L’enjeu des ressources dans le discours indépendantiste québécois

La souveraineté québécoise, « cygne noir » du Canada

L’idée d’une sécession de la Belle Province est pour le gouvernement libéral un « cygne noir » : la probabilité est mince du fait de plusieurs facteurs et dans l’hypothèse où les souverainistes y parviendraient, cela ne serait pas de meilleur augure pour le Canada.
Trois pôles sont à la base de la souveraineté : la monnaie, le droit et la défense. Premièrement, le dollar canadien (monnaie de référence pour les ressources naturelles) est à parité avec le dollar américain, signe favorable quand on sait que les États-Unis sont le premier partenaire commercial du Québec en termes de volume. Mais par prudence, il conviendra pour un Québec libre de diversifier les partenaires pour les principales ressources (pétrole, gaz, etc.). Cela est d’ailleurs en train de se faire avec le partenariat Transpacifique et l’Accord économique et commercial global (Canada/Europe), en sachant que la province est un contributeur majeur du Canada dans l’exportation des ressources. Ensuite, « la poursuite de cet objectif [de souveraineté] s’exprime dans un cadre défini par les institutions britanniques » (IPSO 2005, 135) et des pouvoirs constitutionnels sont manquants malgré des accommodements raisonnables.
La francophonie est un autre aspect à considérer. En effet, « la politique de bilinguisme officiel a de fait renforcé l’hégémonie de l’anglais » (Id., 78) et que les libéraux bénéficient de l’appui monolithique des non-francophones. Aussi, l'« évolution démolinguistique prévue pour Montréal et ses banlieues […] refoulera vraisemblablement le Parti Québécois (PQ) vers les circonscriptions hors Montréal, dont les populations francophones sont nettement moins souverainistes » (Id., 154) alors que seuls 48% des habitants de l’île de Montréal sont francophones.
Néanmoins, le plafonnement du PQ demeure lié à la conjoncture politique, elle-même liée à la conjoncture économique. Si l’on s’attarde sur la grille de lecture de l’évolution des affrontements, il n’y a plus, dans la période actuelle, de centre de gravité précis dans les économies étatiques. Toutefois, un autre élément pèse, autre que ceux mentionnés ci-dessus.

Les ressources, déterminant décisif de l'indépendance

Ainsi démunis, le retour au pouvoir des souverainistes se base sur un travail de mobilisation et de légitimation vis-à-vis de la société. C’est là que l’enjeu des ressources prend son sens. Elles permettraient d’asseoir un Québec souverain au niveau commercial, économique, géopolitique et budgétaire (les redevances brutes pour 2010/2011 s’élevaient à 1078 millions de dollars pour le minier, le forestier et l’hydraulique) : l’énergie, les mines et les forêts contribuent à 23,8% du PIB et des exportations (Gouvernement du Québec 2012, 3-11).
Les souverainistes estiment qu’« il est impératif que l’État québécois soit présent sur la scène internationale et puisse présenter de façon directe, sans aucun intermédiaire, sa propre vision des grands dossiers internationaux » (IPSO, 69). C’est là que le Québec marque des points. En 2004, le Canada était le 9e producteur de pétrole au monde et occupait la 3e place pour ce qui est du gaz (Lacoste 2006, 317). Cela notamment grâce au Québec particulièrement riche en matières premières (uranium, forêts, eaux, etc.). Et même s’il accuse aujourd’hui un léger recul dans les classements, il reste toujours en tête (CIA Factbook). Le Québec est par ailleurs un des principaux producteurs forestier d’Amérique du Nord et d’hydroélectricité au niveau mondial. Par conséquent, c’est d’abord et avant tout la gestion de ces ressources à l’interne et à l’externe qu’il importe de prendre en compte dans le discours indépendantiste québécois puisqu’« en cas d’impasse, c’est la communauté internationale qui devra trancher » (IPSO 2005, 68).
Aussi, le PQ « a le mandat de remettre le Québec en marche avec un projet social, économique […] emballant » (Id., 110) et ne pourra non plus se soustraire aux fonctions régaliennes : redistribution des richesses, financement services, aménagement du territoire, etc. L’argent est donc le nerf de la guerre et les ressources en sont un des pré-requis indispensables.
Finalement, les souverainistes doivent surtout voir cet enjeu sous l’angle de la légitimité occasionnée vis-à-vis de la population francophone mais aussi anglophone puisqu’il va lui falloir rassembler. Il importe alors de corréler l’enjeu des ressources avec le discours indépendantiste.

Le discours indépendantiste sur la bonne voie ?

Pour les souverainistes, une des principales raisons de la lutte réside dans la nécessité « de participer à [la] résistance [à la mondialisation néolibérale] » (Id., 88), tout comme « la prise de conscience [environnementale était] marquée par une certaine opposition anti-américaine » (Lasserre). Toutefois, il convient de relativiser cette affirmation puisque la mondialisation est aujourd’hui un état de fait et « nul ne devrait rêver non plus d’un Québec jouissant de la souveraineté absolue » (IPSO, 89). U. Beck stipule d’ailleurs qu’une seule chose est pire que d’être envahi par les multinationales : ne pas l’être. Mais nationalisme et cosmopolisme ne font pas toujours bon ménage. Ainsi, il va falloir au Québec faire double-jeu sur la question des ressources s’il veut conjuguer aspirations idéologiques et réalités économiques et connaître une période similaire à celle du « Tigre celtique » pour l’Irlande. D’autant qu’une majeure partie de l’économie québécoise est tributaire du commerce international, des exportations notamment. Il paraît donc peu probable de mettre en place une boucle interne pour ce qui est des capitaux québécois comme le souhaiterait Robert Laplante.
De plus, le pétrole est la première source d’énergie de la planète mais son utilisation va finir par aller en décroissant. Non pas par manque, mais plus parce que des alternatives durables et rentables verront le jour. Si le Canada a quitté le protocole de Kyoto en 2011 et perd donc de la légitimité, le Québec fait figure d’avant-gardiste sur le développement durable, « condition gagnante » alors que les organisations intergouvernementales imposent nombre de règles environnementales. Le PQ affirme d’ailleurs en accroche sur son site que l’exploitation des richesses naturelles « serviront d’abord et avant tout à enrichir les Québécois ».
Mais encore, concernant l’enjeu des ressources, il convient de prendre en compte l’ensemble des externalités et de voir tout l’aspect de la gestion qui gravite autour de l’exploitation (prévention, gestion de crises, etc.). Car ce sont ces points qui font partie de l’arsenal justifiant l’intervention étatique. Et dans le cas où ce dernier décide de ne s’en remettre qu’aux exploitants, alors ses exigences doivent être particulièrement fortes. Sur ce point, il semble que le discours indépendantiste québécois ait réellement compris l’enjeu et que là est le nerf stratégique. En effet, si le Québec peut paraître particulièrement laxiste sur certain points, il n’en va pas de même sur d’autres aspects (éducation, écologie, etc.). Et des documentaires comme Gasland revêtent donc une importance toute particulière. Ainsi, l’exploitation des gaz de schiste par fracture hydraulique vient d’être interdite par le nouveau gouvernement alors que celle-ci favoriserait une indépendance accrue sur le plan énergétique.

Les relations économiques liées aux ressources

Si l’on s’attarde maintenant aux relations économiques qui sont le fruit des échanges liées aux ressources naturelles, on peut penser, si ces dernières sont utilisées à bon escient, qu’un Québec souverain pourra tirer son épingle du jeu.
Tout d’abord, pour rester sur la question du gaz de schiste, le Québec aura les cartes en mains afin de changer la donne, notamment celle du Qatar. Car c’est cette peur du gaz de schiste qui pousse cet État à investir à tout va, au grand dam de certains, afin de diversifier ses revenus qu’il tire principalement du gaz naturel liquéfié. De plus, si la nécessité passée pour un État québécois de faire perdurer une alliance économique avec le Canada était un fait, cela est une option depuis l’ALENA et l’accès au marché américain dont la croissance du marché financier reprend une allure rapide. Les ressources impliquent aussi un enjeu sous-jacent, celui  des  transports. À l’heure actuelle, un flux de bateaux direct vers l’Asie et partant du Nord-est du Québec est en train de se mettre en place, ce qui diminuera à termes les coûts pour un État naissant (Pineault). Les perspectives sont donc intéressantes alors que le PIB de la Chine ne cesse de croître pour ce pays aux besoins en ressources naturelles sans équivalents. Sa consommation en pétrole atteint par exemple plus de 12% de la consommation mondiale pour 2012 (Coface 2012, 71). En revanche, il faut garder en mémoire qu’en termes de volume des exportations québécoises, ce sont les États-Unis qui sont le déterminant et le marché principal (environ 68% des exportations) tandis que la Chine détermine la valeur des exportations de matières premières. Les politiques québécois ont donc bien peu de pouvoir face à ces deux superpuissances, pour ne pas dire aucun dans ce domaine. C’est donc la manière dont sera menée l’affirmation de ces ressources qui permettra de peser, ou pas, dans la balance. Par ailleurs, le Québec serait, en cas d’indépendance, un État pleinement francophone. Dans cette optique, et s’il décide de ne pas centrer ses ressources uniquement sur une exploitation autarcique, des partenariats privilégiés pourraient être noués avec les pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie. À termes, cela aurait éventuellement pour effet de rentrer en confrontation avec les armes économiques de certains États tel que la Russie qui dispose d’un pouvoir indéniable sur l’Europe pour les acheminements gaziers par exemple.
Finalement, le Québec bénéficie d’une culture particulièrement engagée en termes de ressources, ce que le PQ relaie particulièrement bien, mais c’est aujourd’hui l’économie des services qui prime (plus de 70% du PIB). Le tout a donc permis de déplacer le débat pour la souveraineté d’aspects historiques à économiques alors même que le poids des hommes (les francophones) est sur le déclin. Mais la contradiction réside dans le discours indépendantiste lui-même et il va falloir aux souverainistes nuancer leurs propos et reconsidérer certains aspects. Il est en effet improbable pour le Québec, même souverain et territorialement riche en ressources, de se replier sur lui-même puisque les exportations d’énergies diverses sont ce qui fait sa force. Le Québec doit savoir compter sur plusieurs acteurs indispensables tout en n’évinçant pas le secteur privé. Là est, je pense, le seul moyen de projeter la puissance d’un Québec indépendant.

Gaspard Missoffe

 

Bibliographie.
BECK, Ulrich. « Repenser le pouvoir dans un monde globalisé » in Constructif n°19. Février 2008. Consulté le 18 octobre : http://www.constructif.fr/Article_37_65_463/Repenser_le_pouvoir_dans_un_monde_globalise.html.
COFACE. Colloque Risque Pays 2012 (Paris). 2012, 136p.
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (BUDGET 2012-2013 DES FINANCES). « Le Québec et ses ressources naturelles ». Mars 2012. Consulté le 16 octobre : http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/2012-2013/fr/documents/Ressources.pdf.
IPSO, les Intellectuels pour la souveraineté. Redonner sens à l’indépendance (Québec : VLB éditeur). 2005, 204p.
LACOSTE, Yves. Géopolitique, la longue histoire d’aujourd’hui (Espagne : Larousse). 2006, 336p.
LAPLANTE, Robert. « Ressources naturelles au Québec Robert Laplante » in Tagtélé. Consulté le 16 octobre : http://www.tagtele.com/videos/voir/79358.
LASSERRE, Frédéric. « Environnement et stratégie de puissance » in Infoguerre. Consulté le 24 octobre : http://www.infoguerre.fr/interviews/environnement-et-strategie-de-puissance-entretien-avec-frederic-lasserre/.
MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES. Consulté le 14 octobre : http://www.mrn.gouv.qc.ca/.
PARTI QUÉBÉCOIS. Consulté le 14 octobre : http://pq.org/.
PINEAULT, Éric. « Ressources naturelles au Québec Éric Pineault » in Tagtélé. Consulté le 16 octobre : http://www.tagtele.com/videos/voir/79363.