), président de la table ronde de septembre 2011 sur « Les addictions et la conduite » ne trouve pas la mesure des éthylotests très efficace et semble vouloir orienter la réflexion sur le problème de la vitesse au volant. Il n’y a donc plus de raisons de sanctionner l’absence d’éthylotests dans les véhicules.
Prévention routière versus emploi
Dès le début des attaques, les fabricants d’éthylotests réagissent. En juin 2012, sur Europe 1, Daniel Orgeval assure agir dans l’intérêt des usagers et dans un souci de santé publique. Et pour asseoir sa crédibilité, il déplace judicieusement le débat sur le terrain de l’emploi en affirmant que ce décret permet à Contralco de garder la production d’éthylotests en France et de créer plus de 200 emplois (intérimaires/CDD).
Faisant écho aux mauvais résultats du chômage, le collectif des fabricants d’éthylotests continue à brandir la menace des licenciements car anticipant l’application du décret en juillet 2012, ils ont créé des emplois pour faire face à la demande. Pour illustrer les propos, les salariés de Contralco sont mis à contribution : en février 2012, un clip est posté sur internet dans lequel on montre l’outil de production français et la fierté du personnel de pouvoir contribuer à sauver des vies. Ils manifestent également devant la préfecture de l’Hérault pour avoir le soutien du préfet et des élus locaux.
Malgré toutes ces actions, Manuel Valls entérine la recommandation du CNSR et confirme qu’il n’y aura pas de sanctions pour l’absence d’éthylotests dans les véhicules. Ne s’estimant pas battu, Contralco en appelle au ministre du Redressement Productif et au Premier Ministre. Le Languedoc-Roussillon étant l’une des régions la plus touchée par le chômage, certains ministres peuvent se montrer sensibles aux arguments avancés par les fabricants d’éthylotests, surtout dans la perspective de devoir inverser la courbe du chômage pour cette fin d’année 2013.
Note :
Décret n° 2012-284 du 28 février 2012 relatif à la possession obligatoire d'un éthylotest par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur.