Facebook, en tant que premier réseau social au monde (800 millions de comptes aujourd’hui, 11% de la population mondiale), se trouve aujourd’hui au cœur des problématiques d’intelligence économique et stratégique auxquelles nos sociétés et nos Etats sont confrontés.
Reposant sur un maillage quasi illimité d’individus et d’acteurs (associations, entreprises, administrations, collectivités, organismes publics ou parapublics, etc.), sur l’instantanéité des échanges et sur l’ampleur de leur diffusion, Facebook cristallise des enjeux qu’il serait extrêmement risqué d’ignorer : enjeux de connaissance et d’information, enjeux de pouvoir voire de contre-pouvoir, enjeux de déstabilisation voire de désinformation.
Les opportunités offertes par Facebook sont en effet multiples, tant au niveau social, économique, marketing que politique et militaire, offrant de nouveaux horizons de dialogue, de progrès et de développement. Facebook est ainsi en train de révolutionner les relations interhumaines, en faisant passer de la relation « 1 to 1 » à la relation « 1 to x » en un simple clic. Ce nouveau champ des possibles est tel qu’il a permis le développement de tout un écosystème avec et autour de Facebook, générant un business direct et indirect très conséquent. Facebook valide ainsi un business model nouveau et très lucratif, fondé sur des formes innovantes de publicité, propres au web. Les effets de ces bouleversements ne sont pas neutres : tension extrême entre les acteurs majeurs de l’internet aujourd’hui (en particulier Google), concurrence impitoyable accentuée par le jeu des fusions/acquisitions, jusqu’à la survalorisation boursière des réseaux sociaux en général. En ce qui concerne la Politique et la Défense, Facebook se trouve également au centre des enjeux de bataille que se livrent les sociétés civiles, les mouvements politiques et les Etats (cyber-guerre). L’exemple récent du « Printemps arabe » montre que les lignes des rapports de force politiques évoluent, à la faveur notamment d’outils tels que Facebook.
Mais les risques engendrés par Facebook ne sont pas moins nombreux, remettant en cause la fiabilité, l’acceptabilité et la viabilité de l’outil à terme. Tout d’abord, Facebook conduit potentiellement à une surveillance généralisée de tous par tous, à une surexploitation sociale et économique des relations humaines, et à une extension de l’espace public au détriment de ce qui relevait jusque-là de la sphère strictement privée. Il n’est pas certain que les utilisateurs, de mieux en mieux informés, soient in fine prêts à payer ce prix pour bénéficier des possibilités offertes par Facebook. Par ailleurs, l’exploitation des failles de Facebook (techniques et fonctionnelles) permet de détourner l’outil pour servir des desseins plus ou moins éthiques ou malveillants et ce dans tous les domaines : social (violation de la vie privée, usurpation d’identité, diffamation, etc.), économique (rumeurs, dénigrement, usurpation, détournement de marques, etc.), politique (rumeurs, manipulation, incitations au rassemblement, etc.), et militaire (surveillance, désinformation, etc.). La cybercriminalité via Facebook est ainsi devenue un enjeu essentiel pour toutes les sociétés et les Etats, sur le plan sociétal, mais également économique, car extrêmement coûteux.
On assiste malgré tout aujourd’hui à une expansion de son utilisation par tous les acteurs et à une professionnalisation des usages de ce réseau social, tandis que des tentatives de réglementation se mettent en place pour tenter de protéger les intérêts des individus et des organisations, au niveau national (cf. CNIL) et international (Europe, conventions internationales).
Peut-on dire pour autant que Facebook est à la fois un outil unique, incontournable et viable à terme ? Non, car Facebook reste pour l’heure un outil non représentatif de la population (âge, socio-catégories, pays, etc.) : se contenter de Facebook pour faire du business ou de la politique est insuffisant, Facebook n’étant qu’un média parmi d’autres. Facebook s’est par ailleurs fortement décrédibilisé par son manque de protection des données privées et son incapacité à respecter le critère de l’interopérabilité des données : Facebook subit aujourd’hui la concurrence de nouveaux modèles de réseaux sociaux plus restrictifs en termes d’accès et recentrés sur la communauté. Les questions juridiques sont enfin très nombreuses et non résolues, se heurtant aux droits des différents Etats.
Les individus, les entreprises, les Etats continueront-ils à faire confiance à Facebook et à engager leur responsabilité au travers de ce média ? Pas sûr. Certaines entreprises ont déjà pris la décision de ne pas utiliser ce média et l’essoufflement de la croissance des profils dans les pays occidentaux montre un début de perte de confiance. Le besoin en investissement de Facebook fait par ailleurs intervenir des puissances financières (Russie, Chine…) qui met définitivement un terme à l’éventuelle neutralité de l’outil.
Plus globalement, les risques et les failles associés au premier réseau social se sont déplacés du côté des accès aux réseaux (physiques et virtuels) contrôlés par les opérateurs et les FAI, et du côté des instances internationales, plus ou moins neutres, qui continuent à contrôler le web en général, au détriment du principe de « neutralité » du web. Bloquer Facebook est en réalité un « jeu d’enfant » pour les Etats.
Il est donc certes impossible aujourd’hui d’ignorer Facebook lorsqu’on aborde des problématiques de veille et d’intelligence économique et stratégique, mais il est nécessaire de conserver une vision globale de ces problématiques, incluant l’intégralité des médias, qu’ils soient virtuels ou physiques. L’univers des réseaux sociaux et plus spécifiquement de Facebook étant en plein mouvement et structuration, leur rôle dans le domaine de l’intelligence économique et stratégique se redéfinit en permanence.
Enjeux et failles des réseaux sociaux : l’exemple de Facebook en France