Rapport au Parlement Français, août 2011).
Une armée allemande qui a commencé à sortir de ses frontières
Le 12 juillet 1994, le Tribunal fédéral constitutionnel de Karlsruhe a validé la possibilité pour les forces allemandes d’intervenir hors zone OTAN, mettant fin à la politique suivie par le pays depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ainsi, à l’heure actuelle, près de 5 000 soldats allemands sont présents sur le théâtre afghan, dans le cadre d’une mission de l’OTAN. L’armée allemande est actuellement dans une phase majeure de réforme. Après la fin votée en 2011 du service militaire, l’objectif est d’atteindre une force de format plus réduit certes mais professionnelle et potentiellement projetable à l’extérieur du pays.
En mars 2011 à l’ONU, l’Allemagne refuse cependant de voter en faveur de la résolution franco-britannique d’intervention en Libye, et ne participe pas aux frappes effectuées dans la foulée par la coalition étrangère sur ce pays. Mais cette non-intervention est à mettre en relation avec ses intérêts dans la zone.
Dans son édition « Scorecard 2012 », l’Institut European Council on Foreign Relations, think tank dont JoschkaFischer, ancien ministre « vert » des affaires étrangères allemand, est un membre actif, aborde le sujet des ventes d’armes par l’Allemagne. Pour l’ECFR, l’Allemagne apparaît comme une puissance géoéconomique émergente, dont plus de la moitié du PIB est généré par les exportations. Le rapport met en lumière l’accord de vente pour 200 chars lourds Léopard de dernière génération à l’Arabie Saoudite, quelques semaines seulement après que le gouvernement de Ryad soit intervenu dans l’Etat de Bahreïn lors de soulèvements populaires. Néanmoins, l’ECRF conclut que les ventes d’armes constituent principalement pour l’Allemagne une part du pilier de sa puissance économique, plutôt que politique.
Enfin, et éludant volontairement le plan industriel –néanmoins important- de l’aspect Défense pour l’Allemagne, Gérard Longuet, ministre français de la Défense indique lors d’une intervention le 16 mars dernier: « La Grande-Bretagne a l’esprit de défense mais pas l’esprit européen. L’Allemagne, quant à elle, a l’esprit européen ! ».
Les clients de l'Allemagne
Les trois principaux clients 2006-2010 de l’Allemagne en ce domaine sont la Grèce pour 14%, l’Afrique du Sud pour 11%, et la Turquie pour 10%. Retrouver à la fois Grèce et Turquie en tête de ce classement peut surprendre, même si les deux pays sont membres de l’OTAN. L’armée grecque dispose de près de 350 Léopard 2, la Turquie d’environ 300 exemplaires. En effet, la Grèce et la Turquie ont un point de discorde majeur : Chypre. La résolution de ce conflit, entre autres, est mise en exergue dans le cas d’une éventuelle adhésion à l’UE par la commission des affaires étrangères du Parlement Européen, qui, le 2 mars dernier, "insiste sur le fait que les relations de la Turquie avec les États membres voisins sont un facteur clé de la refonte des négociations ainsi que du dialogue". De plus, la Turquie dispose d’une frontière de 800 km avec un pays, la Syrie et donc avec une région, le Proche-Orient, très instables. Et la partie Est de Chypre se situe à 100 km des côtes syriennes.
La caractéristique principale de ce type d’armements est son utilisation massive et souvent très efficace, dans tous les types de conflits terrestres, l’Afghanistan étant la demi-exception qui confirme la règle. Quelques exemples des dernières années :
- L’invasion en 2008 d’une partie de la Géorgie par la Russie, qui a marqué ainsi les limites de la zone d’influence que les autres puissances ne doivent pas franchir
- L’Egypte en 2011, où l’effet dissuasif de la présence des chars de l’armée entraîne le retour au calme dans la ville du Caire
- La Libye en 2011, où l’arrêt seul des colonnes de chars par les frappes aériennes étrangères a permis au soulèvement populaire venu de Benghazi de se développer
- La Syrie actuellement, avec la dramatique intensité que l’on peut constater.
En conclusion, l’Allemagne actuelle, réunifiée le 3 octobre 1990, prise comme référence économique et financière en Europe mais connaissant un déclin démographique important, n’apparaît pas rechercher délibérément au travers de ses ventes d’armes une volonté de puissance forte. Par contre, l’utilisation d’ « armements conventionnels made in Germany » par des pays tiers est un élément de sa diplomatie économique qui mérite d’être regardé de plus près dans les années à venir.
Bertrand Quiminal