Apple et Samsung, guerre des terminaux mobiles intelligents ou partage du monde ?

Tout le monde attendait sa première sortie fin février à l’occasion du Mobile World Congress de Barcelone, et c’est finalement sur le territoire de son principal concurrent Apple, que sortira dans les prochains jours le Galaxy S4, le dernier smartphone de la Galaxy Samsung.
Faut-il voir dans cette sortie programmée à New-York, le début d’une ultime bataille des 2 mastodontes du smartphone ? Une n-ième bataille qui va sans doute raviver un combat de longue date et dont le dernier écho dans les médias devait rassembler les 2 acteurs autour d’une « issue consensuelle, pour le bien des consommateurs et de la filière ». C’est ce que proposait en tout cas la juge fédérale Lucy Koh, dans un verdict rendu fin février (cf. news.cnet.com, « judge-orders-apple-samsung-to-trim-2014-patent-spat »), une trêve à laquelle seul Samsung semble aujourd’hui être ouvert.
Cette non-décision, répondant à une plainte d’Apple contre Samsung, s’ajoute à celle tout aussi récente de l’agence américaine de l’International Trade of Commerce (ITC),qui a préféré reporter la publication de son verdict concernant une plainte déposée par Samsung en juin 2011 et demandant d’interdire l’importation sur le sol américain d’i-phone fabriqués en Chine. Ces derniers faits ne font qu’illustrer la contradiction dans les décisions et les jugements rendus dans ces multiples batailles.

Une guerre des brevets ?
Rappel historique, tout a débuté aux Etats-Unis, par une première plainte en justice d’Apple, qui estimait que le smartphone Galaxy S et la tablette Galaxy Tab de Samsung copiaient à la fois le design et certaines fonctionnalités des iPhone et iPad, et qui demandait ainsi l’interdiction de vente de smartphones et tablettes sur le territoire américain. Apple poursuit ses demandes d’interdiction de vente auprès des juridictions asiatiques et européennes. Samsung réplique en multipliant les plaintes auprès de l’ITC, avec la dernière en date illustrant la sortie de l’I-phone 5, pour laquelle Samsung accuse Apple du viol de 8 brevets dont 2 sont considérés comme essentiels, car portant sur des technologies devenues des standards.
Aux quatre coins du monde, semble se dessiner du fait de l’incohérence des jugements rendus en faveur de l’un ou l’autre, un partage géographique du marché des smartphones entre les 2 opposants : Apple en Australie, au Royaume-Uni, au Japon…Samsung en Corée, en Chine…Une vingtaine d’affaires en cours, dans 10 pays, avec des issues différentes.
Et derrière cette guerre de brevets, se cache aussi une guerre d’image et de symboles : Samsung, c’est le fleuron de l’industrie sud-coréenne, avec un chiffre d'affaires colossal en 2009 de 150 milliards d'euros, soit environ le quart du PIB de la Corée du Sud ; « Apple, Think Different », qui se veut l’image de l’innovation américaine. Ironie de l’histoire, le jugement de la juge fédérale américaine Lucy Koh est aujourd’hui remis en question, pour ses liens avec certains industriels liés à Samsung, mais aussi parce qu’elle est symboliquement…américaine…d’origine sud-coréenne.
Pour autant, l’importance de ces mastodontes du secteur n’est pas que symbolique et géostratégique, elle est aussi financière, avec un Apple qui bat le record en août 2012 de la plus grande capitalisation boursière de l’histoire (622 milliards de dollars), contre un Samsung, dont le chiffre d’affaires s’élevait au 3ème trimestre 2012 à 7 500 Milliards de Wong (soit plus de 5 milliards d’euros), et qui peut voir son titre boursier s’effondrer de plus de 8% à l’annonce d’un jugement, comme ce fût le cas après celui de San José en août 2012.

Ou une guerre des modèles économiques ?
La guerre Apple et Samsung semble maintenant dépasser la sphère des attaques réciproques, et tend à s’étendre à l’ensemble des acteurs de la chaîne, du hardware (constructeurs et assembleurs) au software (éditeurs de logiciels et de systèmes d’exploitation) et aux usages (géants de l’Internet).
Citons en janvier 2012 le ralliement de Nokia à son adversaire Apple contre Samsung, sur ces questions de violation de brevets. Nokia et Apple pointent notamment l’ouverture d’une dérive des brevets, arguant que cela ferait courir un risque à tous les acteurs du high tech et risquerait aussi de détruire l'esprit d'innovation dans le domaine.
Notons par ailleurs les principaux rapprochements du secteur : l’accord de licence passé par Apple avec HTC fin 2012, le pacte anti-clonage passé avec Microsoft en août 2012, ou même plus tôt, le rachat par Google en août 2011 de Motorola et de son portefeuille de brevets (évalués à 12, 5 milliards de dollars).
Comble de l’histoire, Samsung reste malgré tout un acteur incontournable pour Apple, fournissant notamment à ce dernier les écrans LCD nécessaires à la fabrication de ses I-Phone 5 et de ses I-Pads. Dans ce contexte, il paraît difficile d’imaginer une volonté définitive de mise à mort de Samsung par Apple. Mais il semblerait bien que ce soit une guère de modèles économiques, liées en partie à une intégration de plus en plus poussée entre le « hardware » et le « software », et pour laquelle le droit et l’absence de normalisation internationaux ne sont pas encore disposés à répondre. Ajoutons à cela le poids que représentent ces acteurs sur la sphère financière, et leur importance sur le plan géopolitique.
A la logique « propriétaire d’Apple » s’oppose le modèle « intégré de Samsung », et le conflit entre ces deux acteurs ne fait qu’illustrer en toile de fond les oligopoles du marché des systèmes d’exploitation : IOS d’Apple, Androïd de Google et de Samsung, et Windows dont la version 8 est sortie en septembre 2012. Assisterons-nous alors à une bataille rangée, surfant sur un vide juridique et normatif international, et à laquelle s’inviteront désormais les 2 autres mastodontes de la filière : Microsoft et Google ? C’est ce que l’on pourrait penser, à en voir les discussions en cours entre les patrons d’Apple et de Google, ou l’œil regardant de Microsoft qui voit dans la victoire de Samsung une aubaine pour la sortie de son windows phone 8…Plus que la guerre des brevets, le partage du secteur autour de ces géants n’est-il pas le risque principal à l’uniformisation des produits, et à la destruction de l’esprit d’innovation, dont pourtant se targuerait Apple ?