Les effets des transferts de technologie sur la puissance industrielle

Ecole de guerre économique.

Années 60 : France leader mondial de la construction des méthaniers

En 1964, la France  décide de se lancer dans la construction  de bateaux  transportant  du GNL (Gaz  Naturel  Liquide) : le méthane.  Dans  les  années  70, la France  se positionne  en  tant  que leader,  et  même  pionnier,  dans  la  construction  de  méthaniers.  Le  marché  des  méthaniers  a connu une croissance progressive. La flotte mondiale augmente d’environ 100 unités vers 1975 à  200  unités  dans  les  années  90.  Suite  à une  crise  de  l’industrie  pétrolière,  l’investissement mondial en construction de méthaniers a baissé dans les années 80.
Cependant, dans les années 90, le segment devient de nouveau attractif pour la France grâce à une amélioration  du contexte macro-­‐économique.  Les japonais fermaient certains chantiers et en  Europe  très  peu  de  chantiers  demeuraient  encore  ouverts.  En  France,  un  seul  chantier existait   toujours   :   celui   de   Saint-­‐Nazaire   (ou   chantiers   de   l’Atlantique).   Celui-­‐ci   restait spécialiste   et  expert en  méthaniers,   le  meilleur   au  niveau   mondial   dans  ce  domaine.   La construction des méthaniers repose sur deux technologies : premièrement, la conservation du méthane  durant  le  transport  et  d’autre  part  la  propulsion  des  méthaniers.  L’expertise  de  la France était liée à la technique de conservation  avec la licence GTT : des cuves isolées par des membranes, système exploité par Technigaz et Gaz Transport (GTT).
La  technologie  des  membranes  s’oppose  à  la  technologie  des  sphères  dont  la  licence  était détenue   par   MOSS,   un   constructeur   norvégien.   La   technologie   des   membranes   est   plus performante et moins coûteuse que la technologie des sphères.
À ce moment-­‐là, la Corée rencontre un besoin de transport de GNL. Cependant, le gouvernement coréen  souhaite  garder les revenus  engendrés  par la construction  des méthaniers  au sein de leur propre économie. De ce fait, la Corée du Sud ferme son marché et la France se voit dans l’impossibilité de vendre des méthaniers à la Corée du Sud.
Cependant  les Coréens se sont aperçus de la sous-­‐performance de la technologie de la licence MOSS. La Corée, et plus particulièrement le chantier Hanjin, souhaite donc acquérir une expertise dans la technologie à membranes  de GTT. Les chantiers de Saint-­‐Nazaire  furent donc sollicités en 1992 par Hanjin pour partager  leur technologie  et leur expertise.

Comment expliquer cette prise de risque ?

 

Temporalité


A cette  époque  la  Corée  du  Sud  se  trouvait  dans  une  position  favorable :  la dévalorisation du Yen leur permettait d’être compétitifs et l’état coréen effaçait les dettes des constructeurs de méthaniers. Afin de mieux comprendre le niveau de compétitivité de la Corée du Sud, il parait important  de situer les niveaux de prix des méthaniers  proposés.  De 1991 à  1997  16  méthaniers  d’environ  130k  m3   ont  été  commandés  par  l’opérateur  gazier  coréen, Kogas, tous aux chantiers coréens pour 270 millions de dollars l’unité ; ce prix est tombé à 210 millions   en   1997.   A  cette   même   époque,   les   chantiers   de  Saint-­‐Nazaire   ont   vendu   des méthaniers à Petronas pour environ 250 millions de dollars l’unité. Les Coréens ont ensuite baissé  leur  prix  à  143  millions  de  dollars  en  2000.  Les  chantiers français et japonais furent donc hors course, en termes de prix, face aux Coréens.
Rappelons  que le marché  de la Corée du Sud était fermé et que la demande  dans le reste du monde   n’était   pas   importante.   Les   Français   construisaient   donc   de   moins   en   moins   de méthaniers et se voyaient dans une impasse sur ce segment.
La France a donc accepté de transmettre son expertise à la Corée en envoyant sur place des employés  des  chantiers  de  Saint-­‐Nazaire :  ce  transfert  a  permis  la  France  de  recevoir  une contrepartie  financière  de la part  de la Corée  du Sud : environ  200 millions  de Francs .

La Corée du Sud devient leader mondial

Depuis,  la Corée  du Sud est devenue  leader dans la construction de méthaniers : environ 83% des commandes mondiales sont passées aux chantiers de la Corée du Sud. Les armateurs coréens ont réussi, en signant des contrats à long terme, à consolider leur position de leader. La France n’a pas construit de méthanier depuis le début  des  années  2000 :  la  dernière  commande  a  été  passée  par  Gaz  de  France,  pour  une construction  de  méthaniers  qui  utilisait  une  nouvelle  technologie  –  malheureusement  cette dernière expérience fut un échec.
À priori, le transfert est désastreux pour la France d’un point de vue économique : le marché des méthaniers est perdu dû  au  savoir-­‐faire  de  la  Corée  qui  égale  désormais  celui  de  la  France,  et  les  chantiers  de l’Atlantique ne vendent plus de méthaniers. Ce résultat n’était pas celui espéré par la France en 1992 lorsque le transfert s’est opéré.
En effet, ce transfert de technologie a certainement contribué à la compétitivité de la Corée du Sud. La technologie membrane permet de construire des méthaniers à des coûts moins élevés. De  plus,  comme  nous  l’avons  constaté  précédemment,  les  prix  appliqués  par  la  Corée  ont commencé  à  baisser  entre  1991  et  1997,  et  la  France  a  transféré  son  savoir-­‐faire  sur  la technologie  membrane  en 1992. Nous pouvons  supposer  que la compétitivité  de la Corée du Sud suite au transfert de technologie, et donc à un progrès technologique non négligeable, n’a certainement pas été anticipée pas les chantiers français lorsque ce transfert a été accepté.
Cependant, nous pouvons relativiser l’aspect néfaste de ce transfert du point de vue français. Ce transfert  aurait certainement  eu lieu même sans  l’intervention  de  la  France.  Malgré tout, grâce au transfert et à l’accompagnement de la Corée du Sud dans la construction de méthanier avec la technologie membranes, la France se voit dans la possibilité de perpétuer son savoir-­‐faire. L’Espagne et la Chine  ont  depuis  fait  appel  à  l’expertise   des  chantiers   de  l’Atlantique   en  échange  d’une contrepartie  financière. Le coté néfaste du transfert est donc à relativiser ; en effet il n’est pas forcément totalement négatif.

Source :
- Les problèmes posés par le transfert des technologies par Nirvana Amarsy, Clarisse Blanc, Aïssa Boyer, Guillaume Collin, Salomé Furtos (Essec Mar arketing Management).