La situation à moyen terme se résume hélas à une formule simple : la survie de l’Europe ou son effondrement. Devant une telle perspective, c’est non seulement la capacité d’initiative du gouvernement qui est sur la sellette mais surtout la vision stratégique du Président. Les caisses de l’Etat sont vides, l’aggravation du déficit du commerce extérieur est désormais récurrente, la dynamique industrielle est en panne, le potentiel de l’armée continue à être réduit, et pour la première fois depuis des décennies, une zone territoriale de l’hexagone sort imperceptiblement du cadre des lois républicaines dans la mesure où le niveau combiné de corruption et de criminalité à Marseille est en passe de franchir un point de non retour.
Cette liste de mauvaises nouvelles n’étonne plus et devient progressivement une des constantes de ce qui est considéré désormais comme l’état normal de la France. Si l’on reprend un par un ces différents dossiers : l’économie, le militaire, la sécurité et la prédation économique, il devient évident que cette normalité ne peut pas favoriser un climat d’apaisement politique et social. Sans changement de cap radical, la France est à la merci d’une épreuve majeure. Ce constat que personne ne souhaite est pourtant une éventualité difficile à éluder.
Il est donc temps de réagir. La fameuse formule « donner du temps au temps » est devenue aujourd’hui un anachronisme de pays riche. La question qui est posée a quelque chose d’élémentaire : peut-on encore gouverner la France normalement ? La réponse est non. Il ne s’agit pas en disant de nier les règles de la démocratie et de vouloir saper les fondements de la République. C’est le mode de gouvernance qui est en cause. Lorsque le politique arrive au pouvoir, il découvre la puissance d’un autre pouvoir, celui des cercles de la haute administration et de certains milieux économiques et financiers qui se sont installés dans une certaine suffisance et une position de repli sur soi.
La série télévisée américaine The wire (dernière saison en 2008) qui décrit la décrépitude de la ville de Baltimore nous semblait encore une fresque sociologique inappropriée à notre pays. The wire dépeint la corruption du système municipal et de l’Etat de tutelle, le déclin du cœur économique de la ville, la dégradation de l’école, les limites opérationnelles de la lutte contre la criminalité et le commerce de la drogue, la situation d’abandon des franges pauvres de la population et de certains quartiers sans oublier la masse de laissés pour compte. Ces images de fiction sont désormais présentes dans la France de 2012. Elles sont des taches dont la surface grandit au fur et à mesure que nous les faisons passer dans la catégorie des pertes et profits de la crise économique et financière.
Bien que cette série soit un des chefs d’œuvre de la culture télévisuelle américaine, il est heureux que TF1 ne l’ait pas diffusé car le message global qui en ressort est l’impossibilité de changer les choses. The wire est pourtant un message d’alerte, une bouteille lancée dans l’océan qui borde les deux continents de l’Occident. Nous ne sommes pas les Etats-Unis. L’espace vital urbain français est trop petit pour absorber ce type d’échec sociétal. Ce qui signifie une chose évidente, le pouvoir politique à la tête de la France se doit d’éviter la démultiplication de telles situations dégradées. Cette lutte contre la désintégration de notre structure de vie implique de gouverner la France en sortant des sentiers battus d’une Présidence normale. Que François Hollande ait voulu se démarquer du comportement de son prédécesseur, cela peut se comprendre. Mais ce réflexe moral est une réponse quelque peu insuffisante pour sortir la France du péril qui la guette. De l’audace, Monsieur le Président, de l’audace ! Et ce n’est pas en Syrie que se joue notre avenir mais ici et maintenant.
Christian Harbulot