La guerre des brevets fait rage. Et il est bon de revenir sur quelques cas d’école. L’affaire des « brevets Joliot » qui remonte au milieu du siècle dernier illustre les difficultés à établir et défendre ses droits dans un domaine aussi sensible et stratégique que l’énergie nucléaire. Sur fond de guerre et d’occupation du territoire national, on ne peut pas à proprement parler évoquer un copiage de technologies, mais les réactions des américains n’étaient peut-être pas totalement dénuées d’arrières pensées économiques dans le contexte du développement du nucléaire civil aux États-Unis dans les années 50.
En mai 1939, Frédéric Joliot, prix Nobel de Physique 1935 avec sa femme Irène Curie (elle-même fille des prix Nobel 1903 Pierre et Marie Curie), dépose conjointement avec son équipe du Collège de France trois brevets portant sur l’utilisation de l’énergie nucléaire. Intitulés Dispositif de production d’énergie, Procédés de stabilisation d’un dispositif de production d’énergie et Perfectionnement aux charges explosives, ces brevets reposent sur le mécanisme de fission nucléaire découvert quelques mois auparavant par des chercheurs autrichiens.
En deux mots, le noyau d’un atome d’uranium est susceptible de se briser en deux en dégageant une grande quantité d’énergie et en libérant quelques neutrons capables d’aller provoquer de nouvelles fissions des noyaux alentour. Le contrôle (ou non) de cette « réaction en chaine », dont l’équipe du Collège de France a l’intuition la première, est le fondement des « brevets Joliot » qui portent sur l’exploitation de cette énergie d’origine nucléaire. Deux brevets supplémentaires seront déposés début 1940, portant sur l’enrichissement de l’uranium et sur la géométrie des « modérateurs », matériaux permettant le contrôle des réactions nucléaires.
Avec le début de la guerre, deux des collaborateurs de F. Joliot, co-détenteurs des brevets fondamentaux, se réfugient à Londres où ils prennent contacts avec les autorités gérant la question nucléaire sur fond d’exploitation offensive de la fission. Ils y déposent également de nouveaux brevets 40 et 42, et négocient des accords avec les autorités anglaises et un industriel de la chimie (ICI), compliquant ainsi notablement la situation sur le plan de la propriété intellectuelle.
Au sortir de la guerre, la propriété des brevets initiaux est transférée au CEA créé trois mois après Hiroshima et Nagasaki qui entreprend des négociations avec les autorités nucléaires anglaises. Si un accord partiel est rapidement (et courtoisement !) conclu dès 1948, certains aspects ou prolongements des accords traineront encore jusqu’en 1960.
Aux États-Unis, la question prend un autre tour : les brevets originaux (les deux premiers du moins, le troisième n’avait pas été déposé hors de France) sont rejetés en novembre 1941 pour insuffisance de description des dispositifs envisagés (la loi américaine brevète des inventions exploitables, pas de simples idées). Dans un contexte de communication déjà difficile avec la France occupée, la mise au secret à partir de 1942 et jusqu’en 1949 de tout ce qui touche à l’énergie nucléaire aux USA verrouille toute revendication française sur ces brevets. Plus encore en 1946 l’Atomic Energy Act interdit aux États-Unis tout brevet lié à des matières fissiles, et même tout échange d’information sur ce sujet.
Les démarches françaises ne reprennent qu’en 1954 avec l’assouplissement des règles américaines sur le nucléaire et l’ouverture par le CEA de deux procédures parallèles, potentiellement contradictoires, cherchant en même temps à faire reconnaitre ses brevets et à se faire indemniser de manière forfaitaire pour leur utilisation pendant la guerre. Jusqu’au début des années 60 la situation parait complètement bloquée, mais les choses s’arrangent progressivement à partir de 1963.
En 1968, l’antériorité française des découvertes fondamentales dans les technologies nucléaires est reconnue officiellement lors d’une cérémonie à Washington, et assortie d’un « dédommagement » de 35 000 $ pour les inventeurs (dont deux sont décédés entretemps), sans aucune commune mesure avec les frais de justice engagés.
En mai 1939, Frédéric Joliot, prix Nobel de Physique 1935 avec sa femme Irène Curie (elle-même fille des prix Nobel 1903 Pierre et Marie Curie), dépose conjointement avec son équipe du Collège de France trois brevets portant sur l’utilisation de l’énergie nucléaire. Intitulés Dispositif de production d’énergie, Procédés de stabilisation d’un dispositif de production d’énergie et Perfectionnement aux charges explosives, ces brevets reposent sur le mécanisme de fission nucléaire découvert quelques mois auparavant par des chercheurs autrichiens.
En deux mots, le noyau d’un atome d’uranium est susceptible de se briser en deux en dégageant une grande quantité d’énergie et en libérant quelques neutrons capables d’aller provoquer de nouvelles fissions des noyaux alentour. Le contrôle (ou non) de cette « réaction en chaine », dont l’équipe du Collège de France a l’intuition la première, est le fondement des « brevets Joliot » qui portent sur l’exploitation de cette énergie d’origine nucléaire. Deux brevets supplémentaires seront déposés début 1940, portant sur l’enrichissement de l’uranium et sur la géométrie des « modérateurs », matériaux permettant le contrôle des réactions nucléaires.
Avec le début de la guerre, deux des collaborateurs de F. Joliot, co-détenteurs des brevets fondamentaux, se réfugient à Londres où ils prennent contacts avec les autorités gérant la question nucléaire sur fond d’exploitation offensive de la fission. Ils y déposent également de nouveaux brevets 40 et 42, et négocient des accords avec les autorités anglaises et un industriel de la chimie (ICI), compliquant ainsi notablement la situation sur le plan de la propriété intellectuelle.
Au sortir de la guerre, la propriété des brevets initiaux est transférée au CEA créé trois mois après Hiroshima et Nagasaki qui entreprend des négociations avec les autorités nucléaires anglaises. Si un accord partiel est rapidement (et courtoisement !) conclu dès 1948, certains aspects ou prolongements des accords traineront encore jusqu’en 1960.
Aux États-Unis, la question prend un autre tour : les brevets originaux (les deux premiers du moins, le troisième n’avait pas été déposé hors de France) sont rejetés en novembre 1941 pour insuffisance de description des dispositifs envisagés (la loi américaine brevète des inventions exploitables, pas de simples idées). Dans un contexte de communication déjà difficile avec la France occupée, la mise au secret à partir de 1942 et jusqu’en 1949 de tout ce qui touche à l’énergie nucléaire aux USA verrouille toute revendication française sur ces brevets. Plus encore en 1946 l’Atomic Energy Act interdit aux États-Unis tout brevet lié à des matières fissiles, et même tout échange d’information sur ce sujet.
Les démarches françaises ne reprennent qu’en 1954 avec l’assouplissement des règles américaines sur le nucléaire et l’ouverture par le CEA de deux procédures parallèles, potentiellement contradictoires, cherchant en même temps à faire reconnaitre ses brevets et à se faire indemniser de manière forfaitaire pour leur utilisation pendant la guerre. Jusqu’au début des années 60 la situation parait complètement bloquée, mais les choses s’arrangent progressivement à partir de 1963.
En 1968, l’antériorité française des découvertes fondamentales dans les technologies nucléaires est reconnue officiellement lors d’une cérémonie à Washington, et assortie d’un « dédommagement » de 35 000 $ pour les inventeurs (dont deux sont décédés entretemps), sans aucune commune mesure avec les frais de justice engagés.