Google a-t-il piégé François Hollande ?

Google aurait-il réussi l’escroquerie de ce début d’année, avec l’aide de l’IPG (1),  sur le dos du contribuable français ? Au terme de plusieurs mois de négociations avec le géant américain de l’internet, menées avec l’aide d’un médiateur du cabinet Mazars, Marc Schwartz, et de Nathalie Collin (2), présidente de l’association IPG, entourés des 6 lobbyistes de Google pour la France, un accord qualifié « d’historique » a été conclu au terme duquel Google s’engage à verser 60 millions d’euros dans un fond destiné à financer des projets de développement du numérique pour la presse d’information politique et générale.

Accord historique ou écran de fumée ?


Cet accord qualifié d’historique par le gouvernement est dénoncé par la Fédération des Agences de Presse comme un « écran de fumée qui ne règle en rien la question du partage de valeur sur le web. Pire, cet accord fait fi des droits des auteurs et des droits des agences de presse qui fournissent du contenu, texte et images à ces mêmes éditeurs. » (3). 
Google a manifestement mis toute son énergie pour éviter une Loi qui l’aurait contraint à verser une redevance sur ses revenus publicitaires, ou paiement au clic, principe défendu par les éditeurs français au départ, et retenu en Allemagne et en Suisse, puisque sans référencement gratuit des titres, pas de Google Actualités. De son côté, Philippe Martini, sénateur UMP, se déclare  « assez surpris que cet accord ait été signé comme si c'était un traité international, et au niveau du Président de la République. Surtout quand Eric Schmidt vient expliquer à l'Elysée ce qu'il fait pour le peuple français.(…). C'est quand même le même qui n'a cessé de revendiquer un modèle juridique et fiscal dont le principal effet est de diriger la quasi-totalité des produits de son groupe vers un paradis fiscal." (4)

Que recouvre réellement le volet commerciale de l'accord dont personne ne parle ?


Nathalie Collin indique que le volet commercial permettra aux titres qui le souhaitent « de commercialiser leurs inventaires publicitaires via Google. » Marc Schwartz ajoute que « cette partie est couverte par le secret des affaires puisque contrat privé, et est confidentielle (5).
Il s’agit d’un montant ridicule au regard des gains de Google et par rapport à ce qui a déjà été investi : 60 millions sur 3 ans, et après ? 60 millions au regard des 50 milliards de dollars de CA de Google et un bénéfice net de 10 milliards annoncé par la firme en 2012, cela paraît indiscutablement une bonne affaire pour le géant.  A titre de comparaison, le fond d’aide au développement des services de presse en ligne, le SPEL, créé en 2009, a dépensé près de 43, 5 millions d’euros en 3 ans. Le fond Google de 60 millions d’euros sera « géré par une gouvernance ouverte, avec un conseil d’administration composé de personnalités indépendantes. Ces membres du conseil sélectionneront ensuite divers projets présentés par la presse magazine ou quotidienne. Avec un critère principal : ces dossiers devront viser à faciliter la transition vers le numérique. » (6) On sait d’ores et déjà que Nathalie Collin fera partie des 9 administrateurs ainsi qu’un représentant de Google et la présidence a été proposée à Marc Schwartz.

Un tour de passe-passe pour éviter un redressement fiscal, avec la complicité de l'IPG ?


Pour la France, outre la question de l’éventuelle redevance, il est question de redressement fiscal pour un montant avoisinant le milliard d’euros. En effet, le chiffre d’affaires annuel français du moteur de recherche est estimé entre 800 millions et 1,5 milliard d’euros, avec un bénéfice opérationnel annuel de l’ordre de 200 à 350 millions d’euros. Pour l’année 2010, selon lexpress.fr Google France n’aurait déclaré que 68,7 millions d’euros. (7) Pour Olivier Tesquet de Telerama,(8) l’IPG « a transmis au gouvernement une proposition de projet de Loi visant à créer un système de droits voisins sur l’indexation des contenus. La terminologie est subtile : en réclamant une réforme du droit d’auteur, les éditeurs de presse essaient d’éviter une taxation fiscale qui ramènerait l’argent dans les poches de l’Etat plutôt que dans les leurs. »
Là encore, Nathalie Collin s'inscrit en faux. "Nous ne disons pas que c'est parfait, mais que c'est un accord qui n'est jamais arrivé avant. Par rapport aux relations avec Google, c'est un changement de prisme. Jamais Google n'avait fait un chèque pour aider les producteurs de contenus à se moderniser. C'est donc bien une reconnaissance des contenus." (9)
Le risque : que les concessions faites par Google agissent comme un "siège parisien" bis, éteignant la combativité du gouvernement face à l'optimisation fiscale largement pratiquée par Google. Reste qu'a priori, le contentieux entre le fisc français et le géant est toujours en cours, et porterait sur un montant de 1,7 milliard d'euros.(10)

Pourquoi accepter un accord qui exclut toute une partie de la presse française, au mépris du principe d'égalité des éditeurs ?


Quid de la presse spécialisée et professionnelle, qui est également indexée par Google, à l’instar de la presse d’information politique et générale. Doit-elle monter au créneauseule puisquel’IPG n’a négocié que pour son périmètre ? Amputée de toute une partie de la presse française, quelle sera sa marge de manœuvre ? Le risque de se voir déréférencé est lui bien réel, puisque Google a utilisé cette arme pour faire plier la presse belge en décembre 2012. Le montant de l’indemnisation négociée au terme d’un bras de fer n’a jamais été révélé.
Le Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste)souligne l’avancée de cet accord mais regrette qu’il « ne vaille que pour trois ans et ne consacre pas le principe d’une rémunération des sites au titre de l'indexation de leurs contenus par Google, alors que les négociations concernaient la répartition de la valeur sur le Web ». A ces critiques, Nathalie Collin, patronne du Nouvel Observateur et présidente de l’IPG, a répondu que cet accord était préférable à une confrontation. « Une guerre contre Google aurait forcément duré plusieurs années, et n'aurait été au bénéfice ni de Google, ni des éditeurs de presse, ni des internautes, qui auraient pu être éventuellement privés de contenus. »(11)

Une réaction internationale très critique


Pour Gérard Bessaye (12), «  la France s’est couchée.(…) Il faudra (aux éditeurs français)(…) plusieurs jours pour comprendre que la France n’a rien gagné ; Hollande en personne est intervenu dans l’accord avec Google et pour une somme symbolique de 60 millions.(…)Vu des Etats Unis cet accord est ridicule » (13)  Pour la Stampa italienne, l’accord est une « défaite culturelle (…) une débâcle, comme à Waterloo ». Gianni Riota titre « La France a vendu son avenir ». En Allemagne, les éditeurs refusent de signer un accord de ce type. « L'inconvénient, c'est que cela  ne s'applique qu'à un seul agrégateur, et prive les éditeurs français d'alternatives pour se défendre contre d'autres agrégateurs,  actuellement et à l'avenir ».(…) « En signant cet accord, les éditeurs français se privent de la possibilité d'obtenir un recours juridique contre les organisations qui regroupent leurs contenus sans leur consentement. Les autres agrégateurs sont peu susceptibles d'être menacés d'une similaire «taxe au lien »  par le gouvernement français, ce qui fait que le seul espoir des éditeurs réside dans la négociation. »
La « Lex Google » est un projet de Loi soutenu par les éditeurs de journaux et de presse magazine, qui permettrait aux éditeurs de taxer les moteurs de recherche pour la reproduction de courts extraits d’article de presse, qui doit être examinée par le Bundestag.Yahoo, Facebook et des startups numériques locales, suivent Google et rejettent cette proposition. Pour les éditeurs allemands, cette loi est indispensable « pour protéger les droits des éditeurs et fournir une base juridique pour interdire les utilisations indésirables et autoriser les usages souhaités de leur contenu. »
Google a commenté par mail le projet de loi en indiquant« qu'un droit voisin au copyright mettrait en danger l'un des principes fondamentaux d'Internet, à savoir la possibilité de partager et rechercher des informations par le biais de liens. La loi ferait en sorte que les utilisateurs ne trouvent pas toujours ce qu'ils recherchent. Ce serait néfaste pour l'emploi et la croissance en Allemagne alors que près de la moitié de l'économie allemande dépend déjà du Net » (14).
«Au niveau suisse, nous œuvrons pour un changement de la loi sur le droit d’auteur, via un groupe de travail (AGUR12), qui doit rendre un premier rapport en novembre. Cela prendra du temps, mais c’est la seule issue possible», affirme le représentant de Médias suisses. (15)
Le conseil européen des éditeurs de presse (EPC) demande à la société de MoutainView un accord similaire avec la presse européenne. Un de ses responsables expliquait à un reporter de Reuters qu’il fallait trouver une solution à l’utilisation des liens Google « sans l'autorisation des détenteurs des droits ou sans paiement en retour. »(…) dans une conjoncture très difficile pour la profession. La bataille se jouera-t-elle finalement à Bruxelles, où seuls les Allemands et les Suisses semblent être déterminés à ne pas brader leurs droits d’auteur ? Si Google a mis six lobbyistes pour la France, combien sont-ils à Bruxelles pour défendre les intérêts du géant américain ?

L'accord signé serait-il la partie émergée d'un accord global non communicable, ce qui pourrait expliquer le passage à l'Elysée d'Eric Schmitt ?


Hasard du calendrier, ou pas. La signature de cet accord a suivi le règlement de la bataille sanglante entre Free et Google au cours de laquelle le fournisseur d’accès français avait bloqué les publicités de Google, et ce afin de pousser le géant à négocier. L’affaire a fait grand bruit dans l’hexagone et outre atlantique ou les Américains ont jugé les demandes du français recevables. Les deux parties sont parvenues à un accord privé s’entend. L’accord de 60 millions signé quelques semaines après alors que la situation avec les éditeurs paraissait sans issue est peut-être une petite partie d’un accord plus global.

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1. L’association IPG (information politique et générale) a été créée le 16 mai 2012. Elle a « pour vocation, (aux côtés des syndicats professionnels)  de participer à la concertation indispensable avec le nouveau gouvernement et l’ensemble des pouvoirs publics, pour avancer sur chacune des questions essentielles pour l’avenir de la presse nationale d’information politique et générale, dans un souci d’équilibre avec l’ensemble de la filière de la presse. L’un des enjeux les plus immédiats est de renforcer les conditions de la viabilité économique de la presse, dans un contexte où sa participation à l’intérêt général de notre société démocratique est essentielle, et s’accroît grâce au développement de son audience, notamment numérique ».(…) « Parmi les autres buts de l’association, la redistribution de la valeur dans l’économie numérique, la promotion des projets ambitieux de développement d’accès aux contenus de la presse dans le cadre d’accords équilibrés avec les grands acteurs technologiques (Apple, Google, FAI, télévisions connectées…). Autre sujet d’importance, celui des dispositifs d’aides à la presse, qui pour l’IPG doivent faire « l’objet d’une réflexion prospective avec les pouvoirs publics et les syndicats professionnels ». L’humanité.fr Claude Baudry 18/05/2012

 

 

2. Co présidente du directoire du groupe le Nouvel Observateur

 

 

 

 

 

 

3. Fédération des Agences de Presse, propos recueillis par Gibert Kallenborn pour 01net.com le 07/02/2013

 

 

 

 

 

 

4. Propos rapportés dans ZD Net par Antoine Duvauchelle 06/02/2012

 

 

 

 

 

 

5. Propos recueillis par Henri Jamal pour BFM Business le 06/02/2013

 

 

 

 

 

 

6. Pierre Fontaine 01net.com du 01/02/2013

 

 

 

 

 

 

7. Daniel Dussaussaye Presse Edition 06/02/2013

 

 

 

 

 

 

8. Article Telerama.fr du 21/09/2012

 

 

 

 

 

 

9. Antoine DuvauchelleZDnet 06/02/2013

 

 

 

 

 

 

10. ZDnet, Antoine Duvauchelle 06/02/2013

 

 

 

 

 

 

11. 01net.com,Pascal Samama 08/02/2013

 

 

 

 

 

 

12. Ingénieur expert consultant international, Président de l’institut prospective transport, ancien président du groupe transport du plan (ministère du plan), gbessay.unblog.fr 2013

 

 

 

 

 

 

13. Propos rapportés par Pascal Samama 01net.com du 04/02/2013

 

 

 

 

 

 

14. lemondeinformatique.fr Véronique Arène IDG NS 05/02/2013

 

 

 

 

 

 

15. Letemps.ch,AnouchSeydtaghia 07/02/2013