L’Ouzbékistan, situé au centre de l’Asie Centrale et entourée des quatre ex pays associés à l’Union Soviétique de la région (Kazakhstan, Turkménistan, Tadjikistan et Kirghizistan) ainsi que l’Afghanistan, est un pays riche en ressources énergétiques avec une position géostratégique de premier choix. Avec pas moins de 594 millions de barils de pétrole (sur deux raffineries à Fergana et Boukhara), 65 milliards de m³ de gaz naturel (exploités par la compagnie holding Uzbekneftegaz regroupant près de 200 entreprises parmi lesquelles des investisseurs étrangers : Gazprom et Lukoil pour la Russie, CNPC pour la Chine, Korea national Oil Corporation pour la Corée du Sud,…) ainsi que d’importantes réserves d’uranium (200 000 tonnes, exportées vers l’UE et le Japon), il est le quatrième pays de la région ayant le plus de réserves énergétiques après la Russie, le Kazakhstan et le Turkménistan. Ex pays de l’Union Soviétique, ses relations avec la Russie depuis la chute de l’URSS en 1991 ont été très changeantes et il faut remonter à l’invasion russe sur le territoire pour comprendre les relations actuelles entre les deux pays.
La Russie conquiert l’Ouzbékistan à la fin du XIXème siècle et la République Socialiste est instaurée en 1924. Pendant cette période l’économie du pays repose sur la production intensive du coton. L’expansion russe entraine la modernisation de l’Asie Centrale, mais les élites ouzbèkes (appelées jadidistes, qui souhaitent réformer le pays) subissent la domination russe qui exécute les hauts responsables de la République sous Staline. Après cette purge, le gouvernement et les partis ouzbeks sont remplis de personnes loyales au gouvernement de Moscou, et la population ouzbèke majoritairement présente dans les régions agricoles subit une transformation avec l’arrivée de Russes dans les villes.
La mort de Staline en 1953 entraine la réhabilitation des ouzbeks nationalistes qui avaient subi la purge de 1917 et ces derniers créent le parti communiste de l’Ouzbékistan avec le dirigeant Rashidov, grand ennemi de Moscou. Après sa mort Moscou essaye de reprendre le contrôle et lorsqu’en 1986 les responsables politiques ouzbeks sont accusés d’avoir trafiqué les chiffres de la production du coton au sein de l’Union Soviétique, la Russie saisit l’occasion pour effectuer une deuxième purge au sein des élites et nomme en 1989 Islam Karimov (pro Moscou), comme secrétaire du parti communiste ouzbek.
Les coopérations entre les deux pays du point de vue énergétique sont importantes. De nombreuses réserves de gaz naturel sur le sol ouzbek sont découvertes et les infrastructures se développent. En 1990, la Russie reçoit 11 milliards de m³ de gaz sur une production totale de 46 milliards et deux gazoducs traversant le territoire fonctionnent à plein régime : le gazoduc Bukhara-Urals en provenance du Turkménistan délivre le gaz jusqu’en Russie et, avec les nombreuses réserves découvertes, le gazoduc Central Asia-center est créé et le gouvernement à Tashkent (capitale du pays) voit pas moins de 54 milliards de m³ transiter sur le territoire.
Suite à la chute de l’Union Soviétique en 1991, il y a développement des cinq ex pays de l’URSS qui constituent l’Asie Centrale en devenant indépendants, et les coopérations énergétiques (gaz et pétrole) se détériorent avec le souhait des autorités ouzbèkes d’assurer l’autonomie énergétique du pays. Karimov, toujours à la tête du pays, tourne donc le dos à la Russie (en crise pour gérer l’après URSS) et proclame l’indépendance le 31 août 1991.
Mais le pays devient dans la foulée membre fondateur de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) regroupant onze des quinze ex pays membres de l’URSS, et la signature du traité de sécurité collective, ou traité de Tashkent (1992), remplacé dix ans après par l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) comprenant également la Russie, montre bien que l’Ouzbékistan et les anciens pays de l’Union Soviétique ne peuvent pas se détacher si rapidement de la Russie.
De nouvelles législations pour la coopération énergétique tardent également à se mettre en place et ralentissent les partenariats. Les exportations du gaz vers la Russie chutent pour arriver à seulement 1 milliard de m³ en 2003.
L’Ouzbékistan développe la production de gaz pour la consommation domestique de manière importante afin d’apporter le gaz dans les campagnes ouzbèkes. Les relations diplomatiques avec les Etats-Unis sont établies dès 1992, et en 1994, la visite de Li Peng (Chine) à Tashkent se traduit par quatre contrats (coton et métaux notamment), ce qui entraine la colère de Moscou qui voit d’un très mauvais œil l’arrivée de l’occident et de la Chine en Asie Centrale. Elle souhaite en effet conserver l’emprise qu’elle avait sur cette région sous l’ère soviétique. En 1999 l’Ouzbékistan quitte l’OTSC après quelques années de rapprochement avec l’Occident pour rejoindre le GUUAM dont les objectifs sont opposés à l’OTSC et considérés comme pro occidentaux.
Mais le pays se trouve vite confronté à des infrastructures vieillissantes et un manque d’investissement dans le pays. L’arrivée au pouvoir de Poutine en 2000 entraine un nouveau partenariat entre Gazprom (société russe) et Ouzbekneftgaz (société ouzbèke), et la Russie investit 3 milliards de dollars afin de développer les infrastructures et les explorations de nouvelles réserves par Gazprom et Lukoil (Russe également), sur le plateau d’Ustyurtsk notamment. Aujourd’hui encore seulement 88 des 190 gisements de pétrole et de gaz répertoriés sont en exploration.
L’exportation tombée à 1 milliard de m³ en 2003 passe donc à 7 milliards en 2004 (pour atteindre un peu plus de 15 milliards de m³ en 2009). En 2005, suite aux événements dans la ville d’Andijan, où l’armée a tiré sur des manifestants critiquant le procès de personnes associés au groupe islamiste Akramia, les USA se voient contraints de fermer leur base militaire établie sur le territoire ouzbek. En 2006 Karimov dénonce une guerre de l’information conduite par l’Occident contre son pays. Il décide donc d’un retour au sein de l’OTSC et rejoint par la même occasion l’Eurasian Economic Community (Eurasec), son complément économique pour la région.
Le président russe Medvedev en visite à Tashkent en 2009 annonce le financement de nouveaux gazoducs ainsi que les livraisons du gaz ouzbek au prix du marché (passant de 140 à 340 dollars les 1 000 m³), en contrepartie d’une importante part des exportations énergétiques vers son pays. Cependant les relations sont toujours fragiles avec notamment la multiplication de la présence militaire Russe au Kirghizistan près de la frontière ouzbèke qui met Tashkent sur la défensive.
Le 28 juin 2012, Karimov décide de quitter l’OTSC pour la deuxième fois. Cette décision est un nouveau coup dur pour les Russes qui y voient le retour de l’Occident, et notamment l’arrivée probable d’une base américaine (pour le retrait des troupes d’Afghanistan), alors que la Russie peine à maintenir sa base au Tadjikistan, pays où les Américains projettent également de s’installer.
Mais l’Ouzbékistan souhaite conserver sa politique d’autonomie mise en place par Karimov après la chute de l’Union Soviétique, et ne souhaite pas subir de pressions américaines, notamment sur le sujet de la Loi Internationale des Droits de l’Homme, sujet récurrent contre le pays. Fin août 2012 Tashkent refuse la base américaine tant crainte par Moscou et définit de nouveau sa stratégie. Aucune base étrangère ne pourra venir sur le sol ouzbek, et l’indépendance ainsi que la souveraineté du pays restent les priorités pour Karimov. Ce dernier fait part également de son souhait de ne plus être membre d’organisations pouvant nuire à la souveraineté de son pays, et qui lui apportent peu (comme l’OTSC).
Aujourd’hui de nouvelles infrastructures traversant le pays permettent d’éviter l’emprise russe, car ne passant pas sur son territoire: l’oléoduc Baku-Tbilissi-Ceyhan qui permet à l’Ouzbékistan d’exporter son pétrole vers l’UE ainsi que le gazoduc Turkménistan-Chine.
Le rapprochement du gouvernement envers l’Occident ainsi que la Chine démontre la volonté du pays de se détacher de l’emprise russe. Mais les relations avec la Russie sont encore fortes, comme le montrent le nombre conséquent d’entreprises russes présentent sur le sol ouzbek ainsi que les investissements effectués sur le long terme. Cependant l’annonce du retrait de l’Ouzbékistan de l’OTSC, organisation que Poutine présentait il y a encore seulement quelques semaines comme ayant un rôle majeur dans la stabilité de la région, démontre bien la détermination du pays dans sa volonté d’indépendance et de diversification de ses relations, en délaissant par conséquent la Russie.
En septembre dernier l’Ouzbékistan annonçait le lancement d’un programme complet sur l’énergie concernant l’automatisation de gestion et de contrôle des ressources pour un montant total de 800 millions de dollars. Des appels d’offres internationaux pour ce projet seront lancés, affaire à suivre donc de très près dans l’analyse des relations russo-ouzbèkes à venir.
Alexia Gaudron
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