le 22 mars 2012.
Le rapport de la mission souligne l'intérêt du gaz et des huiles de schiste pour la France mais préconise toutefois un programme de recherches scientifiques afin de déterminer le potentiel des réserves d'un part et d'évaluer les risques relatifs à l'exploitation de celles-ci. Pour rappel, en avril 2011, des milliers de manifestants s'opposaient à l'exploitation des gaz et huiles de schiste en France. Le débat, ensuite largement politisé, avait conduit à l'adoption d la loi du 13 juillet 2011 citée ci-dessus. En juillet 2011, un rapport sur « L'intérêt du gaz de schiste pour la France - Analyse critique du débat sur le dossier gaz de schiste » avait été réalisé par des étudiants de l'École de Guerre Économique. Ceux-ci soulignaient l'importance des enjeux économiques et stratégiques de l'exploitation des réserves de gaz et huiles de schiste contenues dans le sous-sol français. Aujourd'hui, les conclusions de la mission sur « Les hydrocarbures de roche-mère en France » viennent confirmer les conclusions du rapport des étudiants de l'EGE précité. A titre d'exemple, voici quelques éléments de comparaison entre les deux documents :
Le rapport « Les hydrocarbures de roche-mère en France »
La comparaison avec les formations géologiques analogues exploitées en Amérique du nord laisse à penser que notre pays est parmi les pays les plus prometteurs au niveau européen en huiles dans le bassin parisien (estimation de 100 millions de m3 techniquement exploitables) et en gaz (5000 milliards de m3 techniquement exploitables). Les États-Unis estiment que la France et la Pologne détiennent les deux gisements les plus importants d’Europe. […] à partir de comparaisons avec les formations géologiques analogues exploitées en Amérique du Nord, 100 millions de mètres cube de réserves techniquement exploitables dans le bassin parisien, soit l’un des potentiels les plus prometteurs en Europe. […] Les régions françaises les plus propices à la présence de réserves exploitables de gaz non conventionnel sont situées dans le sud du pays.
L’intérêt que portent à notre pays les grands opérateurs pétroliers et gaziers et les compagnies nord-américaines spécialisées dans l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, ainsi que les investissements qu’ils se proposent de consentir, attestent de l’ampleur du potentiel. D’un point de vue technique et économique, la probabilité que l’accès à ces gisements permette à notre pays, à un horizon temporel à préciser, de réduire très sensiblement ses importations d’hydrocarbures et de limiter d’autant le déficit de sa balance commerciale n’apparaît pas négligeable. Le Gouvernement avait-il prévenu que l’éventuelle production du gaz et de l’huile de schiste contenus dans le sol national viendrait en substitution des importations pour réduire la facture énergétique. Le centre d’analyse stratégique estime à 3 milliards d’euros le gain de l’opération pour le commerce extérieur national sans prendre en compte les créations d’emplois sur le territoire national.
Il serait dommageable, pour l’économie nationale et pour l’emploi, que notre pays aille jusqu’à s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle : accepter de rester dans l’ignorance d’un éventuel potentiel ne serait cohérent ni avec les objectifs de la loi POPE (loi de Programmation fixant les Orientations de la Politique Énergétique), ni avec le principe de précaution. Mais, pour ce faire, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche et des tests d’exploration.
L’EFR étant la réouverture des explorations pour mesurer les conséquences sur l’environnement et le potentiel réel du gaz de schiste français, nous proposons de viser la mise en œuvre d’un processus déjà déployé au Canada sur le sujet : Une Evaluation Environnementale Stratégique (E.E.S.), à savoir, « …un processus dont la finalité est de fournir au preneur d’initiative (durant la formulation de la politique) et au décideur (au moment de l’approbation de la politique) une compréhension globale des implications environnementales et sociales de la politique proposée, élargissant la portée des enjeux bien au-delà des déterminants à l’origine de cette nouvelle politique» (Brown et Thérivel 2000).
Un intérêt stratégique majeur qui va relancer le débat
Quoiqu'il en soit, il semble que le rapport officiel de la mission portant sur les hydrocarbures de roche-mère prend en compte la dimension stratégique des gaz et huiles de schiste. Ce rapport va d'ailleurs très loin dans ses propositions puisqu'il notifie dans sa conclusion que « la mission préconise une révision de la fiscalité pétrolière de sorte que les collectivités locales trouvent un intérêt à une exploitation d'hydrocarbure sur leur territoire ».Il s'agit donc bien de mettre en place des outils destinés à attirer les investissements sur les plans de l'exploration et de d'exploitation des hydrocarbures de roche-mère. Un retour en arrière par rapport à la loi du 13 juillet 2011 semble donc s'opérer. La conclusion rapport complémentaire indique d'ailleurs à ce propos que l’irruption brutale et très médiatisée en France de la problématique des gaz de schiste, alors que cela faisait plus de quinze ans qu’on les exploitait aux Etats-Unis, entraînant un bouleversement de leurs équilibres énergétiques, n'a pas permis d’initier au rythme souhaitable un débat technique et démocratique serein. De plus, Un décret du 21 mars 2012 fixe la composition, les missions et les modalités de fonctionnement de la Commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux. Celui-ci confirme l’autorisation des techniques de fracturation hydraulique (tant critiquée au printemps 2011) dans le cadre « d’expérimentations scientifiques », le décret confirme une volonté d'avancer sur le dossier.
Au sein de l'Union Européenne, plusieurs États, dont Allemagne et le Royaume-Uni, se sont engagés dans des études pour estimer leurs réserves. La France est par conséquent obligée de s'aligner sur les décisions de ses partenaires européens si elle ne veut pas perdre la course énergétique que constitue les enjeux de l'exploitation des hydrocarbures non-conventionnels. Il en va de la crédibilité de l'État sur la scène internationale. En tout état de cause, il semble que les investisseurs se réorientent vers d'autres zones géographiques. Total, la major, a récemment créé une joint venture avec Chesepeak et EnerVest en vue de l'exploitation du gisement de gaz de schiste d'Utica aux États-Unis ; Total et Shell ont signé des accords dans le cadre de l'exploration et de l'exploitation de gisement de même type en Chine, respectivement avec SINOPEC et CNPC, les deux géants chinois du pétrole,... Aux États-Unis, comme le souligne Philippe Crouzet, PDG de Vallourec, grâce au gaz de schiste, on assiste à la relocaliation de nombreuses industries chimiques et pétrolières : une douzaine de projets significatifs de 4 à 5 milliards de dollars chacun y est actuellement portée par de grands pétrochimistes... Il est dès lors indéniable que l'énergie (dont les sources d'énergies non-conventionnelles) est aujourd'hui un facteur de poids dans la compétitivité entre les États comme en atteste l'exemple des Etats-Unis. La France doit-elle dès lors se passer non seulement d'une ressource énergétique domestique hautement stratégique mais aussi des retombées en termes d'emplois, de développement économique local,... ?
Le rapport officiel de la mission sur « Les hydrocarbures de roche-mère en France » indique clairement que les enjeux du dossier « gaz et huiles de schiste » sont éminemment stratégiques. Le positionnement de la France sur ce dossier indiquera sa place future sur l'échiquier européen et mondial. L'enjeu a bien été pris en compte dans le rapport susmentionné puisque l’autorisation des techniques de fracturation hydraulique dans le cadre d’expérimentations scientifiques est inscrite dans le décret du 21 mars 2012. Cependant, cette initiative devrait raviver les craintes des opposants au gaz de schiste, ceux-là même dont le combat avait abouti à la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.
Stéphane Mortier