Médicaments génériques : débats académiques et persistance du doute

Plusieurs articles de presse de commentaire ont été écrits à la suite de la publication du rapport de l’Académie Nationale de Médecine du 14 février 2012 et, surtout, plusieurs acteurs ont depuis pris position à travers plusieurs communiqués. Le 30 mars, Le Gemme a répondu à ce rapport en mettant en ligne un dossier complet, dans le but de remettre en perspective et de contredire l’argumentaire de l’Académie de médecine. L’Académie de Pharmacie, a quant à elle émis le 8 mai, de nouvelles recommandations sur les génériques, que le Gemme a saluées dans un nouveau communiqué le 15 mai. Quels enseignements peut-on tirer de ces échanges sur le terrain de l’influence ? Tout d’abord, pour poser le paysage, on rappellera que les enjeux financiers du remplacement des médicaments princeps par des génériques sont considérables, dans le contexte de l’expiration des brevets de bon nombre de blockbusters. L’avenir de Servier via Biogaran est par exemple en question. Plus fondamentalement, on notera l’inflexion des business model des laboratoires pharmaceutiques vers les médicaments biologiques, c'est-à-dire schématiquement vers des produits non copiables ou du moins très difficilement. L’échange de communiqués de ces derniers mois est digne d’intérêt parce qu’il y a lutte sur le terrain informationnel. Dès qu’il est question de génériques, il existe une faille dans l’esprit du grand public, associée à certains risques, au sujet desquels s’affrontent des schémas discursifs.
En peu de mots, quelle est la racine génératrice de doute qui oblige sans cesse à répéter que les génériques ne sont pas des médicaments au rabais ? La décrire ne réclame que peu de mots. « Les génériques ne sont pas identiques aux médicaments d'origine », pouvait-on lire dans France Soir le 15 juin 2011. D’ailleurs, la très respectable Académie Nationale de Médecine n’a-t-elle pas indiqué que : « le générique n’est pas la copie conforme de la spécialité princeps », notamment dans sa présentation? N’est-elle pas allée jusqu’à affirmer que « la bioéquivalence entre produit référent et générique ne signifie pas qu’il y a automatiquement une équivalence thérapeutique, en particulier lors de la substitution d’un générique par un autre.  » ? C’est là remettre en cause le fondement même de la commercialisation des génériques, ce à quoi le Gemme a vivement réagi. Soulignons que l’étude de bioéquivalence apporte la démonstration indirecte de l’équivalence thérapeutique du générique et du princeps. Il n’est pas neutre de jeter une forme de suspicion sur la justification fondamentale du recours aux génériques, d’autant que la légitimité de leur commercialisation réside dans la réalisation d’économies pour la collectivité.
Finalement, quelles constructions argumentaires ont-elles été bâties ?
L’Académie de médecine a largement remis en question le dogme de l’équivalence thérapeutique. Elle a aussi justifié la liberté du médecin du refus de substituer par l’existence de cas où la substitution est à risques, énumérant plusieurs classes de médicaments. Enfin, elle a mentionné le risque de contournement des règles contraignantes de fabrication par des génériqueurs soucieux de réaliser les plus larges économies possibles.
Le Gemme a, pour sa part, opté pour une ligne de contestation de la quasi-totalité du contenu de la communication de l’Académie de médecine en défendant le bien fondé l’équivalence thérapeutique et en soulignant que le médicament générique, de même que les éléments qui entrent dans sa composition (notamment les excipients), ne font pas courir davantage de risques au patient que le médicament princeps ; contestant le lien entre internationalisation de la production et baisse de la qualité.
« les médicaments génériques sont fabriqués à 97 % en Europe et à 55 % en France à travers 12 000 emplois industriels », affirme le Gemme, ces chiffres appelant pour le moins vérification ; optant pour une posture d’attaque des représentants du corps médical qui, par la défense de la liberté de préférence du médicament de marque, s’oppose à la réalisation d’économies substantielles par la collectivité.
Enfin, l’Académie de Pharmacie a opté pour une stratégie de communication articulant la défense du bien fondé de l’équivalence thérapeutique; une insistance sur le fait que la réticence à substituer princeps par génériques n’est justifiée que dans des cas très marginaux;  un étrange silence sur les conséquences de la mondialisation sur la qualité des médicaments, problème qu’elle avait longuement abordé dans une précédente communication du 6 juin 2011.
Le positionnement plus ou moins subtil des acteurs ne doit pas faire oublier que la faible pénétration des médicaments génériques en France s’explique par la prévalence du soupçon: soupçon sur la nature des motifs économiques justifiant le recours au générique, soupçon sur l’équivalence thérapeutique, soupçon sur la qualité. Le Gemme réclame une nouvelle campagne d’information grand public. Il n’y à rien de surprenant à cela. Dans le débat sur les génériques, comme dans bien d’autres soumis à influence, le possible compte autant que le réel. Que pourra apporter une campagne de communication de plus? Elle ne sera signifiante qu’en clarifiant des réalités:
-    les réalités de l’équivalence thérapeutique du générique et de la nature négligeable du risque dans une écrasante majorité de cas ;
-    la réalité des conséquences de la mondialisation de la chaîne de production sur la qualité du médicament, qui sont loin d’être évidentes.
Les échanges académiques ne sont pas de nature à trancher le débat. Seul le partage assumé d’une même vision du réel est de nature à desserrer l’emprise du doute qui, pour l’instant, joue en faveur de la confiance dans la marque. Or, un authentique débat sur la confiance que l’on peut avoir dans la copie des médicaments en appelle un autre: sur la mondialisation de la chaîne de fabrication.