Guerre de l’information sur l’utilisation d’un insecticide pour colza ou maïs

Depuis le 02 Juillet 2012 le produit phytosanitaire Cruiser OSM de Syngenta est interdit en France. C’est un enjeu économique en milliards d’euros remis en question sur fond de considérations écologiques et sanitaires. Cette remise en question s’étaye sur un soupçon controversé de nuisances pour des abeilles (désorientation et surmortalité de nombreuses espèces d’abeilles). C’est le bien-fondé d’un mal pour un bien soit une mortalité incontestable pour les abeilles provoquée par un progrès indéniable pour la productivité agricole.

Un conflit scientifique, sociétal, économique et politique
Le produit phytosanitaire Cruiser OSM de Syngenta qualifié de systémique ayant pour matière active le thiaméthoxam, essentiellement utilisé contre les insectes suceurs de sève pour  les semences de maïs et colza est très apprécié par les agriculteurs pour ses performances contre les pucerons et taupins. D’après les résultats d’une étude de la revue science de l’ANSES (Agence National de la Sécurité Sanitaire de l’Alimentation) le thiaméthoxam est retrouvé parfois à des taux significatifs dans le pollen qui conduirait à une désorientation et une surmortalité de nombreuses espèces d’abeilles. Syngenta réfute vivement cet avis de l’ANSES par la nature même des mesures de l’étude (quantité absorbable par les abeilles).
En 2007 l’ANSES émet un  avis favorable signé de son directeur Marc Mortureux « pour l’utilisation de mise sur le marché de la préparation cruiser OSR ». Dès 2008 de nombreuses associations et fédérations mettent en cause officiellement cet insecticide et cela porte ses fruits. Le 12/01/2008 le site de Greenpeace met en avant cette incohérence au sein même du gouvernement : « on est face à une hypocrisie fantastique. Le gouvernement se moque du monde ». Également en 2008 une pétition orchestrée par l’association FNE (France Nature Environnement) est lancée contre l’utilisation du Cruiser.
Le 09/12/2010 l’UNAF (Union Nationale de l’Apiculture Française) dénonce l’autorisation de l’ANSES comme arbitraire : «  le ministère de l’agriculture a inventé de toutes pièces un système d’autorisation » quant à l’utilisation du Cruiser sur maïs. Le 28 juin 2012 le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll annonce « je retire l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR sur le colza aujourd’hui » il s’appuie sur cette même étude de l’ANSES pour clôturer : « Donc je confirme l’interdiction ». Le 10 juillet 2012 Marc Mortureux envoie un courrier à Monsieur Patrick Dehaumont alors directeur général de l’alimentation (DGAL), stipulant que l’interdiction « d’utilisation sur le marché du CRUISER OSM ne nécessite pas de commentaire de l’agence » (ANSES). Bien que l’étude ait été réalisée par l’ANSES, ce n’est pas cette agence qui a pris la décision d’interdiction mais bien le ministre de l’agriculture.
Alors que le 29/06/2012 le ministre a retiré l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser en France et afin d’aller chercher l’appui d’un organe européen, l’Etat français « engage la procédure européenne afin que des mesures adaptées soient prises au niveau communautaire ». Le rapport de la commission européenne du 12 et 13 Juillet 2012 stipule (page 8 ) : « les Etats membres jugent qu’il est inapproprié d’employer de telles mesures. » Ils suggèrent d’attendre le rapport de l’EFSA (Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire) avant de prendre une décision. Les conclusions du rapport de l’EFSA de Janvier 2013 imputent aux produits phytosanitaires comportant les trois néonicotinoides : clothianide, imidaclopride et thiaméthoxam, un impact létal sur les abeilles. Ce rapport doit être voté en commission européenne. Cependant le moratoire de la commission européenne du 1 mars 2013 n’a pas abouti : 13 Etats dont la France ont voté pour l’interdiction, 9 ont voté contre et 5 se sont abstenus (Allemagne, Royaume Uni, Finlande, Bulgarie et Estonie). Les Etats sont à nouveau appelés à voter le Lundi 29 Avril 2013. Le positionnement de l’Allemagne et du Royaume Uni suffit à interdire en Europe l’utilisation des néonicotinoides incriminés… Quelques jours avant cette prise décisive de position les acteurs pour ou contre se livrent à une véritable bataille informationnelle. En Europe, trois firmes utilisent du néonicotinoide pour des insecticides : il s’agit des puissants groupes pharmaceutiques Syngenta le suisse et des allemands Bayer et Basf.

Les batailles informationnelles entre les acteurs s’emballent
Même si la solution repose aujourd’hui sur une décision politique, les « anti-néonicotinoides » lancent une campagne informationnelle visant à influencer les acteurs décisionnels européens.
Greenpeace publie un rapport en avril 2013 « Le déclin des abeilles : Analyse des facteurs qui mettent en péril les pollinisateurs et l’agriculture en Europe ». Le rapport nomme et incrimine les insecticides et fabricants (Bayer-Syngenta-Basf...). Le 17 avril 2013, des militants de Greenpeace escaladent le siège de Syngenta en Suisse avec une bannière de 20 mètres de haut et qui stipule : « Syngenta pesticides Kills-bees ». Des méthodes identiques sont utilisées par Greenpeace le 26 avril au siège de Bayer. Avec le double objectif d’influencer la ministre fédérale de l’agriculture (Allemande) Madame Aigner en passant par la pression de l’opinion publique. L’organisation cybermilitante AVAAZ appelle le 19 avril sur son site à signer une pétition « Europe : Bannir les tueurs d’abeilles ». Le CEO (Corporate Europe Observatery) publie le 11 avril 2013 un article visant à démontrer les méthodes agressives de lobbying de Syngenta. L’association des apiculteurs allemands DBIB (représenté par Deutscher Berufs) lance une pétition via le site change.org à destination toujours de Madame Aigner prise en étau entre les protecteurs des abeilles et les puissances industrielles.

La riposte des puissances industrielles
Pour les deux géants de l’agrochimie, Bayer et Syngenta, l’enjeu économique d’une interdiction des insecticides utilisant des néonicotinoides  se chiffre en milliard d’euros. Quelques années après la remise en question du bien-fondé des études de l’EFSA, les deux firmes se fédèrent pour contrer les attaques et donc une possible interdiction.
Syngenta répond à l’opération de Greenpeace du 17 avril 2013 par un communiqué : « la démonstration de Greenpeace sur le site de Rosental ne sauvera pas les abeilles ». La firme en profite pour énumérer les actions passées : « l’opération pollinisateur » il y a une dizaine d’années, puis la création du site plightofthebees.com. Les deux géants passent de la défensive à l’offensive avec la proposition récente du « Plan d’action pour la santé des Abeilles ». Ce projet vise à aider à débloquer l’impasse de l’UE sur la santé des abeilles, suite à l’échec d’un accord de la commission Européenne. Les firmes lancent une campagne de communication le 13 avril 2013 « les pollinisateurs et les pesticides jouent un rôle important à la ferme…tous deux aident à produire plus d’aliments par hectare ». En effet pour pallier la performance du Cruiser, les agriculteurs doivent compenser avec plusieurs passages d’insecticides foliaires pulvérisés.